
Responsable de la Practice Énergie et Environnement chez Wavestone
L’annonce a fait l’effet d’un coup de tonnerre dans un secteur déjà sous tension : le 10 juin 2025, l’Agence nationale de l’habitat (Anah) a suspendu l’instruction de nouvelles demandes de financement MaPrimeRénov’, le principal dispositif d’aide à la rénovation énergétique des logements.
Même si le gouvernement, par la voix du ministère du Logement, a rétropédalé en début de semaine, annonçant que le dispositif serait finalement maintenu pour les travaux isolés de rénovation, plusieurs éléments restent problématiques aux yeux de l’État : une flambée de dossiers déposés et des soupçons croissants de fraude, le tout sur fond de tension budgétaire criante. Un paradoxe alors même que l’État continue de mettre en avant la transition écologique comme priorité stratégique.
Cette décision pose une question de fond : comment concilier ambition climatique, efficacité des politiques publiques et confiance des usagers ?
MaPrimeRénov’ : un outil devenu incontournable
Lancée en 2020, MaPrimeRénov’ est rapidement devenue le cœur de la politique française de rénovation énergétique. En fusionnant le crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE) et les aides de l’Anah, le dispositif visait à simplifier et démocratiser l’accès aux travaux d’économie d’énergie. Ouverte à tous les propriétaires, sans conditions de ressources pour certains types de projets, la prime couvre une large gamme de travaux : isolation, ventilation, changement de chauffage, etc.
Son succès a été fulgurant. En cinq ans, plus de deux millions de logements ont été rénovés, grâce à une aide directe, versée rapidement, qui a mobilisé artisans, ménages et filières locales. Pour renforcer son impact, l’État a lancé en 2022 le « parcours accompagné » visant les rénovations globales, plus efficaces dans l’amélioration de l’efficacité énergétique pour les passoires thermiques et soutenues par des accompagnateurs agréés.
Au-delà de la performance énergétique, MaPrimeRénov’ a joué un rôle économique et social important : soutien à l’emploi local, lutte contre la précarité énergétique, et structuration de la filière RGE. Mais cette montée en charge rapide a aussi mis en lumière les limites d’un dispositif aussi ambitieux, en matière de contrôle, de capacité administrative et de pilotage budgétaire.
Une montée en charge mal maîtrisée
Cette montée en puissance a également révélé les failles d’un système dont la complexité et la générosité ont ouvert la porte à de nombreuses dérives. Depuis le début de l’année 2025, le nombre de dossiers a explosé, atteignant plus de 400 000 demandes en quelques mois, soit une hausse de 40 % par rapport à l’an dernier. Cette surchauffe a rapidement mis sous pression les capacités de traitement des services de l’Anah, saturés par l’afflux massif de demandes.
Dans le même temps, les signalements de fraude ont connu une recrudescence préoccupante : démarchage abusif, pratiques commerciales trompeuses, devis falsifiés ou entreprises non qualifiées…
Le manque de garde-fous a favorisé l’émergence d’acteurs peu scrupuleux, exploitant à la fois la générosité du dispositif et la méconnaissance des particuliers. À cela s’est ajoutée une dynamique budgétaire difficilement tenable, même si le budget 2025 de MaPrimeRénov est « sécurisé » selon le gouvernement (3,6 milliards d'euros en 2025, dont 1,3 milliard d'euros déjà consommés)(1).
Une onde de choc pour les particuliers et les professionnels
La suspension de l’instruction des nouveaux dossiers pour des rénovations énergétiques d'ampleur, annoncée comme provisoire, pourrait courir jusqu'à mi-septembre (le guichet de dépôt de nouveaux dossiers d'aides doit fermer dès ce 23 juin selon les dernières annonces du ministère du Logement). Elle pourrait être prolongée, tant les enjeux de régulation, de contrôle et de financement apparaissent lourds. Pour les ménages, cette décision est vécue comme une douche froide. De nombreux projets de rénovation, déjà planifiés ou engagés, se retrouvent brutalement gelés. L’incertitude règne et la confiance dans les aides publiques s’effrite. Il est à craindre que cette crise de confiance ralentisse durablement l’adhésion des particuliers à la dynamique de rénovation, pourtant essentielle pour répondre aux objectifs climatiques.
