Versement Nucléaire Universel (VNU) : forces et faiblesses du mécanisme post-Arenh

Jacques Percebois et Boris Solier

Jacques Percebois, professeur émérite à l’Université de Montpellier (CREDEN)
Boris Solier, maître de conférences à l’Université de Montpellier, Expert Cyclope

L’arrêt au 31 décembre 2025 du système de l’ARENH a conduit les pouvoirs publics à instaurer un nouveau mécanisme, a priori moins protecteur pour le consommateur, celui du Versement Nucléaire Universel (VNU). Dorénavant, tout le nucléaire sera vendu au prix du marché de gros mais des garanties seront données au consommateur qu’en cas d’envolée des prix de gros, le nucléaire sera taxé et le produit de cette taxe lui sera reversé sous forme d’une réduction de sa facture. 

Ce système ne fait pas l’unanimité et certains militent pour le recours au mécanisme des CfD (Contracts for Differences), comme c’est de plus en plus le cas pour la promotion des renouvelables. 

Le mécanisme du VNU

Lorsque le prix moyen de vente de l’électricité nucléaire (issue des 56 réacteurs existants + l’EPR de Flamanville) dépasse le coût complet du MWh nucléaire estimé par la CRE (valable pour 3 ans) auquel s’ajoute une marge définie par l'État et qui varie entre 5 et 25 €/MWh, une taxe de 50% est prélevée sur les revenus supérieurs à ce seuil (dit seuil de taxation). Si le prix de gros dépasse le coût estimé auquel s’ajoute une marge comprise entre 35 et 55 €/MWh, la taxe est de 90% au-delà de ce second seuil (dit seuil d’écrêtement). 

Dans le premier cas, EDF conserve donc 50% du surplus, dans le second cas 10% seulement. Les seuils sont fixés chaque année par un arrêté ministériel. Le coût du nucléaire historique a été estimé par la CRE à 60,3 €/MWh en septembre 2025. Il est révisable tous les 3 ans.

Le produit de la taxe doit être reversé simultanément au consommateur et cela se fait via une minoration de sa facture ; cette minoration est calculée par le fournisseur qui applique un tarif unitaire TU sur la consommation du client. Tous les clients (domestiques, professionnels, y compris les électro-intensifs) bénéficient de cette minoration. Le tarif unitaire TU est fixé ex ante chaque année par arrêté ministériel sur proposition de la CRE, tout en respectant un principe de prudence dans les prévisions pour éviter le risque d’ajustements rétroactifs trop importants. 

Cette minoration est une perte de recettes pour le fournisseur, mais l'État utilisera les recettes prélevées sur EDF pour compenser chaque fournisseur. L'État versera en outre des acomptes aux fournisseurs pour limiter leurs problèmes de trésorerie. La minoration doit apparaître sur la facture du consommateur. Notons que le fournisseur doit être intégralement compensé, ce qui signifie que l’opération est blanche pour l'État. C’est la CRE qui est chargée de centraliser les déclarations des fournisseurs et de les contrôler.

Le calcul du prélèvement TU est fait sur l’année mais son application via une minoration de la facture du consommateur devrait se faire sur une période plus courte (entre le 1er avril et le 31 octobre en principe), ce qui signifie que le consommateur sera moins protégé en hiver lorsque les prix risquent d’être plus élevés, ceci afin de ne pas encourager la consommation d‘électricité lors des pics de demande. L'État pourra néanmoins généraliser le système de minoration à la période d’hiver en cas de crise majeure comme celle que l’on a connue en 2022.

On peut envisager que le tarif unitaire TU soit modulé en fonction des heures, en appliquant une réduction plus forte pour les kWh consommés en heures creuses, afin d’inciter les consommateurs à privilégier ces périodes.

On peut formaliser le système comme suit : soit p le prix de l’électricité sur le marché de gros, Cn le cout complet du MWh nucléaire (estimé aujourd’hui à 60,3 €/MWh par la CRE) et T1 la taxe prélevée par l'État au-delà du premier seuil de taxation et T2 celle prélevée au-delà du second seuil. 

