
Crédit du portrait d'Olivier Challan-Belval : ©Kim Redler
Le médiateur national de l'énergie désigne à la fois l'autorité administrative informant et accompagnant les consommateurs lors de litiges avec leurs fournisseurs ou avec les distributeurs et son principal dirigeant, nommé par les ministres en charge de l’énergie et de la consommation. Ce 28 novembre 2025, Bernard Doroszczuk (président de l'ASN de 2019 à 2024) succède à Olivier Challan-Belval à cette fonction.
Nous avons interrogé Olivier Challan-Belval sur le bilan de son mandat de 6 ans à la tête du médiateur de l'énergie, marqué entre autres par deux crises majeures : le Covid et la crise énergétique.
Le début de votre mandat a quasiment coïncidé avec la crise sanitaire. Comment le médiateur s'y est-il adapté ?
J'étais en poste depuis seulement près de 3 mois avant le premier confinement (ndlr : 17 mars au 11 mai 2020). À ma grande surprise, il n'y a pas eu une minute d'interruption des services du médiateur : les outils informatiques développés, la plateforme en ligne SOLLEN de solution des litiges et la médiation ont continué à fonctionner. Je n'y suis pour rien mais cela m'a beaucoup impressionné.
Puis est arrivée la crise énergétique, avec une flambée des prix du gaz et de l'électricité...
Lors de cette crise des prix de l'énergie, beaucoup de litiges sont apparus du fait de modifications ou renouvellements de contrats, sans une information complète et loyale du consommateur. Le commercial d'un fournisseur, qui a pourtant une obligation de loyauté, pouvait craindre de perdre des clients en annonçant que votre facture de 100 € par mois allait passer à 300 € par mois. Même si les prix ailleurs étaient similaires...
Beaucoup de ménages ont eu des factures de régularisation monstrueuses par la suite. On a donc eu beaucoup de sujets de transparence, de loyauté de l'information. Comme je le dis toujours aux fournisseurs, il y a une partie faible et une partie forte dans un contrat de fourniture d'énergie. Le pot de terre et le pot de fer. La partie faible, c'est le consommateur qui a des connaissances limitées et ignore par exemple que l'électricité ne représente que 30% du prix payé et que le reste provient des réseaux et des taxes.
Nous ne sommes pas aujourd'hui totalement sortis de cette crise. La précarité en général, et plus particulièrement énergétique, a augmenté. On constate chaque année, avec notre observatoire, que davantage de personnes ont froid et ont des difficultés à se chauffer. Les prix ont certes baissé, mais pas au niveau d'avant crise.
Quelles conséquences cela a eu pour le médiateur ?
Nous avons traversé une période un peu difficile après la crise énergétique avec une augmentation assez forte du nombre de litiges, qui avait déjà commencé un peu avant (ndlr : 15 327 saisines reçues en 2021, conre 11 591 en 2019). Nous aurions pu alors accélérer le traitement des dossiers avec une information incomplète, mais il était hors de question pour les collaborateurs du médiateur - et c'est très révélateur de leur état d'esprit - de dégrader la qualité des recommandations.
Ce travail rigoureux n'a pas été sans conséquence. La réglementation nous donne normalement 90 jours pour rendre nos recommandations et nous avons culminé à un délai moyen de 145 jours en 2022. Il y a 3 ans, nous avons obtenu trois postes supplémentaires de Matignon, qui étaient les bienvenus et ont contribué à résorber ce retard et nous avons aussi bénéficié de la baisse du nombre de litiges post-crise des prix.
L'intérêt de la médiation est d'aller vite. Sinon, vous saisissez un juge, vous attendez deux ans et vous avez une réponse qui ne vous satisfait pas forcément. Je souhaitais un retour à 90 jours de délai de traitement avant la fin de mon mandat et ce délai est aujourd'hui de 87 jours. La situation est aujourd'hui saine, les effectifs du médiateur permettent de faire face aux demandes et je suis plutôt satisfait du bilan de mes six années passées à la tête de la médiation.
