Une exploitation du sous-sol à réinventer

Vice-président du pôle Énergie de l’Académie des technologies

Vice-président du pôle Énergie de l’Académie des technologies
Ancien vice-président de la commission internationale des grands barrages

Pour la première fois, sans doute, dans l’histoire de l’humanité, une transition énergétique n’est pas le fait d’un groupe humain qui découvre une nouvelle source d’énergie ou une nouvelle technologie pour l’exploiter. C’est la communauté humaine dans son ensemble qui décide de diminuer ses émissions de gaz à effet de serre pour infléchir son impact sur le climat à venir.

Le sous-sol fournit abondamment du carbone ou des hydrocarbures fossiles. Pourtant, les pays s’accordent à y renoncer progressivement car ce carbone piégé dans le sous-sol se transforme en dioxyde de carbone lors de la combustion qui produit l’énergie que nous utilisons. Nous devons nous faire à l’idée que l’immense puissance industrielle et stratégique qui trouve ses racines dans le charbon, le pétrole et le gaz va décliner lentement mais sûrement. Est-ce la fin de l’exploitation du sous-sol ?

Les énergies renouvelables quelles qu’elles soient ne sont pas moins consommatrices de surface au sol et d’usage du sous-sol que les énergies carbonées fossiles. En juillet 2018, les Académies des technologies et des sciences remettaient au gouvernement un rapport sur « la stratégie d’utilisation de la ressource du sous-sol pour la transition énergétique française »(1). En réponse, le Président de la République dans son courrier du 22 août 2019 nous dit : « l’ambition que je porte avec le gouvernement implique une évaluation réaliste et une utilisation optimisée de nos ressources naturelles qui constituent des atouts ».

Ce sont le Massif central et le Massif armoricain qui détiennent la majeure partie des ressources minérales potentielles dans l’hexagone, avec de nombreux métaux peu connus et utiles à la transition énergétique comme le lithium, le germanium et les lanthanides associés au cuivre, au plomb et au zinc, le tantale, le niobium, le tellure... La Nouvelle-Calédonie est riche en nickel, en chrome et en cobalt. Le sous-sol de la Guyane contient de l’or mais aussi vraisemblablement du nickel, du cobalt, du lithium, du niobium, du tantale et du tungstène.

Les connaissances sont toutefois inexistantes en France au-delà de 500 mètres de profondeur, ce qui est dommage car les ressources sont exploitables au-delà. À cela, il faut ajouter prudemment les ressources potentielles de notre immense territoire maritime. Dans l’actualité récente, il a par ailleurs été souligné que les eaux géothermales du bassin rhénan contiennent du lithium.

La transition énergétique va nécessiter la construction d’installations de production d’énergie plus consommatrices d’espace, de matériaux de construction traditionnels (fer, béton, cuivre, granulats...) et de matériaux peu utilisés jusqu’ici mais nécessaires à certaines des technologies qui arrivent à maturité ou à venir. Il n’y a aucune raison de penser que le poids économique de ce secteur industriel de l’énergie sera moins demandeur d’investissements, de recherche, de finances que ne l’est, aujourd’hui, l’ensemble des secteurs charbon-pétrole-gaz, ni d’ailleurs moins demandeur de femmes et d’hommes formés à ces technologies.

La mutation industrielle qui commence lentement à s’opérer entraînera des changements profonds qu’il faut anticiper au niveau national car personne ne le fera à notre place et tous les pays sont à l’affût d’opportunités industrielles nouvelles.

Durant une période de transition, les stratégies industrielles se détermineront en fonction de la demande du marché, des disponibilités et des niveaux de maturité des technologies et du coût des matériaux utilisés. Par exemple, il y a consensus pour prévoir un développement global de la mobilité électrique. Ces véhicules seront-ils équipés de moteurs à aimants permanents avec du dysprosium, du néodyme, du samarium ou bien des moteurs bobinés avec plus de cuivre ? Et l’électricité sera-t-elle embarquée sous forme de batteries seules ou hybridées avec des piles à combustible (PAC) et des réservoirs d’hydrogène ? La demande en matériaux du sous-sol n’est pas du tout la même : lithium, cobalt ou autre pour les batteries embarquées, catalyseurs pour les électrolyseurs et les PAC…

Les modes d’exploitation du sous-sol ont un impact sur les prix. Les progrès à attendre sont considérables dans des domaines miniers pour l’instant peu explorés géologiquement et technologiquement. Les marchés en question sont actuellement très petits et une partie des transactions se fait par accords bilatéraux hors marché. Cela peut conduire à de fortes tensions politiques, à des exploitations incorrectes, à des conflits. Quand les quantités auront augmenté, les marchés seront beaucoup plus vastes, il y aura davantage d’acteurs et les règles du marché pourront jouer, fixant les prix et sélectionnant les meilleures méthodes et les meilleures filières.