Si p > (Cn + x1) on a T1 = 0,5 (p – (Cn + x1)), avec x1 compris entre 5 et 25 €/MWh
Si p > (Cn + x2) on a T2 = 0,5 (p - (Cn + x1)) + 0,9 (p – (Cn + x2)) avec x2 compris entre 35 et 55 €/MWh

Le taux applicable TU est donné par TU1 = T1/ Qn dans le premier cas et à TU2 = T2/ Qn dans le second cas, où Qn représente la consommation nucléaire totale de l’année. La minoration dont bénéficie le consommateur i est égale à Mi = TU x qi où qi représente la consommation totale d’électricité du consommateur.

On ne peut pas isoler la consommation d’électricité nucléaire de chaque consommateur et tous les consommateurs bénéficieront du reversement quelle que soit la structure de leur consommation d’électricité (forte proportion ou non de nucléaire). Le TU s’applique donc à la consommation totale d’électricité du client et pas seulement à sa consommation d’électricité nucléaire. On peut toutefois envisager que le tarif unitaire TU soit modulé en fonction des heures, en appliquant une réduction plus forte pour les kWh consommés en heures creuses, afin d’inciter les consommateurs à privilégier ces périodes.

Le schéma 1 ci-après illustre le mécanisme

Versement nucléaire universel

Si le prix de gros de l’électricité est inférieur à 65,3 €/MWh, TU est réputé fixé à zéro.

Plusieurs observations peuvent être faites concernant ce mécanisme de protection du consommateur :

1) Il ne jouera probablement pas en 2026 au vu des prix de gros observés et prévisibles. La probabilité que ce prix dépasse en moyenne 65,3 €/MWh est faible.

2) La marge d’appréciation de l'État concernant la fixation des seuils de taxation est forte, ce qui se comprend par le fait qu’il faut à la fois protéger le consommateur et permettre à EDF de recouvrer une marge pour financer ses investissements futurs.

3) Les fournisseurs devront justifier les informations qu’ils transmettront à la CRE, qui les vérifiera, mais dans le même temps il faudra s’assurer que ces fournisseurs seront compensés quasiment en temps réel des minorations  qu’ils auront accordées à leurs clients. 

4) Ce système protège le consommateur d’une envolée des prix de gros et lui garantit notamment que le prix payé ne sera pas disproportionné par rapport au coût du nucléaire français mais aucune garantie n’est donnée à EDF que l’entreprise couvrira ses coûts en cas de prix de marché durablement bas, ce qui est le cas aujourd’hui (de l'ordre de 50 à 60 €/MWh(1)). C’est un mécanisme asymétrique et c’est pourquoi certains lui préfèrent le mécanisme des CfD.

5) Contrairement au mécanisme de l’ARENH, qui garantissait aux consommateurs un volume maximal de 100 TWh à un prix régulé, la protection offerte par le VNU est étroitement liée aux performances du parc d’EDF. En cas de baisse de la production nucléaire, les taxes prélevées sur les recettes de l’opérateur et redistribuées au consommateur seront plus faibles.

Le mécanisme des CfD

Le principe est simple : l'État négocie un prix cible (strike) avec le producteur pour l’électricité vendue sur le marché de gros. En principe, ce prix cible est réputé couvrir les coûts du producteur. Si le prix du marché (prix de référence) est inférieur à ce prix cible, l'État compense la différence (financée soit par le budget général de l'État soit par une accise ou taxe prélevée sur le consommateur d’électricité) ; si le prix de gros est supérieur à ce prix cible, le producteur d’électricité reverse à l'État le surplus obtenu sur le marché. On parle alors de CfD « bilatéral ». Cela correspond au schéma 2 ci-après.

