Data4NuclearX : un espace numérique souverain au service du nucléaire

Clément Le Roy

Responsable de la Practice Énergie et Environnement chez Wavestone

Depuis toujours symbole d’excellence technologique et de rigueur industrielle, la filière nucléaire entre aujourd’hui dans une nouvelle ère : celle de la donnée. Conception, exploitation, maintenance, démantèlement : à chaque phase du cycle de vie des installations, cette industrie produit une masse considérable d’informations — techniques, opérationnelles, réglementaires — dont la maîtrise conditionne la performance, la sûreté et la compétitivité. Or ces données restent souvent dispersées, cloisonnées entre acteurs, enfermées dans des systèmes distincts.

C’est dans ce contexte qu’a été annoncée la création de Data4NuclearX, un espace numérique souverain et sécurisé dédié à la filière nucléaire. L’initiative, dévoilée à Paris à l’occasion du World Nuclear Exhibition (WNE), marque un tournant : elle vise à doter la filière d’un socle commun pour structurer, partager et valoriser ses données critiques dans un cadre de confiance.

Un espace de confiance au service de la souveraineté

Le projet Data4NuclearX ambitionne de mettre en place un environnement numérique qui accueille, échange et traite des données sensibles tout en garantissant un haut niveau de sécurité et de souveraineté. Dans une industrie où la confidentialité, l’intégrité et la disponibilité des données sont des conditions de survie, l’enjeu n’est pas seulement de protéger l’information : il s’agit aussi d’en maîtriser la gouvernance.

L’initiative repose sur une logique claire : offrir aux exploitants, fournisseurs, sous‐traitants et institutions un cadre commun où chacun garde le contrôle de ses informations, tout en rendant possible une circulation sélective et sécurisée des données nécessaires aux projets collectifs. 

Le consortium réunit à ce stade six partenaires : EDF, le CEA, Dawex, le GIFEN, l’Institut Mines‑Télécom (IMT) et Sopra Steria. Chacun apporte une brique essentielle : EDF pilote et coordonne le projet et engage ses équipes nucléaires ; le CEA met à contribution sa longue expérience nucléaire et son expertise en IA et sémantique des données ; Dawex fournit la technologie d’échange de données (« data products ») assurant traçabilité, conformité et sécurité ; le GIFEN fédère les entreprises de la filière autour de la digitalisation des processus et des échanges ; l’Institut Mines-Télécom, via son Data Space Lab, accompagne les phases de prototypage et d’expérimentation pour les PME du secteur ; enfin, Sopra Steria assure l’architecture, le développement et l’implémentation des composants spécifiques de la plateforme. Cette composition renforce l’approche collaborative et souveraine du projet.

Cette approche répond à un double impératif : renforcer la souveraineté numérique — en évitant les dépendances vis-à-vis de solutions technologiques étrangères — et accélérer l’efficacité industrielle grâce à une meilleure collaboration. Autrement dit, construire un numérique « ouvert sous contrôle », conforme aux exigences de sûreté nucléaire comme à celles de la transformation digitale.

L’accélération numérique au cœur des enjeux de performance

L’existence d’un espace numérique souverain ne relève pas d’un simple enjeu de cybersécurité : c’est un accélérateur d’innovation. En permettant la mise en commun de données d’exploitation et d’ingénierie, Data4NuclearX rend possible une nouvelle génération d’usages numériques.

Par exemple, les jumeaux numériques d’installations pourront s’appuyer sur des bases consolidées et interopérables, offrant une vision plus fine du comportement des équipements et une capacité accrue de simulation et de maintenance prédictive. Les algorithmes d’intelligence artificielle, nourris par un historique plus riche, pourront affiner la détection d’anomalies, optimiser les arrêts de tranche et prolonger la durée de vie des composants. Les traçabilités numériques permettront d’améliorer la conformité réglementaire tout en facilitant les retours d’expérience sur le cycle de vie des installations.

Derrière ces usages, un même fil conducteur : valoriser les données pour gagner en sûreté, en efficacité, en compétitivité. En rendant possible cette mutualisation, Data4NuclearX offre à la filière une infrastructure commune capable de soutenir ses ambitions industrielles et technologiques.