L’exploitation du sous-sol se fera sur notre territoire ou bien notre pays sera acheteur sur le marché mondial. En France, la perception collective de la mine est traditionnellement associée à l’extraction du charbon et de différents métaux ou minéraux mais les normes ont considérablement évolué. Une norme internationale pour une exploitation minière responsable a été émise en juin 2018(2). Les solutions d’extraction par dissolution ou lixiviation permettent de limiter considérablement l’emprise au sol et l’impact global sur le territoire concerné.

L’enjeu global du sous-sol doit s'inscrire dans le récit collectif de la transition écologique et énergétique. Le sous-sol fournira aussi des capacités de stockage massif de méthane, d’hydrogène et de chaleur, ce qui permettra de gérer les variations de production et de demande et de gérer les risques avec sérénité.

Le sous-sol se trouve ainsi « rajeuni » et son exploitation est à réinventer.

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Commentaire

René

Article très inintéressant. Je trouve l'analyse assez juste mais certainement incompréhensible par nos décideurs qui favorisent toujours le profit de quelques uns.

Pierre-Ernest

"Les connaissances sont toutefois inexistantes en France au-delà de 500 mètres de profondeur, ce qui est dommage car les ressources sont exploitables au-delà".
Cette affirmation est très probablement extensible aux autres pays. Cela signifie que le futur de l'exploitation minérale est à peu près inconnu. Les "prévisions" de certains seront très probablement complètement battues en brèche, et l'avenir sera très différent de ce l'on prévoit.

Hervé

Comme ça c'est déjà passé par le passé... Le pic pétrolier devait être derrière nous, et puis...

Patrick Lebret

Vous pouvez dire que l'inconnue commence en France au delà de 100 m de profondeur sur la plus grande partie du territoire qui fut examiné avant le début de années 1990. Il faut y ajouter le fait qu'à cette époque, seuls une dizaines de métaux de bases ont été examinés tandis qu'on utilise désormais environ 40 du tableau de Mendeleïev et que inventaire des zones à potentiel en métaux a été stoppé avant la fin et que 1/3 des terrains a priori plus favorables n'ont pas été examinés. Ainsi, le lithium n'a été reconnu que par quelques travaux de minéralogistes naturalistes et curieux et on ne sait quasiment rien sur son existence et sa répartition dans nos sous-sol ; il en est de même pour l'indium, le tantale, le niobium.... Dans le même esprit, nous étions les premiers fournisseurs mondiaux en germanium dans les années 1950 et la mine de zinc de Saint-Salvy a fourni aux industriels qui raffinaient le minerai du germanium en quantité (et en sous produit) : rien n'a été fait pour vérifier sa présence à l’échelle du massif central. Un gros travail de reconnaissance reste à faire que des explorateurs miniers pourraient faire si on leur permet de travailler. Mais on sait aussi déjà que l'on dispose de vrais gisements en fluor, tungstène, antimoine, zinc, plomb, or ... qui relèvent déjà presque d'un dossier d'ouverture de mine avec tout l'aspect filières industrielles en aval à relocaliser et le renouveau d'un savoir-faire moderne associé. Un jour peut-être mais quand ? Nos voisins ont déjà commencé à opérer dans cet esprit en tous cas.

Tianasoa

Les connaissances sont toutefois inexistantes en France au-delà de 500 mètres de profondeur, ce qui est dommage car les ressources sont exploitables au-delà". Cette affirmation est très probablement extensible aux autres pays. Cela signifie que le futur de l'exploitation minérale est à peu près inconnu. Les "prévisions" de certains seront très probablement complètement battues en brèche, et l'avenir sera très différent de ce l'on prévoit".
Je partage ce point de vue d'autant plus que Madagascar est un pays sous-développé avec des grands potentiels. Voir alors le cas des Iles Eparses, avec 650 000 km2 de zones économiques exclusives, appartenant à Madagascar mais encore sous la coupe de la France...

Claude MANDIL

Et n'oublions pas, cher Bernard Tardieu, l'exploitation du sous-sol comme stockage de CO2...

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