En Californie, l'angoisse d'une enclave pétrolière face à la transition énergétique

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Sous son chapeau de paille, Fred Holmes regarde avec nostalgie le balancement mécanique des pompes de son exploitation, chargées d'extraire le pétrole du sous-sol de Taft. Sans les objectifs climatiques ambitieux de la Californie, les forages "pourraient continuer encore 100 ans", rêve ce producteur.

Mais face aux visées écologiques des autorités, le septuagénaire en est plutôt à évaluer le temps qu'il lui reste avant de fermer boutique: "12 à 14 ans", au train où vont les choses. A cause des réglementations toujours plus restrictives pour accorder des permis de forage, "notre ville a quasiment fermé, c'est presque une ville fantôme".

Neutralité carbone en 2045, fin des forages à la même date, réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40% dès 2030... Le programme politique du "Golden State", pionnier de la lutte environnementale aux Etats-Unis, est déjà bien rempli.

Alors quand le gouverneur Gavin Newsom a annoncé mi-septembre que l'Etat engageait des poursuites contre cinq des plus grosses compagnies pétrolières du monde, les habitants de Taft ont pris ça comme un coup de publicité supplémentaire.

À deux heures de route au nord de Los Angeles, Taft est entourée de milliers de puits de pétrole en plein désert. Avec son musée de l'or noir surplombé par une tour de forage en bois, la petite ville porte en étendard la tradition du comté de Kern, d'où provient 70% du pétrole produit en Californie.

« Sauvez les puits »

Ici, peu importe que la justice détermine si les géants du secteur ont volontairement dissimulé la nocivité des énergies fossiles pour la planète, on veut préserver l'emploi avant tout. "Sauvez les puits", implore un écriteau affiché dans le bar de la rue principale.

"Le changement climatique ne m'inquiète pas, nous ferons avec", confie à l'AFP Mickey Stoner, une retraitée de 75 ans, vent debout contre le programme du "gouverneur Nuisance". Mais "sans pétrole, cette ville va mourir", redoute l'ex-serveuse. "Le pétrole est l'âme de cette ville et du comté de Kern", abonde le maire de Taft, David Noerr.

Les recettes fiscales générées par l'industrie "financent les écoles, les forces de l'ordre, les programmes pour les anciens combattants ou les jeunes sportifs", énumère l'édile républicain.

À l'instar du Nouveau-Mexique, qui assure la gratuité de ses universités grâce à la rente pétrolière, ou du Wyoming, premier producteur américain de charbon, la région symbolise les défis posés par la transition énergétique aux Etats-Unis.

Réduire la production de pétrole de 90% en Californie d'ici 2045 ferait perdre jusqu'à perdre 27 millions de dollars de taxe foncière par an au comté de Kern et supprimerait des milliers d'emplois, selon une récente étude de l'Université de Californie à Santa Barbara.

Reconversion difficile

"Si nous ne créons pas des programmes pour que les travailleurs puissent se reconvertir (...) la transition sera très difficile", explique Ranjit Deshmukh, l'un des chercheurs de l'étude. La Californie vient d'instaurer une telle mesure. Et dans le comté de Kern, les bouleversements sont déjà là. La région est le premier producteur d'électricité renouvelable de l'État : autour de Taft, certains puits de pétrole sont bordés de panneaux photovoltaïques.

Mais le solaire et l'éolien bénéficient d'une exemption de taxe foncière, dommageables aux finances locales. Et ces installations nécessitent bien moins de maintenance que les champs pétroliers. "Ces emplois verts apportent des bénéfices économiques aux habitants de manière intermittente, comme l'énergie qu'ils produisent", soupire le maire.

À contre-courant du gouverneur, le comté se bat en justice pour autoriser des milliers de nouveaux forages car la demande de pétrole reste élevée et le "Golden State" importe 59% de son or noir de l'étranger. "Si nous devons utiliser du pétrole, utilisons d'abord le nôtre", peste le producteur Fred Holmes.

Un vœu qui n'est toutefois pas partagé par tous. "Le climat, c'est important", lâche Bianca Hiler. Dans le restaurant où elle travaille, la serveuse assiste depuis les années 80 à la lente décrépitude de Taft. A 57 ans, cette jeune grand-mère aimerait que la région, minée par la pollution des secteurs agricoles et pétroliers, propose un futur plus désirable. "La qualité de l'air est horrible tout le temps", raconte-t-elle. "Mon petit-fils a de l'asthme, il ne peut même pas respirer."

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