Présidentielle américaine 2024, un scrutin déterminant pour l'énergie : le Parti démocrate

Yvan Cliche

Fellow spécialiste des questions énergétiques, Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM)
Auteur de Jusqu’à plus soif- Enjeux et conflits énergétiques (Fides, 2022)
Finaliste au prix de vulgarisation scientifique Hubert-Reeves 2023

Le résultat de l’élection présidentielle de 2024 influencera de façon notable le développement du secteur de l’énergie aux États-Unis et le positionnement du pays comme acteur d’influence à l’échelle internationale en matière d’énergie et de climat. 

Yvan Cliche, fellow au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal, décrypte les enjeux de cette élection à travers deux tribunes. 

Celle-ci consacrée au Parti démocrate est suivie d’un second volet sur le Parti républicain accessible ici.

Le bilan de l’administration Biden (2021-2024) en matière d’énergie et de climat

Inflation Reduction Act (IRA)

L’action phare de la première administration Biden est l’adoption, en août 2022, de l’Inflation Reduction Act (IRA). Dans son volet énergie, cette loi, qui a cours jusqu’en 2032, vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre aux États-Unis de 50% par rapport aux niveaux de 2005, d’ici à 2030, et à encourager l’adoption de technologies sans émission de CO2.

La loi comporte une série de mesures fiscales et des crédits, visant les citoyens et les entreprises, à hauteur de 400 milliards de dollars US. La loi prévoit des crédits additionnels pour les communautés à faibles revenus et celles dont l’économie dépend des énergies fossiles.

Au total, en deux ans (mi-2022 à mi-2024), la loi a attiré des investissements (manufacturiers et en déploiement) de quelque 493 milliards $ US, comparativement à 288 milliards $ US pour les deux années avant l’adoption de la loi, soit une augmentation de plus de 70%(1).

La majorité de ces investissements ont été réalisés dans des États républicains et auraient créé 300 000 emplois, selon le Clean Investment Monitor et tel que rapporté par le programme électoral démocrate(2). Les États du Sud et du Midwest ont été favorisés par les investisseurs, notamment en raison du coût moins élevé des terrains, de l’énergie et de la main-d’œuvre(3).

En matière de production énergétique, le solaire et le stockage par batteries ont pour le moment obtenu la part du lion des nouveaux investissements énergétiques depuis l’adoption de l’IRA.

L’énergie solaire utilisée dans un réseau électrique (grid-scale) a obtenu 44% des investissements liés à la nouvelle production décarbonée post-IRA et le stockage, 23%. Selon l’industrie solaire américaine, la capacité de production nationale de panneaux a quadruplé depuis le passage de l’IRA. Le pays a installé plus de 32 000 mégawatts de capacités solaires en 2023.

L’éolien a fait moins bien avec 13% des investissements, en raison de délais réglementaires (obtention des permis requis de la part des autorités étatiques) et de la hausse des taux d’intérêt, qui ont rendu les projets moins attractifs sur le plan financier.

Toujours les premiers producteurs mondiaux de pétrole et de gaz

Malgré des mesures visant l’industrie fossile, les États-Unis n’ont jamais produit autant de pétrole et de gaz que durant la période du premier mandat de Joe Biden.

L’Energy Information Administration confirme que les États-Unis trônent au premier rang des producteurs mondiaux de pétrole, ayant atteint une production historique de presque 13 millions de barils/jour en 2023. Le pays ne produisait que 5 millions de barils/jour en 2008. Cette production a permis aux États-Unis d’exporter environ 4 millions de barils/jour cette année-là, un record.

La première administration Biden a aussi été confrontée à la hausse des prix de l’énergie consécutive à l’invasion russe de l’Ukraine. Le prix de l’essence étant un enjeu de premier plan aux États-Unis, le président Biden a autorisé en 2022 la sortie de quelque 200 millions de barils du Strategic Petroleum Reserve (SPR)(4), à raison d’un million de barils par jour. Cela a été, et de loin, le plus important retrait de pétrole du SPR depuis sa mise en place en 1975.

Ce retrait a permis d’atténuer les hausses du prix du carburant et de l’inflation, notamment en vue des élections à mi-mandat de 2022. Ceux-ci ont été en moyenne de 3,60 $ US/gallon sous la présidence Biden, contre 2,57 $ US/gallon sous la présidence Trump(5).

C’est aussi sous l’administration Biden que les entreprises pétrolières américaines (Chevron, ExxonMobil) ont engrangé leurs profits records (2022).

On remarque la même performance étincelante du côté gazier. Avec la crise en Ukraine et les baisses majeures de livraison du gaz russe en Europe, les États-Unis sont devenus un pourvoyeur important de gaz vers l’Europe, et sont devenus les premiers exportateurs mondiaux de gaz naturel liquéfié en 2022, surpassant le Qatar.

