Post-ARENH : on peut mieux faire

Après des mois de négociations, l'État et EDF ont conclu fin 2023 un accord concernant le partage des revenus de l’électricité nucléaire, que le Gouvernement entend aujourd’hui traduire dans le projet de loi de finances. 

Depuis un an, de nombreux acteurs, industriels, associations de consommateurs, experts et acteurs du secteur de l’énergie, parlementaires, collectivités territoriales, ont attiré l’attention sur les défauts et risques de cet accord, négocié sans eux. Un rapport sénatorial dénonce pour sa part un accord ne garantissant « ni des prix acceptables pour les consommateurs, ni des revenus suffisants pour EDF ».

Ne serait-il pas opportun de les écouter ?

Un dispositif inopérant et risqué

Depuis 2011, l’ARENH fait bénéficier tous les Français des avantages, en termes de prix, du nucléaire historique amorti - et a largement contribué à atténuer l’envolée des prix. Ce mécanisme présentait certainement des défauts – dont tant EDF que les autres acteurs se sont plaints. Certaines de ces critiques étaient légitimes. Il est à cet égard regrettable qu’un bilan objectif de ce mécanisme, et de ses défauts et avantages, n’ait pas été dressé alors que l’ARENH prendra fin le 31 décembre 2025.

Visant à remplacer le système de l'ARENH, l’accord de novembre 2023 permettrait à EDF de déterminer librement sa stratégie de vente (tout en prenant en compte les besoins spécifiques des industriels grands consommateurs d’électricité à travers des contrats dédiés) et organiserait la taxation des revenus excédentaires du parc nucléaire historique au-delà de certains seuils, ainsi que leur redistribution aux consommateurs français. Ce dispositif ne repose pas sur le contrat pour différence bidirectionnel (CFD) issu de la réforme européenne du marché de l’énergie, dont l’extension au nucléaire avait pourtant été âprement négociée par la France(1) car ces contrats permettent de stabiliser les prix pour l’ensemble des acteurs, producteurs ou consommateurs.

Malheureusement, cet accord ne permet ni de corriger les défauts de l’ARENH, ni (surtout) d’atteindre les objectifs qui devraient être ceux de la politique énergétique française : la protection des ménages, entreprises et collectivités face à la volatilité des prix, la compétitivité industrielle (notamment dans un contexte de réindustrialisation), un soutien fort à la transition énergétique (notamment via l’électrification des usages et le besoin de visibilité économique pour les producteurs), et une stabilité budgétaire limitant l’exposition financière de l’Etat.

L’accord ne garantit pas non plus un prix se rapprochant des coûts complets de production (évalués par la Commission de régulation de l’énergie à 60€/MWh). Inversement, il ne permet même pas de protéger EDF, en ne garantissant pas la couverture des coûts de production dans la durée, notamment dans un contexte de prix bas.

Pour son premier anniversaire, l’accord n’a pas tenu ses promesses. Il n’est d’ailleurs pas anodin de noter que Bruno Le Maire, qui l’avait négocié et défendu en tant que ministre de l’économie, s’est publiquement exprimé en faveur de sa révision dès juin 2024.  En particulier, la signature de contrats de long terme (CAPN) entre EDF et les entreprises électro-intensives, est à la peine : à notre connaissance, aucune discussion n’est allée au-delà de la simple lettre d’intention - et les enchères pour les contrats de moyen terme ont du mal à trouver preneur. 

Enfin, la CRE et l’Autorité de la concurrence ont pointé le manque de transparence du dispositif et ses risques pour la concurrence dans le secteur de la fourniture d’électricité.

Il est temps de lancer une large concertation sur la nouvelle régulation du marché de l’énergie 

L’électricité est au cœur des priorités politiques en matière de réindustrialisation, de compétitivité, de décarbonation et de pouvoir d’achat. Dans un monde de plus en plus incertain, il est donc primordial de trouver, collectivement, les solutions les mieux à même de répondre à ces enjeux d’intérêt général, de manière durable et solide.

Pour ce faire, il convient de mettre toutes les options sur la table pour évaluer leurs avantages et limites respectifs, dans le respect des intérêts légitimes de tous, y compris d’EDF. 