La notoriété du médiateur a-t-elle augmenté dans ce contexte ?
L'existence du médiateur est mentionnée sur toutes les factures d'énergie, c'est une obligation pour les fournisseurs d'indiquer que l'on peut saisir le médiateur. Par ailleurs, je pense que l'on commence à avoir une certaine notoriété car on a fait un peu de bruit dans le paysage médiatique, notamment avec nos « cartons rouges » qui ont contribué à ce que l'on soit mieux connus.
Nous avons également fait beaucoup d'efforts de pédagogie, en rencontrant les principaux fournisseurs, en face-à-face, un par un, deux fois par an, pour regarder les dossiers en cours avec eux et leur apporter des explications sur certaines affaires et nos recommandations. Progressivement, nous avons constaté une prise de conscience des fournisseurs : s'ils veulent que le marché continue à s'ouvrir et que les consommateurs quittent le fournisseur historique, ces derniers doivent avoir confiance.
J'avais fait un rapport il y a 3 ans sur cette question centrale de la confiance, dans lequel je rappelais aux fournisseurs que cette confiance des consommateurs était de leur responsabilité. Cela implique de leur part un effort particulier de pédagogie et de ne pas simplement envoyer une grille tarifaire.
Estimez-vous à cet égard avoir été entendu par les fournisseurs ?
Globalement oui. Y compris de la part des acteurs à qui j'ai donné des cartons rouges. Je prends l'exemple du fournisseur TotalEnergies qui a pris acte que son carton rouge portant sur l'année 2020 (alors Total Direct Energie) était un signal qu'il avait un problème de gestion de sa clientèle et des réclamations. Un audit interne a été mené et ce fournisseur a mis en place un certain nombre de mesures qui lui permettent aujourd'hui de figurer parmi les acteurs ayant le taux de saisines le plus bas.
Il y a toujours quelques mauvais élèves que je dénonce dans ma dernière lettre comme JPME, Primagaz et malheureusement le gestionnaire de réseau Enedis qui s'offusque qu'on ose mettre un carton rouge au « service public » mais dont j'attends toujours les mesures pour mettre fin à des affaires absolument scandaleuses.
Y a-t-il eu une évolution favorable à cette médiation « particulièrement difficile » avec Enedis ?
Aucune mesure n'a été prise à ma connaissance. Ils avaient envisagé à un moment de placer un référent médiation auprès des directeurs régionaux mais j'ignore si cela a été fait. Nous avons constaté une petite amélioration dans le suivi de nos recommandations, un peu dans la qualité de l'instruction des demandes de médiation, mais rien qui permette de tarir ces affaires scandaleuses.
J'en cite quelques exemples dans le rapport du médiateur de 2023, notamment le passage d'un agent d'Enedis annonçant des travaux de sécurité. Deux ans plus tard, rien n'était fait alors que ces travaux étaient urgents. La recommandation du médiateur dans cette affaire n'a pas été suivie et il a fallu que nous conseillions au consommateur de saisir le Comité de règlement des différends et des sanctions de la CRE, dont le président a enjoint Enedis de faire les travaux sous astreinte.
Ce n'est pas à moi de gérer Enedis et de suggérer des réformes, mais je constate que l'autre gestionnaire de réseau, GRDF pour la distribution du gaz, dispose d'un référent médiation au niveau de l'administration centrale qui a la capacité de dire aux directeurs régionaux ce qu'il faut faire dans différentes affaires. Chez Enedis, ce n'est pas le cas. Leur défense est d'expliquer qu'ils gèrent 35 millions de compteurs et autant d'abonnés et qu'il est ainsi normal qu'il y ait des erreurs de faites. Je suis d'accord sur ce point mais le médiateur est précisément là pour aider à les régler.
Comment avez-vous accompagné la fin des tarifs réglementés du gaz en juillet 2023 ?
