
Professeur d’économie, Mines Paris - PSL.
Au tout début de l’année prochaine doit entrer en vigueur un dispositif de taxation affectée portant sur l’électricité nucléaire. En cas de prix de marché élevé, EDF se verra prélever une partie de ses recettes qui sera alors redistribuée aux consommateurs. Comment cette partie, dite Versement Nucléaire Universel (VNU), leur sera réaffectée dans leur facture par les fournisseurs ? Un projet de décret permet de répondre à cette question. Nous verrons que le dispositif redistributif choisi est passablement compliqué alors que des options plus simples auraient pu être envisagées. De même pour des solutions moins égalitairement uniformes mais plus équitables.
Une mécanique complexe
Commençons par le cas de figure le plus simple, c’est-à-dire lorsque qu’il n’y a rien à redistribuer aux consommateurs. Cela veut dire que le prix de marché est trop bas pour qu’EDF réalise un surprofit annuel. Nous avons vu dans un article précédent comment sa taxation dépendait des seuils retenus par les ministres en charge de l’énergie et des finances. Désormais connus(1), on sait il n’y aura rien à redistribuer en 2026. Le lecteur uniquement soucieux du court terme peut naturellement décider d’arrêter là sa lecture. De la reprendre seulement quand un VNU non nul apparaîtra sur sa facture et qu’il voudra alors comprendre comment il a été calculé.
Pour les autres, d’esprit plus curieux, accrochez-vous. Il vous faut savoir que le VNU prend la forme d’une minoration par MWh de la facture de chacun, cette minoration étant fixée et perçue par anticipation. L’idée étant de faire bénéficier les consommateurs d’une baisse de leur facture en année de prix de marché élevé sans attendre que toute l’année soit écoulée ; d’amortir donc le choc de prix sans trop attendre. Cette démarche est cependant source d’une série de complications car elle implique de nombreuses estimations ainsi que des modifications rétroactives.
La CRE est appelée dans le projet de décret à procéder à des estimations prudentes.
Afin de répartir à l’avance les surprofits d’EDF, les recettes d’EDF doivent être prévues ex ante. Il s’agit d’estimer à l’avance à fois la quantité d’électricité nucléaire qui sera produite et son prix de vente. Cette double estimation est confiée à la Commission de régulation de l'énergie (CRE). Pour 2026, la CRE a estimé(2) les ventes nucléaires d’EDF à hauteur de 360 TWh et à un prix de 66,08 €/MWh. La CRE doit estimer de plus la quantité d’électricité qui sera facturée à l’ensemble des consommateurs. Les surprofits qu’EDF retire de sa production nucléaire ne seront en effet pas répartis sur la consommation d’électricité d’origine nucléaire de chaque consommateur, une donnée proprement inconnue. Ils seront répartis sur sa consommation d’électricité toutes origines confondues. Plus précisément, sur sa consommation au cours d’une période de quelques mois, hormis ceux d’hiver (voir plus bas).
Les versements de la taxe ayant été réalisés, il est nécessaire l’année suivante de comparer le montant total de la minoration dont ont bénéficié les consommateurs avec le montant dont ils auraient dû bénéficier au regard des données de consommation définitives. Vous me suivez toujours ? Sachez seulement que l’erreur d’un « Pas assez perçu » est jugée préférable à celle d’un « Trop perçu ». La CRE est ainsi appelée dans le projet de décret à procéder à des estimations prudentes.
Pour ne pas lasser le lecteur, je n’entrerai pas non plus dans les détails sur les modalités du VNU côté fournisseurs. Elles prennent plusieurs pages ! Sachez seulement que TotalEnergies, Engie et les autres, y compris EDF bien sûr, devront faire une avance de trésorerie car ils appliqueront la minoration sur les factures de leurs clients avant d’être eux-mêmes compensés pour cette dépense.
L’encadré ci-dessous fournit une illustration chiffrée et simplifiée de ce dispositif passablement compliqué(3).
Supposons que les surprofits d’EDF à reverser aient été estimés à l’avance pour l’année N par la CRE à 4 milliards d’euros et que son estimation de la consommation finale d’électricité soit de 400 TWh. La minoration à verser en N est une ristourne annuelle de 10 € pour chaque MWh consommé par chaque consommateur. Supposons que les 4 milliards seront versés sur les mois de juin à septembre pour une consommation alors estimée pour cette période à 80 TWh. La minoration dont les consommateurs doivent bénéficier est alors de 50€ pour chaque MWh qu’ils consommeront au cours de cette période.
