L’approvisionnement européen en pétrole menacé d’ici 2030 ?

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Production de pétrole

The Shift Project présente les risques pesant sur l'approvisionnement en pétrole de l'UE, en montrant le « verre à moitié vide ». Ici, le champ pétrolier de Snorre A dans les eaux norvégiennes. (©Equinor-Bo B. Randulff & Even Kleppa)

D'ici à 2030, l’Union européenne devrait connaître des contraintes d’approvisionnement en pétrole, souligne un rapport du think tank The Shift Project(1). Explications.

Vers une contraction des approvisionnements en pétrole de l’UE

Plus des deux tiers de l’approvisionnement pétrolier de l’Union européenne en 2018(2) provenaient de seulement 6 pays : la Russie (qui compte à elle seule pour 30% des approvisionnements européens), l’Irak, le Kazakhstan, le Nigéria, l’Arabie saoudite et la Norvège. Parmi ces pays, la Russie(3), le Kazakhstan et le Nigéria devraient voir leurs productions fortement décliner d’ici à 2030, selon les estimations de l’agence norvégienne Rystad Energy(4).

Les sources actuelles d’approvisionnement de l’UE pourraient globalement se contracter, « jusqu’à 8% entre 2019 et 2030 », souligne The Shift Project. La consommation pétrolière de l’UE a certes diminué de 5% depuis 2010 mais le think tank estime que ce « rythme de décrue sera difficile à maintenir au cours de la prochaine décennie » (les réductions de consommation les plus « aisées » ayant déjà été réalisées grâce à des gains d’efficacité énergétique notamment(5)).

Dans ce contexte, l’UE est jugée particulièrement fragilisée, car « dépourvue de sources domestiques de pétrole significatives » (la production au Royaume-Uni et en Norvège est « très largement mature »). Elle pourrait naturellement avoir recours à de nouveaux fournisseurs pour satisfaire sa demande mais elle « entrera nécessairement peu ou prou en concurrence » avec d’autres grandes zones de consommation, en particulier avec la Chine(6). Une confrontation jugée « périlleuse » par The Shift Project (la demande chinoise pourrait augmenter de 3,1 Mb/j entre 2018 et 2030 selon l’AIE), entre autres en raison des importantes réserves de change de la Chine et de « la qualité actuelle de ses relais auprès de nombreux producteurs majeurs », notamment en Irak.

Approvisionnements de pétrole de l'UE
Parmi les pays fournissant actuellement du pétrole à l’UE, seule l’Irak a la « garantie » d’un point de vue technique de pouvoir fortement augmenter sa production d’ici à 2030 (+ 25%) selon Rystad Energy. (©Connaissance des Énergies, d’après The Shift Project)

Précisons qu’il existe des différences significatives dans les approvisionnements d'un pays européen à un autre : l’Allemagne reste par exemple bien plus dépendante au pétrole russe (29% de ses approvisionnements en 2019) que la France (12%).

« Tragique naïveté » des pays de l'UE

Le rapport du Shift Project rappelle que la production mondiale de pétrole brut « conventionnel » a atteint un pic en 2008(7) selon l’Agence internationale de l’énergie (à hauteur de 69 millions de barils par jour). La production de « tight oil » américain (traduit comme pétrole « de schiste » en français) et de liquides issues des puits de gaz de schiste a augmenté de façon spectaculaire au cours de la dernière décennie.

Évolution passée de la production américaine de pétrole
Aux États-Unis, « la production de pétrole brut est largement repassée depuis 2018 au-dessus du pic du brut conventionnel atteint par les Etats-Unis en 1970 » grâce au boom du tight oil. (©Connaissance des Énergies, d’après The Shift Project)

Selon les estimations de l’AIE, la production américaine de tight oil devrait être multipliée au moins par 3 pour « prévenir le risque d’un resserrement de l’offre à l’horizon 2025, en permettant de compenser le manque persistant de nouveaux projets classiques ». Or, Rystad Energy estime que cette production devrait « seulement » doubler d’ici 2025 (de nombreux incertitudes pèsent encore sur ces prévisions)(8).

The Shift Project envisage ainsi un risque important de « resserrement de l’offre » mondiale dès 2025. Ce risque est aggravé par la crise de la Covid-19 qui a entraîné un « gel sans précédent de nombreux projets d’investissements entraîné par l’effondrement des cours du baril »(9).

Projection de l'offre mondiale de pétrole
« La situation de la production mondiale de pétrole peut être comparée à une baignoire qui se vide d’un côté, et qu’il faut sans cesse re-remplir de l’autre », indique The Shift Project. (©Connaissance des Énergies, d’après The Shift Project)

Au niveau mondial, seule la production au Moyen-Orient et aux États-Unis devrait globalement augmenter dans la décennie à venir : l’offre du Moyen-Orient pourrait être en « très large part absorbée par la demande asiatique » tandis que celle américaine répondra en priorité à la demande domestique(10), souligne The Shift Project.

Le think tank dénonce ainsi la « tragique naïveté » des pays de l’UE(11) et appelle à mener des études détaillées sur les risques concernant leur approvisionnement en pétrole. Au-delà de 2030, les contraintes sévères pesant sur l’UE, face à l’évolution de la production mondiale, sont jugées « inexorables »(12).

Sources / Notes
  1. L’Union européenne risque de subir des contraintes fortes sur les approvisionnements pétroliers d’ici à 2030, The Shift Project, juin 2020.
  2. Dernières données d’Eurostat.
  3. Selon Rystad, la Russie a franchi son pic de production en 2019 (11,67 Mb/j) et ses extractions devraient décroître de 9 % entre 2019 et 2030.
  4. Agence d’intelligence économique. « Les pronostics de production fournis par Rystad Energy reposent sur leurs propres estimations, établies en général champ par champ, de l’état des ressources (totalité du pétrole supposé récupérable) et des réserves de ces champs prouvées (récupérables de façon certaine) ou probables (ayant plus de 50 % de chances de pouvoir être récupérées). Ces estimations tiennent compte en particulier de la production actuelle et du niveau d’investissement ».
  5. Mais aussi « à des substitutions relativement aisées dans les transports et le bâtiment, ainsi que par une reprise limitée de la croissance des activités industrielles par rapport à la période précédant la crise de 2008, une relative stagnation du volume du fret routier et enfin une poursuite du déclin de certaines des industries les plus intensives en hydrocarbures ».
  6. Mais aussi avec l’ensemble des pays émergents, en particulier ceux d’Asie et d’Afrique (qui pourraient voir leur propre production baisser dans la décennie à venir).
  7. En 2019, la production mondiale de pétrole conventionnel serait inférieure de 4,4% au niveau de 2008.
  8. Un scénario « globalement en phase » avec celui envisagé par l’AIE sur la période 2017-2025. Le think tank considère que les croissances de la production envisagées sont plus incertaines que les déclins de production attendus.
  9. « Induits par une évolution connue » (champs matures, manque d’investissements, etc.).
  10. « Compte tenu en premier lieu de leurs importations nettes de brut toujours massives en 2019, et en second lieu des larges incertitudes quant à l’avenir du boom du tight oil ».
  11. The Shift Project souligne que l’anticipation est « vitale » et appelle à développer des « contre-analyses prudentielles » face au discours de l’AIE « manquant de transparence ».
  12. À plus long terme, The Shift Project souligne également « des contraintes importantes d’accès au charbon et au gaz naturel risquant d’apparaître dans diverses régions du globe, à commencer par la Chine, bien avant le milieu de ce siècle. Rystad Energy table par exemple aujourd’hui sur un pic de la production mondiale de gaz naturel situé à la fin des années 2030 ».

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