- Connaissance des Énergies avec AFP
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Alors qu’une cérémonie officielle devait sceller l’attribution du marché des nouveaux réacteurs nucléaires de Dukovany à la société sud-coréenne KHNP le 7 mai dernier, l’intervention de la Commission européenne provoque un nouveau coup d’arrêt (après une plainte d'EDF) dans ce dossier crucial pour la République tchèque.
Bruxelles s’inquiète de potentielles aides publiques à KHNP
Dans une lettre adressée au gouvernement tchèque datée du 2 mai et révélée ce lundi, le commissaire à l’Industrie Stéphane Séjourné a exhorté Prague à suspendre la signature du contrat attribué à la société KHNP. En cause, le respect du Règlement européen sur les subventions étrangères – une législation entrée en vigueur en juillet 2023 – qui vise à préserver l’équité lors des appels d’offres publics.
La Commission européenne soupçonne en effet KHNP d’avoir pu bénéficier de soutiens publics sud-coréens susceptibles de fausser la concurrence, au détriment, notamment, du groupe français EDF, qui avait également candidaté à la construction des nouveaux réacteurs nucléaires.
Un marché clé dans la stratégie énergétique tchèque
Le marché en question porte sur la construction de deux réacteurs nucléaires sur le site de Dukovany, dans le sud de la République tchèque. KHNP propose la réalisation des deux tranches pour environ 200 milliards de couronnes tchèques (près de 8 milliards d’euros à ce jour), avec un chantier censé débuter en 2029 en vue d'une première mise en service en 2036.
Le groupe public tchèque CEZ exploite déjà deux centrales nucléaires : Temelin et Dukovany donc, où seront construites les nouvelles tranches. Ensemble, elles fournissent près de 40% de la production nationale d'électricité – un niveau qui place la République tchèque parmi les pays d’Europe les plus dépendants du nucléaire, derrière la France et la Slovaquie.
Un appel d’offres sous tension judiciaire et diplomatique
La contestation d’EDF devant les tribunaux tchèques a conduit le 6 mai à la suspension in extremis de la signature du contrat, le temps que la justice statue sur la légalité de la procédure d’attribution.
Du côté de l'énergéticien tchèque CEZ, la réaction ne s’est pas faite attendre : "Le contenu de la lettre (de la Commission) doit être rejeté par la République tchèque", a déclaré son dirigeant Daniel Benes. "Les Français feront tout pour empêcher la construction d'une telle centrale", a-t-il accusé.
La Commission européenne souligne pour sa part qu’elle n’agit pas dans l’intérêt particulier d’une entreprise mais comme garante des règles du marché unique. Son porte-parole, Thomas Regnier, précise que "CEZ n’avait pas répondu aux demandes d’information" de la Commission, condition pourtant obligatoire dans la législation communautaire.
D’autres précédents dans l’énergie en Europe
Le terrain de la commande publique est devenu hautement sensible avec l’accroissement de la concurrence extra-européenne, notamment chinoise et désormais sud-coréenne. La Commission européenne a déjà entre autres lancé des enquêtes sur l'arrivée d’opérateurs chinois dans l’éolien (notamment en Grèce et en Roumanie).
Le dossier illustre la forte tension existant actuellement autour des grands marchés énergétiques européens, où se mêlent enjeux industriels, souveraineté stratégique et compétition internationale.