Le versement fait l’objet d’une modification rétroactive, notamment s’il a été trop généreux au regard des données définitives de consommation et des revenus définitifs d’EDF pour l’année écoulée. Mettons qu’il aurait fallu redistribuer 3,8 milliards et non 4 milliards, les 200 millions d’euros de différence seront repris au consommateur en réduisant d’autant l’estimation du total à distribuer l’année N +1.
Tous les consommateurs ne sont pas égaux
On aurait pu envisager un versement en une seule fois en fin d’année, ou même un peu moins simple en deux fois dont l’un en début d’année en cas de prix hivernaux très élevés. Ou, mais encore moins simple, un versement en douze mensualités par souci de facilité et d’uniformité.
Il est vrai que le choix d’une période de versement hors mois d’hiver est surprenant. Il retarde une baisse de facture du chauffage électrique qui aurait été pourtant bienvenue au moment même où elle s’envole. Il pénalise en outre ceux qui se chauffent à l’électricité et avantage ceux qui se rafraichissent l’été par climatisation. Les premiers obtiendront une minoration établie sur une quantité consommée relativement faible et donc une minoration en euros plus faible que si elle avait été basée sur leur consommation hivernale, ou même annuelle. À l’inverse, les seconds obtiendront une minoration relativement élevée, plus élevée en euros reçus que si elle avait été basée sur leur consommation annuelle. Dit autrement, les consommateurs climatisés obtiendront une part relative des surprofits d’EDF plus élevée.
Le décret justifie cette exclusion des mois d’hiver par les risques de tension sur le système électrique lors de cette période. L’idée est qu’une minoration désinciterait les consommateurs à réduire leur consommation au moment même où il faudrait au contraire que la demande fléchisse. On peut douter de la pertinence de l’argument car la sensibilité de la demande au prix des électrons est assez faible (un tiers de la facture d’électricité environ). Et il faudrait à tout le moins comparer l’effet de cette désincitation avec l’effet incitatif de l’usage de la climatisation qui est sa contrepartie.
Le point précédent conduit à s’interroger plus largement sur les conséquences redistributives du VNU. Il n’est pas envisagé par le décret de moduler la rémunération selon le niveau ou le profil de consommation alors que la loi le permettrait. Chaque MWh de chaque consommateur bénéficie du même montant de ristourne, qu’il soit un résident, un boulanger, une PME, une grande société, ou une entreprise électro-intensive. Et aussi qu’il paye son MWh cher, au prix moyen, ou bon marché. Le VNU mérite donc bien son « U » pour universel, un qualificatif souvent utilisé dans le domaine des services publics pour désigner que tous y ont droit et de façon uniforme. C’est un choix traditionnel en France. Ce partage égalitaire du « gâteau » des surprofits d’EDF n’est cependant pas sans poser de questions.
Le cas des ménages
En tendance générale, la consommation électrique croît avec le revenu du ménage tandis que la part des dépenses totales qui lui est consacrée diminue. Le VNU profite donc relativement plus aux ménages à hauts revenus alors même qu’ils sont les mieux à même de faire face à l’augmentation du prix de l’électricité. Dit autrement, le VNU bénéficie relativement moins aux ménages à bas revenus alors qu’ils sont les moins à même de faire face à l’augmentation du prix de l’électricité.
À l’instar du bouclier énergétique qui a protégé indifféremment les grands rouleurs de grosses voitures des automobilistes très vulnérables au prix des carburants ; ou indifféremment ceux qui disposent d’une résidence secondaire comme ceux qui vivent mal dans un logement mal isolé. N’a-t-on pas réalisé depuis 2022 de progrès en matière de collecte et de croisement des données pour cibler des mesures vers ceux qui en ont le plus besoin face aux chocs de prix de l’énergie ?
Une modalité beaucoup plus simple que celle choisie aurait consisté à opter pour une distribution étatique à tous les ménages d’un chèque « électricité nucléaire ».
