Dans cette usine de papier, 90 millions d'euros pour une chaudière biomasse géante

  • AFP
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"Le bâtiment sera très haut, mais on a obtenu toutes les autorisations et notre projet a reçu beaucoup de soutien": le long de la Seine, près de Rouen, une énorme chaudière biomasse va bientôt sortir de terre pour remplacer le chauffage au charbon de la vénérable usine de papier d'emballage recyclé appartenant depuis 2019 au britannique DS Smith.

Le secteur du papier-carton est très émetteur de gaz à effet de serre, car il consomme beaucoup d'énergie pour générer de la vapeur d'eau en grande quantité, pour ramollir le papier afin qu'il absorbe mieux la colle, puis pour sécher le carton d'emballage cannelé qui peut être composé de jusqu'à sept épaisseurs de papier ondulé superposées.

DS Smith s'est fixé comme objectif de réduire de 46% ses émissions directes et indirectes en 2030 par rapport à 2019. Il affirme avoir déjà progressé de 15% dans sa décarbonation industrielle.

Le groupe vise -85% d'émissions en 2050, a rappelé à l'AFP son directeur général, Miles Roberts, venu en France pour la pose de la première pierre de la future chaudière, une usine en soi, qui sera exploitée par le groupe Engie Solutions. DS Smith prévoit de compenser ses 15% d'émissions résiduelles avec des projets de compensation carbone (des mécanismes qui sont aujourd'hui rarement aussi efficaces qu'annoncé).

DS Smith, qui investit 90 millions d'euros dans l'abandon du charbon, a bénéficié à ce titre de 15 millions d'euros de subvention de l'Etat, via l'agence Ademe. Une aide "très significative qui a fait la différence pour nous", souligne M. Roberts, qui aimerait pouvoir décarboner ses 400 usines de papier et cartonneries dans le monde de la même façon.

Le groupe a calculé qu'une décarbonation mondiale lui coûterait un milliard de livres, précise M. Roberts. Mais "probablement plus car il s'agissait d'un calcul de 2019".

- "Logique d'économie circulaire" -

"Mais nous n'avons pas le choix", ajoute le patron, même si la situation économique du secteur du papier-carton est "difficile" en ce moment en Europe, en raison de la hausse des taux, de l'inflation et du recul général de la consommation.

En mariant décarbonation et réindustrialisation, il parie surtout sur l'avenir et dit espérer que l'usine presque centenaire de Saint-Etienne-du-Rouvray, la plus grande des quatre usines papetières du groupe en France et des 30 usines de fabrication d'emballages cartonnés, sera ensuite "capable d'exporter vers l'Espagne ou même l'Allemagne".

La chaudière, de 35 mètres de haut, qui fournira 80% de la demande de chaleur du site, sera opérationnelle au premier trimestre 2025. Elle sera alimentée à 30% par des sous-produits de l'usine venus de l'atelier de trituration et à 70% par des déchets municipaux de bois de classe B, c'est-à-dire des meubles peints ou vernis.

"Elle s'inscrit dans une logique d'économie circulaire, car elle va valoriser 1,3 million de tonnes de déchets de bois qui n'étaient pas valorisés jusqu'à présent", explique le préfet de Normandie, Jean-Benoît Albertini. En clair, beaucoup de vieux meubles Ikea récupérés dans les déchetteries, ou des bois de démolition.

Derrière l'usine de papier toute en longueur, le chantier a démarré. Les deux silos ronds de stockage de bois sortent de terre. A côté, des quais sont prévus pour décharger les camions qui convoieront les matériaux.

- Plus complexe -

DS Smith gardera deux autres chaudières à gaz en fonctionnement, car "plus réactives, plus rapides", et pour "servir de backup en cas d'urgence", explique le groupe, qui voudrait passer complètement au biogaz d'ici à 2028.

"L'industrie avance dans la décarbonation, mais les projets qui sont sortis sont les plus simples, on se trouve maintenant devant des solutions de plus en plus complexes," avertit Guillaume Lefrançois, directeur régional délégué de l'Ademe.

Par exemple, la raison pour laquelle la chaleur industrielle n'est pas toujours récupérée vient du fait que la vapeur d'eau est à un niveau de température et de pression difficilement utilisable pour un industriel, précise-t-il.

"La solution est souvent d'aller voir les collectivités attenantes pour alimenter un réseau de chaleur et chauffer des immeubles", mais il faut discuter largement, et ne pas se contenter d'aller voir l'industriel voisin pour lui proposer de récupérer sa vapeur d'eau, ce qui est encore trop souvent le cas, selon lui.

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