Du côté des professionnels du bâtiment, l’effet est tout aussi brutal. Les artisans et entreprises, qui avaient structuré leur offre et leurs recrutements en fonction de la croissance de MaPrimeRénov’, se retrouvent confrontés à une baisse d’activité soudaine. Certains chantiers sont mis en pause, d’autres abandonnés. Cette instabilité vient s’ajouter à une conjoncture déjà dégradée par la chute des permis de construire et la crise du logement neuf. Pour l’État, la suspension fragilise un pilier central de la planification écologique et risque de compromettre les objectifs de rénovation performante, dont le rythme est déjà insuffisant.
CEE et MaPrimeRénov’ : vers un nouveau partage des responsabilités financières
Le mode de financement de MaPrimeRénov’ est aujourd’hui en pleine évolution, marqué par une volonté de rééquilibrer les sources de financement entre budget de l’État et dispositifs obligatoires, au premier rang desquels les Certificats d’Économies d’Énergie (CEE). Alors que l’enveloppe budgétaire allouée par l’État est soumise à une pression croissante, le recours accru aux CEE apparaît comme un levier pour maintenir, voire amplifier, l’ambition de rénovation du parc résidentiel. Ce dispositif, financé par les « obligés » (fournisseurs d’énergie et distributeurs de carburants en particulier), repose sur un mécanisme de marché dont le volume global – plus de 3 milliards d’euros par an – est appelé à augmenter avec les objectifs renforcés de la prochaine période CEE (P6).
Cette montée en puissance soulève toutefois plusieurs enjeux. D’abord, elle accentue la complexité de l’écosystème d’aides, en multipliant les intervenants, les règles d’éligibilité et les logiques d’instruction. Ensuite, elle interroge la soutenabilité du dispositif CEE, dont le coût est in fine répercuté sur les factures des consommateurs. Enfin, elle renforce la nécessité de mieux articuler les calendriers, les cibles et les modalités entre MaPrimeRénov’ et les opérations CEE, pour éviter les effets d’aubaine ou les doublons, et garantir une efficacité réelle des fonds mobilisés. Cette transition vers un financement plus hybride impose ainsi une gouvernance renforcée et une plus grande lisibilité pour les ménages comme pour les professionnels du secteur.
Refonder le dispositif pour éviter un nouvel échec
Pour autant, il ne s’agit pas de condamner le principe même de MaPrimeRénov’. Bien au contraire. Le dispositif reste un outil indispensable pour réduire les émissions du secteur résidentiel-tertiaire, qui représente près de 20 % des émissions nationales, et améliorer le confort thermique de millions de logements. Mais sa relance ne pourra se faire à l’identique. Elle suppose une refonte profonde de son architecture.
Subventionner à perte des gestes isolés, comme le changement de chaudière sans isolation, est contre-productif.Tout d’abord, il faudra mieux cibler les aides, en redonnant la priorité aux rénovations les plus performantes, qu’il s’agisse de rénovations globales ou de mono-gestes, en fonction des caractéristiques des logements concernés.
La lutte contre la fraude doit aussi être intensifiée. Elle passe par un renforcement des contrôles, l’interdiction stricte du démarchage commercial, et le recours systématique à des acteurs de confiance, comme les accompagnateurs Rénov’, qui peuvent jouer un rôle de filtre essentiel entre le ménage et les entreprises. La simplification des démarches constitue un autre chantier prioritaire. Aujourd’hui, la complexité administrative décourage bon nombre de ménages et allonge inutilement les délais de traitement. Une plateforme unique, ergonomique, adossée à un accompagnement personnalisé, permettrait de restaurer la fluidité du parcours usager.
Enfin, il est impératif de donner de la visibilité à tous les acteurs. Les règles d’éligibilité de MaPrimeRénov’ ont changé presque chaque année, créant une instabilité qui empêche les professionnels d’investir et les ménages de se projeter. Un cadre pluriannuel clair, assorti d’engagements budgétaires prévisibles, est indispensable pour rétablir la confiance.
Faire de la rénovation énergétique une politique d’État durable
En somme, la suspension de MaPrimeRénov’ n’est pas une fin, mais elle doit être un électrochoc. La rénovation énergétique des bâtiments ne peut être l’otage de décisions ponctuelles, brutales et mal préparées. Elle requiert une gouvernance renouvelée, stratégique et partenariale.
Un État stratège, des professionnels mobilisés et des citoyens acteurs : voilà le triptyque qui permettra de faire du bâtiment un vrai levier de transition écologique. Cela exige rigueur, constance et ambition. À rebours des allers-retours budgétaires et des volte-face politiques.
Sources / Notes
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