CFD

C’est le mécanisme appliqué de plus en plus pour la promotion des renouvelables (solaire et éolien), et qui leur permet de bénéficier de subventions d’autant plus fortes que le prix du marché est faible. La difficulté, c’est de fixer le juste prix cible et de le modifier en fonction de l’évolution (en général à la baisse) des coûts de production de ces renouvelables et des conditions du marché. C’est pourquoi certains privilégient le CfD « avec corridor ». Cette fois le prix cible n’est pas le même pour calculer la subvention et le prélèvement, comme le montre le schéma 3 ci-après. Entre les deux seuils le producteur bénéficie du prix constaté sur le marché de gros. C’est l'État qui là encore fixe les prix cibles. L’avantage du mécanisme par rapport à celui du VNU, c’est la symétrie dans les versements.

CFD avec corridor

Notons que les producteurs ne sont pas obligés de vendre toute leur électricité sur le marché de gros. Ils peuvent opter pour des contrats hors marché (Over the Counter), notamment via des PPA (Power Purchase Agreements)(2). Il s’agit de contrats pluriannuels de droit privé négociés de gré à gré, à la différence des CfD qui sont des contrats de droit public. Ces PPA dépendent du pouvoir de négociation de chaque partie et ils demeurent évidemment soumis au risque de défaut d’une des deux parties.

Le producteur du nucléaire peut également recourir au mécanisme des CAPN (Contrats d’Allocation de Production Nucléaire) qui sont des partenariats entre EDF et les électro-intensifs : l’industriel s’engage à participer au financement d’une centrale nucléaire et perçoit en contrepartie des droits de tirage sur la production future du nucléaire avec la garantie que le prix qui lui sera facturé sera proche des coûts de production du MWh nucléaire. Ce sont des contrats de long terme (10 à 20 ans). Mais cette fois le client partage le risque industriel avec EDF.

Ce mécanisme VNU semble complexe à mettre en œuvre, et il comporte encore des incertitudes, notamment concernant la fixation des taux de taxation. Le choix de ces taux traduira un arbitrage entre l’intérêt du consommateur et celui d’EDF. Un CfD bilatéral avec « corridor » , du type de ce qui existe pour les renouvelables, serait sans doute plus simple à mettre en œuvre, mais EDF craint qu’en cas de subvention (lorsque le plancher sera atteint) cela ne conduise la Commission européenne à exiger des compensations de type institutionnel.

Sources / Notes

  1. Les prix à terme sont de 52 €/MWh pour 2026 et 55 €/MWh pour 2027.
  2. De l'ordre de 2 à 3 TWh par an (sur 70 TWh solaire et éolien produits).

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Commentaire

LETELLIER
A priori, je viens de comprendre qu'avec des centrales produisant de l'électricité, on pouvait faire des usines à gaz.
Pereta
Le cfd accentue surtout le probleme du defaut d information entre le regulé et le regulateur....
François D
Je connais mal le marché de l'électricité. Le prix de gros sur l'année, c'est quoi ? Un forward sur le baseload ? Ou un baseload calculé a posteriori ? Le prix capturé par le nucléaire sur l'année ? Il me semble qu'il faille bien adresser le prix capturé du nucléaire et, pour le coup, le 65 euros/MWh est loin d'être irréaliste.
Boris Solier
Bonjour, merci pour votre commentaire. Les prix de gros mentionnés dans l'article concernent les prix des échanges sur les contrats de futures français (annuel baseload). Vous avez raison, la référence pour le calcul des revenus du nucléaire ce sont les prix moyens de vente (et donc les prix captés) mais cela donne une idée (d'autant que les prix à terme en pointe sont à peine plus élevés). A noter toutefois que le seuil de 65 euros est un minimum et les pouvoirs publics pourraient choisir de fixer un seuil plus haut (jusqu'à 85 euros le MWh), si toutefois le mécanisme devait effectivement voir le jour..
Schricke Daniel
Il y a bien longtemps que je n'avais pas vu, en effet, "d'usine à gaz" aussi finement ciselée !... Moi qui pensais encore que le gaz était... polluant !...
Albatros
Merci pour ces précieuses explications. C'est en effet assez complexe mais cela doit rester compréhensible pour le citoyen.

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