Admettons même qu’il n’y ait eu aucune avancée sur ce point. Une modalité beaucoup plus simple que celle choisie aurait consisté à opter pour une distribution étatique à tous les ménages d’un chèque « électricité nucléaire ». Cette solution aurait notamment permis de se passer du lourd et coûteux mécanisme de facturation qui implique les fournisseurs. Le montant du chèque, le même pour tous, aurait pu simplement être calculé en se basant sur une estimation de la consommation annuelle moyenne en MWh par ménage. Les plus gros consommateurs bénéficiant relativement alors moins de cette VNU et les plus petits alors relativement plus. En outre, avec un tel dispositif, les consommateurs sont en principe individuellement incités à réduire leur consommation car ils empocheront une ristourne plus élevée.
Si l’on admet de battre en brèche le principe sacro-saint de l’égalité uniforme, les potentiels surprofits d’EDF pourraient être uniquement versés aux ménages modestes en augmentant le montant du chèque énergie, un dispositif qui concerne près de 6 millions de ménages et qui a le mérite d’être déjà en place.
Le cas des entreprises
Il est plus problématique. Le VNU prévu ne les traite pas différemment des ménages. Carrefour ou Stellantis(4) aussi bien que leurs clients sont mis sur un pied d’égalité : ils percevront la même minoration par MWh consommé en France. Enfin, pas tout à fait car dès lors que le VNU est fixé sur un petit nombre de mois hors hiver, les entreprises dont la consommation est moins saisonnière que les ménages seront relativement mieux dotées dans le partage des surprofits d’EDF.
Faut-il traiter les entreprises à part ? Oui car, peut-être faute d’imagination, je ne vois pas un dispositif simple qui ne fasse pas la différence. L’ARENH bénéficiait tout à la fois aux ménages et aux entreprises mais on ne peut pas dire qu’il s’agissait d’un dispositif sans complexité. Ni d’ailleurs sans autres nombreux défauts.
Ne faudrait-il pas saisir l’année blanche à VNU zéro qui arrive pour remettre l’ouvrage sur le métier dans un but de simplification ?
Écartons d’emblée la solution faussement simple qui consisterait à exclure les entreprises de la redistribution des surprofits d’EDF. On a vu en période de flambée des prix de l’électricité comment certaines, pourtant compétitives, auraient été conduites à la fermeture sans intervention publique les aidant à absorber le choc. Quel dispositif spécifique alors retenir ? Notons d’abord qu’il en existe déjà un proposé par EDF. À travers ses Contrats d’Allocation de la Production Nucléaire (CAPN), les entreprises peuvent bénéficier d’un prix bas, proche du coût d’EDF et donc sans jamais payer ses surprofits dans leur facture. Il ne s’applique cependant qu’aux entreprises consommant plus de 7 GWh/an. Un instrument supplémentaire devrait être conçu pour les autres. Avouons ici mon manque d’idées claires sur le sujet. Et vous ? J’ouvre un concours d’idées.
Il existe toutefois la crainte qu’un mécanisme spécifique pour les entreprises consommant en France soit rejeté à Bruxelles. Il pourrait être déclaré comme une aide d’État faussant la concurrence. Notons cependant que le régime du contrôle des aides d’État s’est assoupli au cours de ces dernières années. Ce qui explique pourquoi l’Allemagne s’attend à ce que son aide spécifique aux entreprises fortement consommatrices soit autorisée dans les semaines qui viennent.
La France a opté pour une redistribution de la taxe sur les surprofits d’EDF inutilement compliquée. Au moins pour les ménages, des options plus simples et aussi plus équitables étaient implémentables. Ne faudrait-il pas saisir l’année blanche à VNU zéro qui arrive pour remettre l’ouvrage sur le métier dans un but de simplification ? Démentir la devise « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué », une métabole attribuée aux Shadoks, des hurluberlus à l’apparence d’oiseaux créés pour la télévision bien avant la libéralisation du secteur électrique.
Sources / Notes
(1) Selon un projet d’arrêté, le seuil du premier surprofit taxé à 50% est 78 €/MWh, il est de 110€/MWh pour le second surprofit taxé à 90%.
(2) Estimation au 31 octobre de la CRE.
(3) J’ai omis en particulier de mentionner comment le calcul de la taxe affectée s’établissait à partir de la consommation de combustible nucléaire d’EDF et d’un taux de conversion en MWh.
(4) Les boulangers et les plombiers aussi, mais les TPE pourraient être plus facilement traitées comme les ménages.
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