Quelle consommation d’électricité en France en 2050 ? La bataille des chiffres...

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Consommation d'électricité en 2050

Pylône de départ de lignes électriques très haute tension. (©EDF Luminus-Olivier Pirard)

En 2020, la consommation brute d’électricité en France métropolitaine s’est élevée à 449 TWh (soit 5,1% de moins qu’en 2019(1)). De fortes incertitudes portent sur l’évolution de cette consommation d’ici à 2050, qui fait l’objet de prévisions contrastées.

Académie des technologies : entre 730 TWh et plus de 840 TWh en 2050

L’Académie des technologies a publié le 10 mars un avis sur la « perspective de la demande française d’électricité d’ici 2050 »(2). Elle y « propose une évaluation raisonnable de la demande d’électricité en 2050 », qu’elle estime à un niveau annuel compris entre 730 TWh (hors production d’hydrogène et en l’absence de conversion de type « Power-to-Power » pour stocker l’électricité) et plus de 840 TWh(3).

Autrement dit, la consommation française d’électricité augmenterait, dans ces scénarios, de près de 63% à plus de 87% entre 2020 (année certes « exceptionnelle » dans le contexte du Covid) et 2050(4). Parmi les pistes pour freiner cette croissance, l’Académie évoque « faire mieux que 50% d’économies » sur la demande globale d’énergie, ce qui est jugé « sans doute possible dans le secteur du transport mais guère possible pour le chauffage et l’industrie ».

Malgré les efforts d’efficacité et de sobriété énergétiques, l’Académie des technologies souligne entre autres que la forte progression attendue des filières électriques à production intermittente (éolien et solaire photovoltaïque) exigera d’importantes solutions de stockage entraînant des consommations supplémentaires d’électricité (par exemple dans le cas d’un stockage sous forme de molécules gazeuses : hydrogène ou méthane de synthèse).

RTE : autour de 630 TWh en 2050

Le gestionnaire de réseau du transport d’électricité en France RTE « a engagé mi-2019 l’élaboration des futurs scénarios 2050 du Bilan prévisionnel ». Ce travail de prospective a entre autres été jalonné par la publication d’un rapport conjoint avec l’AIE très commenté en janvier 2021(5), puis a fait l’objet d’une consultation publique(6). RTE prévoit de publier son « analyse complète à l’automne 2021 ».

Le gestionnaire de réseau a à ce stade retenu 8 scénarios d’étude sur la période 2020-2060, tous censés permettre d’atteindre la neutralité carbone en 2050 (avec une part du nucléaire allant de 0 à 50% et une part des renouvelables allant de 50% à 100% dans la production électrique française de 2050). Ces différents scénarios, « construits autour des orientations de la Stratégie nationale bas-carbone », prévoient une « forte réduction de la consommation totale d’énergie(7) » et une « croissance modérée de la consommation d’électricité à l’horizon 2050, les effets baissiers liés à l’efficacité énergétique et à la sobriété étant contrebalancés par un développement des usages électriques en vue de décarboner certains secteurs (dans le bâtiment, les transports, l’industrie) » et par la croissance démographique et économique.

Vient alors l’épineuse question du « chiffrage » : la « trajectoire de référence utilisée » par RTE retient une consommation d’électricité « de l’ordre de 630 TWh en 2050 » (en incluant les DOM). Il est précisé que « ces volumes intègrent l’utilisation d’électricité pour la production de gaz de synthèse comme l’hydrogène, amenée à se développer largement dans le futur pour décarboner certains secteurs et apporter de la flexibilité au système électrique », avec le fort développement attendu des filières à production intermittente.

