Réforme de la sûreté nucléaire : un ancien député spécialiste du secteur craint une « déstabilisation »

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Réorganiser la sûreté nucléaire tel que l'envisage le gouvernement français est "une faute politique", estime Jean-Yves Le Déaut, ancien député socialiste de Meurthe-et-Moselle et l'un des inspirateurs du système actuel, qui craint une "déstabilisation" du système en pleine relance de l'atome "au moment où on en a le plus besoin".

Ce texte, qui prévoit la création le 1er janvier 2025 d'une "Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection" (ASNR) issue du rapprochement de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), gendarme du secteur, et de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), son expert technique, doit passer mercredi en commission mixte paritaire (CMP), en vue d'une adoption définitive dans les deux chambres du Parlement début avril.

L'exécutif souhaite "fluidifier" la gouvernance et réduire les délais dans les processus d'expertise, d'autorisation et de contrôle, en pleine relance de l'atome. Mais les détracteurs du projet alertent notamment sur un risque de désorganisation du système, de perte d'indépendance des experts et de transparence.

Séparer expertise et décision

Des craintes que partage en partie Jean-Yves Le Déaut. Cet ancien président de l'organisme parlementaire attitré pour évaluer et contrôler le nucléaire civil y voit en premier lieu une réforme préparée dans la précipitation.

Chargé en 1998 par Lionel Jospin, alors Premier ministre, de rédiger un rapport préparatoire à une loi sur le nucléaire, M. Le Déaut avait "passé six mois à auditionner 300 personnes, 88 syndicalistes" : "Je pense qu'il n'y a pas eu les mêmes études d'impact" pour le projet actuellement sur la table, déclare-t-il à l'AFP.

Dans sa réflexion, M. Le Déaut retraçait le parcours de la "culture du secret à celle de la transparence" pour formuler un certain nombre de recommandations et notamment le "renforcement de l'expertise, en séparant expertise et décision", a-t-il rappelé dans un courrier adressé au président Emmanuel Macron en décembre.

« Conflits d'intérêts »

La France était alors le seul pays industrialisé à ne pas avoir de loi sur le nucléaire, une anomalie que Lionel Jospin s'était engagé à corriger, après réception du rapport. Il n'y avait alors "pas d'organisation de la sûreté nucléaire et de la radioprotection" et "aucune transparence", selon M. Le Déaut, ces questions étant gérées par des services ministériels.

Alors que la crédibilité du nucléaire était encore écornée par la communication autour des conséquences sanitaires du nuage radioactif de Tchernobyl, M. Le Déaut avait réfléchi à une organisation de la sûreté, dans laquelle "les citoyens puissent donner leur avis, en regroupant la radioprotection et la sûreté nucléaire". "Cela a mis sept, huit ans à se faire", souligne M. Le Déaut, qui craint que le système ne soit "déstabilisé" pour aussi longtemps par cette nouvelle réorganisation.

Au-delà, parmi les craintes liées au contenu de la réforme, figure en premier lieu celle d'un appauvrissement de la recherche. Un risque induit par les "conflits d'intérêts" que ne manquerait pas de provoquer la réorganisation.

« Ghetto du nucléaire militaire séparé de celui du civil »

L'IRSN avait la possibilité, en tant qu'établissement public à caractère industriel et commercial (Epic), de contracter avec des organismes contrôlés par l'ASN, comme EDF ou l'Andra (agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs). La réforme rendra impossibles des travaux de recherche cofinancés avec ces établissements, selon l'ancien élu.

Autre crainte, en partie liée, celle de voir les salariés de l'IRSN quitter une structure "où les perspectives de carrière seraient réduites et qui aurait plus de difficultés à monter des projets avec des partenaires académiques et industriels français et étrangers".

Il dénonce également un "retour en arrière", du fait du transfert au Commissariat à l'énergie atomique (CEA) des 140 salariés de la Direction de l'expertise nucléaire de défense (DEND), jusque là rattachés à l'IRSN : "On va de nouveau avoir un ghetto du nucléaire militaire séparé du nucléaire civil, alors que finalement, si on a un accident, tout le monde en pâtira", déplore M. Le Déaut.

S'il ne se fait guère d'illusions sur l'issue du vote de la CMP, M. Le Déaut espère néanmoins que les parlementaires amenderont le texte de façon à ce que la nouvelle structure ait un statut, non pas d'autorité administrative indépendante (AAI), mais d'autorité publique indépendante (API), comme l'autorité des marchés financiers.

Cette solution permettrait selon lui à la partie anciennement appelée IRSN de disposer d'une certaine autonomie sur des sujets budgétaire et logistiques et d'éviter ainsi les conflits d'intérêts.

Commentaires

Guillaume

Tiens, on n'entend pas les pro-nucléaires...

Guillaume

Chez moi, grand silence, le chauffage fonctionne au système solaire combiné et mes consommations sont faibles du fait d'une isolation refaite et d'une très bonne inertie. De fait, moins d'appel de puissance au réseau électrique.

Philippe Vesseron

Il y aurait beaucoup de dangers à faire dépérir la recherche dans le système public de maîtrise des risques si la fusion engagée est poursuivie comme elle a été lancée. Jean-Yves Le Déaut a bien raison, sauf quand il fait trop peu confiance à la Commission Mixte Paritaire qui peut remettre le projet sur des rails raisonnables.

Metomol

Ayant travaillé avec ces deux entités durant des années et même bien avant qu'elles ne portent ces noms, j'ai pu observer l'efficacité de ce système qui malheureusement sur les 3 dernières années a un peu dérivé, du seul fait des ego des directeurs. La nature humaine est ainsi faite qu'elle veut toujours supplanter celui qui lui commande des services.Bref en tout cas, changer un système qui était équilibré et qui permettait de financer de la recherche par des contrats extérieurs, est une énorme bêtise. Cette incongruité, née dans les circonvolutions perturbées de quelques esprits se croyant supérieurs du fait d'avoir fréquenté l'ENA, n'apportera que gâchis, retards, et conflits d'intérêt qui seront néfastes à la sûreté nucléaire et à la programmation des futurs réacteurs. Une connerie de plus de c gouvernement

ela recherche

Denis Margot

@Metomol. J’ignore si la nouvelle structure sera plus efficace que l’actuelle, seul l’avenir le dira, mais quand on voit les dégâts que Jospin et ses amis ont fait à la filière nucléaire, le scepticisme de Le Déaut aurait plutôt tendance à rassurer sur la justesse de cette réorganisation.

Guillaume

Les dégâts seront les mêmes que la privatisation des concessions autoroutières : grâce aux alertes de certains, on sait très ce qui va se passer.

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