
Projet de SMR à Helsinki (©Steady Energy)
« L’Europe est en retard dans le développement et les premières réalisations de SMR/AMR » mais ce retard est « rattrapable », souligne un rapport de prospective présenté le 9 septembre par la CRE (Commission de régulation de l'énergie).
SMR et AMR
Pour rappel, les SMR (small modular reactors) et les AMR (advanced modular reactors) désignent des petits réacteurs nucléaires de faible puissance (allant de quelques dizaines de MWe à 300 MWe) mais ceux-ci se distinguent « par des niveaux d’innovation et de maturité technologiques différents » : les SMR (comme le réacteur Nuward porté par EDF) sont des réacteurs utilisant la même technologie que la majorité des centrales nucléaires actuelles (à neutrons thermiques avec de l'eau sous pression ou bouillante comme caloporteur) tandis que les AMR désignent des réacteurs ayant recours à des technologies plus innovantes (de Génération IV), avec un fluide caloporteur différent de l’eau (sels fondus, sodium, plomb ou gaz)(1).
Le groupe de travail de la CRE, coprésidé par Anne-Marie Choho (directrice générale de SETEC) et François Lévêque (professeur d’économie à Mines Paris – PSL), souligne l'intérêt de nombreux pays pour ces réacteurs, pour décarboner tant leur production de chaleur que d'électricité.
Les usages les plus prometteurs des SMR (qui pourraient être commercialisés dès les années 2030, bien avant les AMR moins matures) sont les réseaux de chaleur urbaine et la chaleur industrielle inférieure à 300°C en France et dans les pays où l’électricité est déjà décarbonée : « Pour une même taille de réacteur, la quantité d’énergie produite sous forme de chaleur est deux à trois fois supérieure à celle produite sous forme d’électricité »(2).
Une concurrence internationale mais un manque d'investissements
SMR et AMR font ainsi l'objet d'une concurrence « internationale, notamment entre les pays déjà nucléarisés », au sein de laquelle la Chine, la Russie et les États-Unis « ont pris de l’avance », sans pour autant avoir atteint le stade de l'industrialisation.
Seuls trois projets sont actuellement en fonctionnement : le réacteur HTR-PM au gaz en Chine, le réacteur KL-40S, réacteur flottant en Russie et le démonstrateur HTTR au Japon (« qui ne devrait pas cependant déboucher sur une industrialisation en série »).
Si un effet de série n'a pas été atteint, c'est en raison d'un manque de financements, souligne la CRE. « Peu d’États ont affiché publiquement leur stratégie nationale en la matière » (seuls le Canada et la République Tchèque ont publié une feuille de route fixant les principes du cadre réglementaire d’autorisation) et les projets sont souvent portés par des acteurs privés qui ne peuvent pas assumer seuls les risques de l'investissement. Le groupe de travail de la CRE estime de l'ordre « du milliard d'euros » par projet les investissements nécessaires pour construire les premiers prototypes.
Quid de la France ?
« Prise isolément, la France se situe dans le groupe des pays dont les projets sont les moins avancés », note le rapport de la CRE, les projets français étant encore au stade de la conception du design(2). La France présente toutefois « un atout dans la course aux SMR/AMR : son expertise nucléaire, relevée dans le classement de la NEA(3) qui note que ce sont principalement les pays déjà nucléarisés qui développent des technologies de SMR/AMR, alors que des pays non nucléarisés envisagent l’implantation de petits réacteurs sur leur territoire (Pologne, Danemark, Arabie Saoudite, Indonésie) ».
Malgré l'arrêt des projets Superphénix en 2002, puis Astrid en 2019, la France a pu « recueillir des données essentielles pour l’avancement des designs de réacteurs rapides au sodium français (technologie parmi les AMR les plus matures). Elle a, également, doté ses sous-marins de petits réacteurs, toutefois non véritablement modulaires (projets de Technicatome, de Naval Group et du CEA) ».
En France, 12 projets ont été soutenus dans le cadre du programme « France 2030 » lancé en 2021, dont un des objectifs explicites est de « faire émerger en France d’ici 2030 des réacteurs nucléaires de petite taille, innovants et avec une meilleure gestion des déchets ».
Près de 900 millions d'euros de financements publics sont destinés à accompagner les porteurs de projets dans la mise au point d’un prototype de réacteur, « dont une partie notable pour le projet Nuward » (sur ce total, 630 millions d'euros avaient déjà été engagés à fin 2024).
Des recommandations pour rattraper le retard
Le groupe de travail de la CRE a émis 11 recommandations et appelle notamment à :
- atteindre rapidement le stade d’industrialisation et de compétitivité pour les SMR, à un horizon proche de celui des concurrents internationaux et des autres solutions énergétiques (EnR) ;
- déverrouiller, pour les AMR, les plus matures technologiquement, les incertitudes sur l’accès à la matière et à la fabrication des combustibles et accélérer le développement pour sécuriser une contribution aux décarbonations les plus difficiles (chaleur > 300 °C notamment) à horizon 2040-2050 ;
- anticiper les enjeux d’acceptabilité locale (en identifiant notamment la localisation des sites industriels et péri-urbains devant accueillir les SMR/AMR) ;
- mettre en place les compétences et une chaîne de gestion des combustibles usés : un enjeu de moyen terme.