Le médiateur n'était pas en charge de cette disparition mais il y avait un enjeu important d'information. Nous avons travaillé avec l'administration qui a régulièrement envoyé des lettres. Il fallait que cela soit clair pour les citoyens, il était inutile de donner des multiples informations. Il fallait notamment expliquer qu'il existe un comparateur d'offres indépendant et neutre sur le site du médiateur.
Un certain nombre de consommateurs situés dans des zones ELD ont alors souligné que les TRV gaz avaient certes disparu mais qu'il n'existait pas de fournisseur alternatif pour eux. Dans ces zones, la concurrence est juridiquement ouverte mais, dans les faits, les fournisseurs alternatifs ne viennent pas car ce n'est pas le même système d'information et les mêmes process que ceux de GRDF qui leur permettent de toucher 95% du territoire.
Il y a eu une volonté des ELD à un certain moment de s'opposer à l'ouverture à la concurrence et les éléments permettant aux fournisseurs alternatifs de venir n'ont pas été mis en place. J'ai d'ailleurs mis il y a 3 ans un carton rouge à Gaz de Bordeaux. Aujourd'hui, elles se rendent compte que cette situation n'est plus tenable et qu'il faut avancer : des travaux sont en cours à la CRE pour mettre en place une plateforme unique pour toutes les ELD et permettre la concurrence effective.
Seriez-vous favorable à imposer aux plus gros fournisseurs de proposer une offre dans ces ELD ?
Non, le commerce est libre en France. Pourquoi imposer à des fournisseurs d'aller sur des territoires où c'est plus coûteux pour eux ? Ou alors on les indemnise. C'est aux pouvoirs publics de prendre les mesures permettant aux fournisseurs alternatifs de venir dans ces territoires des ELD.
Je considère que les consommateurs doivent pouvoir se fournir en énergie en allant chez des concurrents et qu'il est anormal qu'il n'y ait pas d'alternative aujourd'hui dans certains territoires. C'est d'autant plus vrai quand je constate que parfois, certaines ELD abusent de leur position de monopole de fait.
Quel regard portez-vous sur le tarif réglementé de l'électricité, déjà supprimé pour les plus gros consommateurs ?
C'est plus une question pour la CRE ou l'Autorité de la concurrence que pour le médiateur. Le TRV rassure le consommateur. La meilleure preuve est qu'on a mis comme repère un « tarif de référence » lors de la suppression des tarifs réglementés pour le gaz.
Pour l'électricité, je constate aujourd'hui que le TRV existe toujours mais qu'il y a beaucoup d'offres - de l'ordre de 30% - qui sont plus intéressantes que celui-ci. C'est donc un faux problème à mon sens. Beaucoup de consommateurs seraient sûrement surpris d'apprendre qu'il existe des fournisseurs alternatifs qui proposent des tarifs moins élevés que le TRV, provenant y compris d'EDF, et jusqu'à environ 20% de baisse dans certains cas. Allez sur le comparateur d'offres du médiateur de l'énergie et vous verrez ces offres.
Parmi les autres avancées de son mandat, il y a la situation des ménages en situation d'impayés...
Lors de mon audition par une commission de l'Assemblée nationale il y a quatre ans, j'ai dit que je trouvais d'une violence incroyable de couper l'électricité à un ménage en situation de précarité énergétique. Nous sommes au 21e siècle et l'électricité est un bien de première nécessité : c'est la loi qui le dit. Couper un bien de première nécessité parce que vous n'avez pas les moyens de payer me choque.
J'ai donc plaidé pour arrêter de couper l'électricité pour impayés. En revanche, une mesure consiste à baisser la puissance souscrite. On dit parfois que ce sont les fraudeurs qui ne payent pas : si c'est parfois le cas, les personnes concernées qui vont se retrouver avec 1 ou 2 kVA de puissance vont très vite payer. Pour les autres personnes concernées, en situation de précarité, c'est un signal pour contacter les services sociaux de la mairie. Bien des personnes réalisent alors qu'elles ont droit au chèque énergie ou à des aides sociales.
