Mozambique : Maputo ouvre un audit sur 4,5 milliards de dollars de surcoûts réclamés par TotalEnergies

  • Connaissance des Énergies avec AFP
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Le gouvernement mozambicain a décidé de faire auditer les pertes liées à la suspension, depuis près de cinq ans, du projet gazier Mozambique LNG opéré par TotalEnergies, alors que la major française chiffre à 4,5 milliards de dollars les coûts supplémentaires engendrés par l’arrêt du chantier après l’attaque jihadiste de Palma en 2021.

Un audit demandé après la levée de la force majeure

Le Conseil des ministres a entériné la relance encadrée du projet, situé sur la presqu’île d’Afungi, au nord du pays. « L'exécutif a approuvé la résolution concernant la reprise du projet Golfinho/Atum de gaz naturel liquéfié », indique un communiqué officiel, qui précise que cette décision « prévoit la réalisation et la validation d'un audit des coûts engagés pendant la période de force majeure et garantit le suivi gouvernemental de toutes les questions liées au projet ».

La force majeure avait été déclarée par TotalEnergies en avril 2021, dans la foulée de l’attaque de la ville de Palma, à proximité du site, qui a fait plus de 800 morts selon l’ONG Acled.

Suspendu depuis, le projet vient de voir cette force majeure levée par le consortium, mais la reprise effective reste conditionnée à l’approbation par Maputo d’un addendum au plan de développement, intégrant un nouveau budget et un calendrier révisé.

Dans une lettre adressée le mois dernier au président mozambicain, TotalEnergies a réclamé la prise en compte de 4,5 milliards de dollars de dépassements de coûts, ainsi qu’une extension de dix ans de la concession, en plus d’un rattrapage des quatre ans et demi perdus. Le gouvernement n’a pas encore indiqué s’il acceptait ces demandes. Le groupe affiche pour l’heure un objectif de mise en production du site à l’horizon 2029, sous réserve de cette validation.

Un investissement de 20 milliards de dollars au cœur de l’essor gazier du pays

D’un montant d’environ 20 milliards de dollars, le projet Mozambique LNG est présenté comme l’un des plus importants investissements privés jamais réalisés en Afrique. Il repose sur l’exploitation en offshore profond des champs Golfinho et Atum et sur la construction, à Afungi, d’une usine de liquéfaction de 13,1 millions de tonnes de GNL par an dans sa première phase.

TotalEnergies en est l’opérateur et premier actionnaire avec 26,5% des parts, aux côtés notamment de la compagnie publique mozambicaine ENH, du japonais Mitsui et de plusieurs groupes indiens et thaïlandais. L’infrastructure vise en priorité des marchés en Asie et en Europe.

Le projet s’inscrit dans un portefeuille plus large de développements gaziers dans le bassin de Rovuma. L’italien Eni exploite déjà une unité flottante de gaz naturel liquéfié, Coral Sul FLNG, et finalise un deuxième projet flottant, Coral Norte, dont la décision finale d’investissement doit représenter près de 8 milliards de dollars. Un autre projet onshore, Rovuma LNG, mené par ExxonMobil, est encore en attente de décision d’investissement.

Pris ensemble, le projet de TotalEnergies, celui d’Eni et celui attendu d’ExxonMobil « pourraient faire du Mozambique un des dix premiers producteurs mondiaux (de gaz), contribuant à 20% de la production africaine d'ici 2040 », selon un rapport du cabinet Deloitte de 2024.

Violences persistantes et controverses autour de la sécurité

L’insurrection menée depuis 2017 par un groupe affilié à l’organisation État islamique dans la province du Cabo Delgado a profondément déstabilisé la région. Selon les données plus récentes d’Acled, 6 257 personnes auraient été tuées en huit ans de conflit.

Si aucune attaque de l’ampleur de celle de Palma ne s’est reproduite, les violences se sont déplacées et fragmentées, avec des cellules mobiles opérant dans plusieurs districts de la province. Des troupes rwandaises et de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) appuient depuis 2021 l’armée mozambicaine pour sécuriser les principaux axes et la zone d’Afungi, sans faire disparaître le risque d’incursions.

Des témoignages recueillis par le média Politico ont en parallèle mis en cause des soldats chargés de protéger le site gazier, accusés d’exactions mortelles sur des villageois en 2021. Ces allégations, relatives notamment à la détention de civils dans des conteneurs à l’entrée du complexe, ont conduit la justice mozambicaine et la commission des droits de l’homme du pays à ouvrir des enquêtes, à la demande aussi de TotalEnergies.

Pressions judiciaires et critiques d’ONG envers TotalEnergies

Sur le plan judiciaire, le groupe français fait face à plusieurs procédures liées au projet. Une information judiciaire a été ouverte en France pour homicide involontaire, à la suite de plaintes de survivants et de familles de victimes de l’attaque de Palma en 2021, qui reprochent à TotalEnergies de ne pas avoir suffisamment protégé ses sous-traitants. Une première plainte au pénal sur ces faits avait été rendue publique en 2023.

Depuis lundi, TotalEnergies est par ailleurs visé à Paris par une nouvelle plainte pour « complicité de crimes de guerre, torture et disparitions forcées », déposée par l’ONG allemande European Center for Constitutional and Human Rights (ECCHR). Celle-ci accuse la compagnie d’avoir financé et soutenu matériellement une force conjointe de sécurité qui aurait commis, entre juillet et septembre 2021, des exactions contre des civils à proximité du site. Des ONG mozambicaines et internationales avaient déjà dénoncé fin octobre les conditions de reprise du projet, accusant TotalEnergies de prendre le Mozambique « en otage » avec ses demandes d’extension de concession et de couverture des surcoûts. Maître d’œuvre de Mozambique LNG, la major s’appuie de son côté sur l’importance macroéconomique du chantier pour défendre sa position.

Le financement du projet est lui aussi l’objet de contestations : un prêt de 4,7 milliards de dollars accordé par l’agence américaine de crédit à l’export (Exim Bank) est visé par un recours d’ONG qui dénoncent les risques climatiques et sociaux associés au développement du GNL au Cabo Delgado.

Reste à savoir si Maputo acceptera de porter une partie substantielle de la facture réclamée par TotalEnergies, alors que le pays entend faire de ses vastes ressources gazières un levier de développement, tout en faisant face à une insécurité persistante et à une forte pression de la société civile.

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