
Thibaud Voïta, conseiller au Centre énergie de l'Institut Jacques Delors et directeur du Master of International Energy Transitions à l'EM Lyon business school
Nicolas Desquinabo, expert en évaluation des politiques publiques
Carine Sebi, Professeure et titulaire de la Chaire Energy for Society à Grenoble École de Management
Laurence Hartmann, économiste de la santé, maîtresse de conférences au Conservatoire national des arts et métiers de Paris
Alors que le projet de loi de finances est débattu au Parlement, la rénovation énergétique risque d’être une des grandes victimes des économies recherchées par le gouvernement. La proposition budgétaire de ce dernier inclut en effet une réduction des dépenses publiques dédiées à la rénovation énergétique d’un milliard d’euros, alors même que les politiques de rénovation ont déjà souffert d’affaiblissements considérables ces dernières années, et que plus d’un tiers des Français est en situation de précarité énergétique.
À l’heure où chaque denier public compte, il est crucial d’évaluer les impacts socio-économiques des politiques publiques en prenant en compte leur utilité, intérêt collectif et retombées financières afin d’allouer les ressources publiques de manière efficace. Les aides à la rénovation ont certes un coût, mais derrière la feuille de calcul se cache une réalité plus complexe.
Nous, économistes et politistes, appelons les décideurs à considérer les politiques publiques de rénovation d’ampleur non comme une dépense, mais comme un investissement indispensable et pourvoyeur d’économies d’envergure.
Éviter des milliards d’euros de dépenses de santé publique
De nombreuses études convergent : un programme ambitieux de rénovations performantes constituerait un levier efficace pour réduire les dépenses publiques. Le Commissariat général au développement durable estime que la rénovation de 1,3 million de logements « présentant un risque santé significatif pour les occupants » au sein du parc de passoires énergétiques (logements très énergivores classés F ou G au DPE) permettrait non seulement d’éviter le décès de 2 200 personnes chaque année, mais aussi d'éviter des coûts de santé de près de 10 milliards d’euros par an.
Le Cerema a quant à lui évalué que l'inaction dans le bâtiment coûtait plusieurs milliards d’euros par an à la société française au vu du préjudice lié à la santé des Français, et que les conséquences sur les apprentissages des enfants et la productivité des adultes pourraient provoquer de potentielles pertes ou manques à gagner de plusieurs milliards d'euros. À ces constats s’ajoutent les conséquences sanitaires croissantes des vagues de chaleur, dont les coûts associés entre 2015 et 2020 représentaient en moyenne entre 3,6 et 6,1 milliards par an selon Santé publique France.
Les faits sont clairs : investir dans la rénovation performante n’est pas une dépense supplémentaire, mais une politique de santé publique à part entière, capable de générer des économies structurelles et durables.
Alléger la facture énergétique du pays
Le secteur du bâtiment est le premier poste de consommation énergétique en France, représentant 43 % du total annuel. Or, plus d’un tiers de cette consommation repose encore sur des énergies fossiles importées, ce qui alourdit considérablement la facture nationale. Entre 2022 et 2024, la facture énergétique extérieure de la France a explosé, dépassant même les 100 milliards d’euros en 2022, dont près de la moitié était liée au bâtiment.
L’équivalent de la facture énergétique cumulée entre 2017 et 2024 (environ 460 milliards) permettrait ainsi de financer la quasi-totalité des rénovations performantes nécessaires pour atteindre les objectifs 2050 de la France.
Alors que cet argent sort de notre territoire, renforce notre dépendance à des pays comme la Russie et les États-Unis, et fragilise nos finances publiques, un programme ambitieux de rénovations performantes permettrait de mieux protéger les ménages contre la volatilité des prix tout en assainissant les finances publiques.
Maintenir un tissu économique dynamique et non délocalisable
Au-delà des dépenses évitées, les politiques publiques de rénovation soutiennent aussi l’économie réelle : l’industrie du bâtiment, qui représente 1,75 million d’emplois non délocalisables et environ 5% du PIB national, constitue un pilier essentiel de notre économie. Or, le stop-and-go à l'œuvre affaiblit la dynamique de rénovation car il sape la confiance des ménages et désorganise les professionnels.
C’est dans la rénovation énergétique d’ampleur que se joue aujourd’hui le vrai levier de redressement des finances publiques. Contrairement aux gestes isolés – changement de chaudière, fenêtres ou combles – les rénovations globales ne se déclenchent presque jamais sans soutien public. Et c’est là que le rendement économique est le plus fort : 300 000 rénovations d’ampleur par an (dont celles en copropriété) représentent 15 milliards d’euros de travaux, dont plus de 95 % réalisés en France.
Même avec une hypothèse « haute » de 40 % d’effets d’aubaine, ces investissements génèrent 9 milliards d’euros d’activité nationale supplémentaire et 4 milliards de recettes fiscales et sociales chaque année. Autrement dit, pour 5 milliards d’euros de crédits budgétaires investis, l’État enclenche un effet d’entraînement qui reboucle presque les finances publiques. La rénovation performante est un investissement souverain, rentable, durable et créateur d’emplois locaux.
Le choix est clair : poursuivre l’affaiblissement des dispositifs de rénovation, avec pour conséquence de reporter sur les générations futures le poids financier et social de l’inaction. Ou reconnaître que la rénovation performante est une politique d’investissement protectrice de la population et de sa santé, créatrice d’emplois et permettant d'assainir durablement les finances publiques, qui pourrait de surcroît participer à la réduction des inégalités et apporter des solutions à la crise du logement.
Pour cela, la condition est double : mettre en place une planification claire et ambitieuse de la rénovation énergétique en France, accompagnée d'un dispositif d'aide au financement comme MaPrimeRenov' qui a déjà prouvé son efficacité lorsqu'il était correctement déployé.