Le lendemain de mon intervention à l'Assemblée nationale, EDF a publié un communiqué annonçant que le groupe ne réaliserait plus de coupure pour impayés, même si la loi ne lui imposait pas. Les personnes un peu négligentes arrivent à trouver une solution. Et en ce qui concerne celles en situation de précarité qui n'y arrivent pas, cela ne me choque pas que ce soit la solidarité nationale qui prenne en charge ce coût. Je n'ai jamais réussi à convaincre l'exécutif de mettre en œuvre cette mesure qui pourtant me semble être de nature à rassurer nos concitoyens.
Quelles sont les grandes mesures encore à porter par le médiateur ?
Il ne m'appartient pas de parler pour mon successeur. Nous avons beaucoup avancé sur le démarchage. Quand je souhaitais son interdiction il y a 5 ans et demi, tout le monde m'est tombé dessus en disant que c'était impossible juridiquement. Je constate que cela a été acté et validé par le Conseil constitutionnel. Cela ne concerne toutefois que le démarchage téléphonique (ndlr : l'interdiction entrera en vigueur le 11 août 2026) et pas le démarchage à pied, une subtilité surprenante.
En tant que médiateur institutionnel, j'ai formulé chaque année - cela figure dans nos rapports annuels et sur le site - des propositions d'évolution de la réglementation et de la législation pour mieux protéger les consommateurs. Ces propositions ont notamment été reprises par le sénateur Gremillet dans l'article 24 de sa proposition de loi. J'espérais que celle-ci soit votée avant que je m'en aille et ce n'est malheureusement pas le cas en raison de la situation politique compliquée. Les mesures en question sont très pragmatiques et tournent autour de la loyauté du contrat, de la correcte information, toujours dans le contexte de fournisseurs qui sont la partie forte et les consommateurs la partie faible, voire négligente. Je lance cet appel aux fournisseurs : prenez vos clients comme ils sont !
Une autre proposition de loi du sénateur Gay est aussi sur la table. Agnès Pannier-Runacher avait également un projet de loi pour inscrire des préconisations du médiateur mais la vie politique fait qu'elle n'a pas pu aller au bout. Je préconise ainsi d'achever ce travail d'une meilleure protection du consommateur. Je rappelle toujours que les directives européennes relatives à l'ouverture à la concurrence indiquent toutes, de façon systématique, que cette ouverture se fait au bénéfice du consommateur final.
Que pensez-vous des offres à tarification dynamique pour ces consommateurs « négligents » ?
Ce n'est pas raisonnable. Je suis défavorable à la tarification dynamique pour les particuliers, c'est un piège. Je déconseille à tout consommateur domestique de souscrire une telle offre. D'ailleurs, la plupart des fournisseurs d'énergie ne sont pas très favorables, pour ne pas dire défavorables, à ce genre d'offre. Cela convient pour les entreprises disposant d'un service d'achat compétent en matière d'énergie capable de suivre les prix tous les jours, c'est tout.
Que vous inspire l'annonce du gouvernement qui dit étudier des « scénarios de baisse du prix de l'électricité » ?
J'ai toujours fait remarquer que l'électricité est un bien de première nécessité. Le principe, c'est qu'un bien de première nécessité ne devrait pas être taxé à plus de 30%.
Si on veut baisser le prix de l'électricité, j'ai une idée simple depuis longtemps - même si elle n'arrive pas au bon moment vu la situation financière du pays - c'est de baisser les taxes. On peut toujours rechercher des artifices mais il y a des fondamentaux : il faut produire l'électricité, la transporter, la distribuer, développer des installations renouvelables pour des raisons écologiques, construire des réacteurs nucléaires... L'électricité a donc un coût. Ce n'est pas au médiateur de l'énergie de dire ça, mais voilà ce que ça m'inspire.