Nous appelons donc à la création urgente d’une instance de concertation sur la régulation de l’électricité et le dispositif post-ARENH, rassemblant toutes les parties prenantes, et qui pourrait prendre la forme d’une commission similaire à celle qui avait été mise en place en 2009. La nouvelle Ministre de l’énergie a récemment indiqué qu’elle allait réunir « tous les acteurs concernés » en novembre : nous la prenons au mot. Car pour faire émerger une solution solide et protectrice dans la durée, au bénéfice des consommateurs et de l'intérêt général, nous aurons besoin d'intelligence collective. 

 

Premiers signataires 

  • Vincent Maillard, Président d’Octopus Energy France

  • Fabien Choné, président de Fabelsi, fondateur de Direct Energie

  • Maxence Cordiez, membre du comité des experts de Connaissance des énergies

  • Claude Crampes, professeur émérite à Toulouse School of Economics

  • Hélène Gassin, fondatrice de GP conseil

  • Robin Girard, enseignant-chercheur à MINES ParisTech

  • Naïma Idir, présidente de l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (A.N.O.D.E)

  • Philippe de Ladoucette, ancien président de la CRE

  • Géry Lecerf, président de l’Association française indépendante de l’électricité et du gaz (AFIEG)

  • Frank Roubanovitch, président du CLEEE

  • Jacques Percebois, professeur émérite à l'Université de Montpellier

Les opinions exprimées dans cette tribune n’engagent que les signataires et non les entreprises ou institutions auxquelles ils appartiennent