Retour des États-Unis dans l’accord de Paris

Sur la scène internationale, l’action phare de l’administration démocrate a été le retour des États-Unis dans l’Accord de Paris. Ce retour a été effectué au tout premier jour de l’administration Biden, le 20 janvier 2021. Par cet engagement, le pays s’est donc commis, comme les autres signataires, à réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) dans le but de limiter le réchauffement de la température du globe à 2 degrés au cours du présent siècle (par rapport aux températures de l’ère préindustrielle).

Le président Biden a nommé une personnalité de haut niveau pour coordonner cette action climatique et représenter les États-Unis dans les négociations internationales sur cette question, soit John Kerry, ex-sénateur démocrate et ex- candidat présidentiel.

Comme envoyé spécial sur le climat, et membre du Conseil national de sécurité, John Kerry s’est efforcé de renforcer le dialogue avec la Chine, principal émetteur mondial de GES, pour l’inciter notamment à réduire son utilisation du charbon dans la production d’électricité.

En novembre 2023, les deux pays se sont entendus pour accélérer le déploiement des énergies solaire, éolienne et autres énergies renouvelables.

M. Kerry a quitté ses fonctions en mars 2024 après avoir représenté son pays aux Conférences des Nations Unies sur le changement climatique (Conference of Parties - COP) entre 2021 et 2023. Il a été remplacé par John Podesta, qui a servi sous les administrations Obama et Clinton.

Programme politique du Parti démocrate

Dans son programme, le Parti démocrate aborde essentiellement l’enjeu énergétique par le prisme de la crise climatique et de la justice environnementale.

L’originalité de l’approche démocrate est de faire de l’urgence climatique une opportunité de positionner les États-Unis comme leader de l’industrie liée à l’efficacité énergétique et aux énergies propres. 

Autrefois souvent abordé comme une contrainte (se déplacer moins, consommer moins), l’enjeu climatique a été traité par la présidence Biden comme une opportunité, celle de réindustrialiser le pays et de se sevrer de sa dépendance envers la Chine. Ce pays domine en effet l’industrie des panneaux solaires et des minéraux nécessaires à sa production.

Cette nouvelle approche, marquée par le retour en vogue des politiques industrielles (moins populaires pendant l’ère de mondialisation des années 1980 à 2020), a lancé une course industrielle mondiale liée à la transition énergétique.

L’Europe a clairement besoin du GNL américain pour y arriver, et rien n’indique qu’une administration Harris-Waltz mettrait des embûches à un tel objectif en faveur de pays alliés.

Dans l’éventualité d’un nouveau mandat démocrate avec l’élection de Kamala Harris, les observateurs ne s’attendent pas à une grande inflexion des actions engagées en matière d’énergie et de climat sous la présidence Biden.

Lors de sa campagne pour la candidature démocrate de 2020, Mme Harris s’est associée au Green New Deal(6) et à une opposition contre les hydrocarbures de schiste et l’extraction en mer. Mais depuis, elle a revu sa position, et ne s’y oppose plus. Elle considère même que cette production fossile accrue renforce la sécurité nationale(7).

Plusieurs interprètent cette position comme la crainte de perdre des voix déterminantes dans les États clés comme la Pennsylvanie, et ce, sans irriter le camp pro-climat qui, de toute manière, se range derrière la candidate démocrate(8).

En matière de gaz, le GNL américain aide l’Europe à se sevrer du gaz russe, dont le continent cherche à se départir pour de bon d’ici 2027. L’Europe a clairement besoin du GNL américain pour y arriver, et rien n’indique qu’une administration Harris-Waltz mettrait des embûches à un tel objectif en faveur de pays alliés.

 

Sources / Notes

  1. Pour un bilan gouvernemental sur l’IRA, avec une représentation graphique, voir Energy.gov, Building America’s Clean Energy Future.

  2. ’24 Democratic Party Platform, p.30.

  3. Jim Tankersley, Brad Plumer, Companies Flock to Biden’s Climate Tax Breaks, Driving Up Costs, New York Times, May 3, 2024.

  4. Ces stocks sont conservés dans des cavernes situées en Louisiane et au Texas.

  5. Prinz Magtulis, Nichola Groom, Jarrett Renshaw and Moira Warburton, Biden Oil Boom, Reuters, March 28, 2024.

  6. Pacte vert, mis de l’avant en 2018 aux États-Unis sous l’impulsion de l’aile gauche du Parti démocrate, axé sur la sorte des fossiles, les énergies renouvelables et la justice climatique.

  7. Étienne Leblanc, Analyse / Trump-Harris : un avenir climatique fait de compromis hasardeux, Radio-Canada, 15 septembre 2024.

  8. Lisa Friedman, New York Times, Harris’s New Strategy: Equate Fighting Climate Change With ‘Freedom’, August 23, 2024.

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