Un mouvement européen des data spaces industriels

La création de Data4NuclearX s’inscrit dans une dynamique plus large : celle des data spaces industriels, ces espaces de données partagées qui se multiplient à travers l’Europe(1). Inspirés par les travaux de l’International Data Spaces Association (IDSA) et portés par le projet Gaia‑X, les data spaces visent à permettre aux entreprises d’échanger leurs données en toute confiance, sans renoncer à leur souveraineté numérique.

Dans l’industrie automobile, l’initiative Catena‑X permet aux constructeurs et sous‐traitants européens de relier leurs données pour tracer les composants, suivre les émissions de CO2 et améliorer la qualité industrielle. Dans l’agriculture, l’initiative AgriGaia favorise la mutualisation des données agricoles pour optimiser les pratiques et réduire l’impact environnemental. Ces exemples montrent que l’économie de la donnée devient une économie de la confiance.

En rejoignant ce mouvement, la filière nucléaire ne fait pas que rattraper son retard numérique : elle se place dans le sillage des secteurs industriels les plus avancés, tout en y ajoutant une exigence de sécurité et de souveraineté supérieure. Data4NuclearX, à ce titre, constitue l’un des premiers data spaces industriels dédiés à un domaine aussi sensible, démontrant que le modèle est adaptable à des filières critiques.

Un instrument de souveraineté et de résilience

Dans un contexte géopolitique incertain, la souveraineté numérique devient un enjeu stratégique majeur. Les infrastructures cloud et les technologies logicielles étrangères dominent aujourd’hui une grande partie du paysage numérique mondial. Pour une filière aussi critique que le nucléaire, cette dépendance constitue un risque.

Data4NuclearX répond à ce risque. En créant un espace souverain, hébergé et opéré selon des standards européens, la filière reprend la main sur la gestion de ses données les plus sensibles. Ce faisant, elle protège non seulement son patrimoine technologique, mais aussi sa capacité d’innovation : disposer de données accessibles et sécurisées, c’est pouvoir expérimenter, modéliser et innover sans dépendance extérieure.

Au‐delà de la sécurité, c’est la résilience industrielle qui est en jeu. À une période où la France relance son programme de construction de réacteurs et investit dans les technologies de petits réacteurs modulaires (SMR), le numérique devient une composante essentielle de cette renaissance. Data4NuclearX en est l’un des fondements.

Centrale nucléaire de PaluelCentrale nucléaire de Paluel en Seine-Maritime. (©Eliot Blondet / ABACAPRESS.COM)

Les conditions du succès

La réussite de Data4NuclearX dépendra de plusieurs équilibres. Il faudra d’abord instaurer une gouvernance partagée entre grands exploitants, équipementiers, institutions publiques et acteurs du numérique. La confiance, au cœur du dispositif, ne se décrète pas : elle se construit par la transparence, la réciprocité et la clarté des règles d’accès aux données.

Il faudra également garantir l’interopérabilité entre les systèmes existants, en s’appuyant sur les standards ouverts des data spaces européens. Sans cela, l’espace risquerait de rester un silo supplémentaire. Enfin, la réussite passera par une adhésion culturelle : la filière, rompue aux normes et procédures très strictes, doit apprendre à conjuguer son exigence de rigueur avec l’agilité du numérique. La formation, la montée en compétences et la confiance seront des leviers essentiels.

Ces défis ne doivent pas masquer l’opportunité historique : celle d’unir une filière autour d’un projet numérique commun, au service de sa compétitivité et de sa souveraineté.

Un socle pour un nucléaire numérique et souverain

L’annonce de Data4NuclearX marque une étape importante dans la transformation numérique du nucléaire. En dotant la filière d’un espace numérique souverain et sécurisé, elle crée les conditions d’une collaboration numérique efficace, d’une innovation accélérée et d’une protection renforcée des actifs stratégiques.

Cette initiative traduit un changement profond : le numérique n’est plus un simple outil d’optimisation, il devient une composante structurelle de la souveraineté énergétique et technologique. En s’inspirant du modèle des data spaces européens, Data4NuclearX positionne la filière nucléaire française à la pointe d’un mouvement mondial : celui d’un numérique de confiance, au service des filières industrielles critiques. 

Le nucléaire entre ainsi dans une nouvelle ère : celle où la donnée, tout aussi essentielle que l’énergie qu’elle aide à produire, devient le moteur de sa transformation.

Les autres articles de Clément Le Roy

Ajouter un commentaire

Sur le même sujet