Sources / Notes

  1. Et qui figure bien à l’article 19 quinquies du Règlement européen 2024/1747 du 13 juin 2024.

Commentaire

DANIEL HOSTALIER
Vos propos manquent de données factuelles lorsque vous prétendez que l'ARENH aurait "fait bénéficier tous les Français d'avantages, en termes de prix, du nucléaire historique amorti - et a largement contribué à atténuer l’envolée des prix". Bien au contraire l'ARENH n'a fait que flamber les prix et surtout permettre à des non-producteurs, transformés en de simples facturiers, de dégager de fortes marges. La stabilité des prix ont été le résultat du bouclier tarifaire imposé par l'état. Notre flambé des prix résulte également de la part importante consacré au développement des ENR qui vient peser sur la facture des entreprises et des citoyens ? Je pensais que vous vous contentiez de communiquer mais manifestement vous prenez parti.
francis legrand
c'est marrant je croyais que la flambée des prix était le fruit de l'indisponibilité nucléaire. Mais j'ai probalement été lobotomisé par un hacker russe
Schricke Daniel
Tout à fait d'accord avec Daniel Hostalier !... Conformément à sa ligne éditoriale habituelle, très anti-nuc, et très favorable, par contre, aux ENRi (qui ont déjà envoyé dans le mur nos amis allemands !...), cet article glorifie les "vertus" de l'AREHN; avec des raguments qui, je l'espère !, ne convainquent personne !... sauf les thuriféraires et Lobbyistes des ENRi....
Georges Studer
« Depuis 2011, l’ARENH fait bénéficier tous les Français des avantages, en termes de prix, du nucléaire historique amorti » : quelle surprise, venant de personnalités dont certaines ont quelques bases en économie ! Cette affirmation péremptoire et évidemment non démontrée est totalement fausse. Disons le simplement : l’ARENH est un dispositif issu du cerveau fertile de ministres de Sarko, effrayé par les menaces de Bruxelles si l’Etat français ne créait pas de la concurrence sur le secteur de l’électricité. Au lieu d’argumenter et plutôt que de démanteler EDF, ce qui était la moindre des choses ! il a été proposé à Bruxelles qu’EDF (à l’insu de son plein gré !) cède à perte à des FUTURS concurrents 25 % de ses MWh nucléaires, le temps qu’ils construisent leurs propres centrales. Evidemment beaucoup on profité de l’aubaine et se sont bien gardé de construire des installations, n’ayant aucune compétence dans le domaine. Ces traders, car il faut bien les appeler ainsi, ont pris leurs marges en jouant les intermédiaires avec 25 % du produit du travail d’EDF. Ils ont pu ainsi vendre à très bas prix et concurrencer EDF, prisonnière de son TRV, mais les consommateurs n’ont perçu qu’une faible part de la "rente" : les procédés malhonnêtes de ces traders dont la presse s’est faite l’écho l’ont prouvé. Il eût été bien préférable de maintenir un TRV correspondant au prix coûtant de production pour EDF, ET tenant compte de la nécessité pour celle-ci de faire des réserves pour financer les futurs EPR, dont Sarko (comme Hollande puis Macron I) a coupablement retardé la décision de construction. Pire, ils ont arrêté Fessenheim qui, rénovée, était en parfait état (dixit l’Autorité de Sûreté). La phrase ci-dessus est donc une aberration totale.
ANTOINE
Bonsoir, N'étant pas expert, j'ai interrogé chatGPT afin de savoir qui avait gagné ou perdu dans la libéralisation du marché de l'électricité, dont l'ARENH est un corollaire. Je vous livre sa réponse ci-dessous, qui "interpelle", et semble donner complètement raison aux deux commentateurs précédents. Les consommateurs français, l'Etat français (= les contribuables) et EDF ont beaucoup perdu au profit principalement des spéculateurs. ChatGPT m'avait par ailleurs rappelé que l'ouverture à la concurrence avait pour premier objectif l'intérêt des consommateurs :-) 1. Les fournisseurs alternatifs : des profits variables Les fournisseurs alternatifs (comme TotalEnergies, Eni, Engie ou Vattenfall) ont bénéficié du système de l'ARENH et de la libéralisation pour s’imposer sur le marché français : Accès à l’électricité bon marché : Grâce à l’ARENH, ils ont pu acheter l’électricité à un prix fixe (42 €/MWh), bien inférieur aux prix du marché, et proposer des offres compétitives. Profits en période stable : Avant les crises, ces fournisseurs ont pu réaliser des marges importantes, car ils achetaient à bas prix et revendaient à des consommateurs parfois moins avertis que ceux qui restaient au tarif réglementé d'EDF. Mais... lors des crises (2021-2022), leur dépendance au marché de gros les a exposés à des coûts élevés : Certains ont réduit leurs offres ou abandonné des segments de clientèle. D’autres ont répercuté les hausses sur les consommateurs. 2. Les acteurs financiers et spéculateurs : les vrais gagnants Spéculation sur le marché de gros : Les traders et acteurs financiers opérant sur les marchés de l’électricité ont pu profiter de la volatilité des prix. La flambée des prix a généré des gains importants pour ceux qui ont spéculé à la hausse ou investi dans des produits dérivés liés à l’électricité. Quotas carbone : Les entreprises ou fonds spéculatifs ayant acheté des quotas carbone à bas prix ont également vu leurs actifs s'apprécier fortement avec la hausse des prix des émissions de CO2. 3. EDF : à la fois perdant et contraint de jouer le jeu Une situation paradoxale : EDF a dû vendre une partie de son électricité nucléaire à bas prix (via l’ARENH), bien en dessous des prix du marché, perdant ainsi des milliards d’euros de revenus potentiels. Dans le même temps, elle a été contrainte de racheter de l’électricité à prix élevé sur le marché pour honorer ses obligations en cas de déficit de production (comme lors des arrêts de réacteurs en 2022). L’État français : Propriétaire majoritaire d'EDF, il a dû intervenir pour compenser les pertes d'EDF et maintenir un "bouclier tarifaire" pour les consommateurs. Cela a limité la hausse des prix, mais au prix d’une explosion des finances publiques. 