Prospective 2050 RTE

Dans le secteur des transports, la consommation d'électricité devrait augmenter « fortement (environ 100 TWh en 2050) malgré des efforts de sobriété (moindre augmentation du besoin de mobilité par personne), d’efficacité énergétique (efficacité des moteurs) et de modification des parts modales (réduction de la part des véhicules particuliers dans les déplacements de quelques points) qui tendent à limiter l’augmentation », indique RTE. (©Connaissance des Énergies, d'après RTE)

Une prévision stratégique aux lourdes conséquences

Les prévisions relatives à la consommation électrique de la France en 2050 font l'objet de nombreux débats. Réagissant au travail de prospective de RTE, un collectif de 280 ingénieurs anciens élèves de l’École Polytechnique(8) a entre autres demandé au gestionnaire de réseau à ce que « soit étudiée une hypothèse où la consommation finale d’électricité serait [...] de 700 TWh par an, à quoi s’ajouterait une consommation pour produire de l’hydrogène » (soit une hypothèse proche de celle retenue par l’Académie des technologies).

A contrario, le scénario fréquemment cité de l'association négaWatt(9) - qui repose en grande partie sur une forte réduction des besoins d'énergie par « la sobriété dans les usages individuels et collectifs » (les deux autres piliers dudit scénario étant l'efficacité énergétique et le développement des énergies renouvelables) - envisage une consommation française d'électricité réduite à 272 TWh en 2050 (soit une baisse de presque 40% par rapport à la consommation brute de 2020).

L’évaluation du niveau futur de la consommation française d'électricité n’est évidemment pas neutre car elle conditionne les investissements qui seront réalisés dans les capacités de production et de stockage pour maintenir l’équilibre du réseau électrique français au cours des prochaines décennies. Et ces décisions d'investissements doivent être prises au plus vite, compte tenu du temps long requis pour l’augmentation de ces capacités...

Sources / Notes
  1. « Le secteur le plus consommateur reste le secteur des entreprises et des professionnels (47%), suivi par le résidentiel avec près de 38% de la consommation finale d’électricité et enfin la grande industrie qui représente 16 % du volume total », indique RTE. Corrigée des aléas climatiques (et des effets calendaires), la consommation française d’électricité aurait baissé de 3,5% en 2020 par rapport à 2019 selon le gestionnaire de réseau.
  2. Avis Perspective de la demande française d’électricité d’ici 2050, Académie des technologies, 10 mars 2021.
  3. Pour arriver à ces évaluations, l’Académie prend pour hypothèse une substitution de l’électricité au pétrole et au gaz naturel pour tendre vers la neutralité carbone au milieu du XXIe siècle. En prenant en compte une « estimation optimiste du potentiel d’économie d’énergie » dans la lignée de la stratégie nationale bas-carbone (SNBC), l’Académie envisage une division par deux de l’ensemble de la consommation française d’énergie entre 2019 (2 108 TWh) et 2050 (1 054 TWh) et une contribution croissante et « très ambitieuse » de la biomasse (425 TWh par an en 2050, dont 100 TWh par an dédiés à la production d’électricité avec un rendement de 40%).
  4. Dans son avis, l’Académie des technologies mentionne une croissance nécessaire de « la production d’électricité de 55% à 85% » par rapport à 2019 (année de référence dans la publication).
  5. Conditions et prérequis en matière de faisabilité technique pour un système électrique avec une forte proportion d’énergies renouvelables à l’horizon 2050, RTE et AIE, janvier 2021.
    Dans ce rapport, RTE retient comme hypothèse que la part de l'électricité (décarbonée) dans le mix énergétique français passera « de 25% à 50% des besoins énergétiques finaux d'ici à 2050 », RTE estime que la production française d’électricité devrait avoisiner 650 TWh par an à l’horizon 2050 (dont près de 50 TWh par an pour le stockage par « power-to-gas »).
  6. Ouverture de la consultation publique sur les scénarios 2050, RTE.
  7. « (tous vecteurs confondus) au cours des prochaines décennies, via une accélération des actions d’efficacité énergétique mais également des efforts spécifiques de sobriété ».
  8. Lettre au Président du Directoire de RTE, 4 mars 2021.
  9. Dans le « scénario négaWatt », l'électricité compterait pour 31,3% de la consommation finale d'énergie. Le reste des besoins énergétiques étant entre autres satisfait par le GNV (gaz naturel pour les véhicules, 20,6% de la consommation finale en 2050) et la biomasse solide (15,3%).

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