4. Les États ou entreprises d’autres pays européens Exportation d'électricité : Certains pays voisins (comme l'Allemagne, les Pays-Bas ou la Belgique) ont exporté de l’électricité à des prix élevés vers la France, tirant parti de la baisse temporaire de la production nucléaire française. Compagnies énergétiques étrangères : Des groupes comme TotalEnergies ou Vattenfall ont profité de leur présence sur plusieurs marchés européens pour maximiser leurs marges. 5. Les grandes entreprises énergivores : des gagnants potentiels avec des contrats avantageux Certaines grandes entreprises, comme celles des secteurs industriel et chimique, ont pu sécuriser des contrats à long terme avec des prix d'électricité fixes avant la crise. Cela leur a permis de continuer à bénéficier de tarifs bas tout en évitant la flambée des prix. 6. Et les perdants principaux : les consommateurs français Les ménages : Bien que le bouclier tarifaire ait limité les hausses (15 % en 2023, par exemple), les consommateurs ont vu leurs factures augmenter. Sans ces mesures, la hausse aurait été bien plus marquée. Les offres de marché (souvent promues par les fournisseurs alternatifs) ont explosé, ce qui a particulièrement touché ceux qui avaient quitté le tarif réglementé d'EDF. Les finances publiques : Pour financer le bouclier tarifaire et absorber les pertes d’EDF, l’État a mobilisé des dizaines de milliards d’euros, qui seront finalement payés par les contribuables. Conclusion : qui a vraiment gagné ? Les spéculateurs sur les marchés financiers et du carbone ont sans doute tiré le plus grand profit. Certains fournisseurs alternatifs ont bénéficié de la structure du marché, mais leur position s’est affaiblie avec la crise. Les entreprises étrangères ou exportatrices d’électricité ont aussi profité de la situation. En revanche, les consommateurs français et EDF (donc indirectement l’État) figurent parmi les grands perdants, subissant les effets de choix politiques et économiques liés à la libéralisation et à la gestion du marché européen.
Georges Studer
Essayons de répondre aux interrogations des rédacteurs de l’article : 1- Ce n’est pas le dispositif de CfD, écarté par EDF et le gouvernement, qui aurait été la solution optimale : en effet, Bruxelles aurait examiné les paramètres retenus (prix plancher/prix plafond), très certainement jugé qu’EDF (et le nucléaire !) étaient favorisés, et exigé des contreparties, dont la sempiternelle exigence de démantèlement de l’électricien français 2- Bruno le Maire a regretté l’accord signé avec EDF sur des contrats long terme librement négociés entre EDF et les industriels ? Oui mais c’est sous la pression de ceux-ci qui auraient voulu un autre dispositif plus avantageux (pour eux !) et proche de l’ARENH !!! Rappelons quand même que le dispositif retenu, on ne peut plus libéral, ne peut être combattu à ce titre par Bruxelles, et donc permet le maintien d’un monopole public au service de l’intérêt général. Rappelons aussi que si EDF a placé le curseur bien au dessus de l’ARENH (70 €/MWh à la place des 42 € actuels) c’est pour sortir de la quasi faillite dans laquelle l’ARENH a largement contribué à la placer. Mais aussi pour constituer les réserves financière suffisantes pour les investissements colossaux des années à venir, dans le nouveau nucléaire, les énergies renouvelables et le réseau.
francis legrand
Pour les bas de plafond qui relaient la désinformation de la cohorte de trolls ignares en matière d'ARENH, lisez le rapport de la Cour des Comptes : "Le fait que les revenus couvrent les coûts comptables signifie que la mise en œuvre de l’ARENH et toutes les conséquences opérationnelles de cette mise en œuvre n’ont pas empêché l’objectif de financement de parc existant.La couverture des coûts complets du parc a donc été assurée et les revenus perçus ont même excédé les coûts de l’ordre de 1,75 Md€ sur la période complète 2011-2021". C'est dire si le refrain ouin ouin l'arenh est un spoliation doit être analysé avec des pincettes : il était censé couvrir les coûts selon une méthode que l'Etat n'a jamais publiée ni appliquée, et malgré cela, il se révèle être un exercice à l'équilibre pour EDF. Ensuite, quel esprit obtus peut écrire avec sérieux que "l'ARENH n'a fait que flamber les prix". Vaste blague. L'ARENH a été le prix directeur du prix des consommateurs quels que soient leus fournsiseurs, y compris EDF dont les offres au tarif réglementé devait intégrer cette composante de prix, ainsi que les offres de marché. et prétendre que l'ARENH a été revendu massivement sur les marché de gros est une fake news stupide relevant d'une profond mécaonnaissance du mécanisme puis que toute revente éventuelle était neutralisée par un mécanisme de complément de prix.
Yann
Le système ARENH peche par 2 défauts principaux : - Contrat déséquilibré car il n'y a pas d'engagement dans la durée contre un prix garantit: Pendant des années peu achetaient de l'ARENH qui était sous le prix marginal charbon mais tous en voulaient quand le couple Charbon/CO2 a fait monter le prix de marché au dessus de l'ARENH. Dans le premier cas EDF ne pouvait pas écouler sa production tout en subissant ses charges fixes et ensuite elle ne pouvait profiter des opportunités de marché avec des ventes forcées. - Prix de 42 € basé sur l'adage que le nucléaire n'est pas cher mais qui a conduit aux pertes de disponibilité du parc qui fait que EDF est la seule société du monde de l'énergie qui n'a pas eu de supper profits mais des super pertes avec un marché haut!! Avez vous déjà vu un contrat industriel a prix garantit sans un take or pay ?

Ajouter un commentaire

Sur le même sujet