Déchets nucléaires : la « bataille » des expropriations s'engage à Bure

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Une "enquête parcellaire" a été lancée lundi afin de permettre à l'Andra d'acquérir les quelque 100 hectares manquants en surface pour développer à Bure (Meuse) son projet Cigéo de stockage des déchets nucléaires, lançant la "bataille" des expropriations, contre lesquelles des opposants au projet militent.

L'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) dispose à ce jour de 84% de la maîtrise foncière nécessaire à l'installation de surface de son futur centre de stockage. "Il reste à acquérir environ 100 hectares" de surfaces principalement "agricoles, des chemins, des routes" et une ancienne plateforme de voie ferrée, précise l'agence.

Près de 200 hectares de tréfonds, sous le sol (entre 250 et 500 mètres de profondeur), doivent aussi être acquis, précise à l'AFP Patrice Torres, directeur industriel de l'Andra. Cette enquête parcellaire, qui entre dans une procédure plus globale d'expropriation, vise à identifier les parcelles, leurs propriétaires et leurs usages, dans huit communes de Meuse et de Haute-Marne.

Aucune habitation concernée

Elle permettra à l'Andra de poursuivre ses acquisitions "à l'amiable", mais l'agence pourra aussi avoir recours à "une procédure d'expropriation" si cela n'aboutit pas. Une telle possibilité lui est offerte depuis la reconnaissance d'utilité publique du projet, par décret en 2022 et confirmée en décembre par le Conseil d'État.

Le projet Cigéo pourrait accueillir au moins 83 000 m3 des déchets les plus radioactifs dans le sous-sol argileux de Bure d'ici 2035-2040. Au total, quelques 300 propriétaires ont été identifiés par l'Andra, mais aucune habitation n'est concernée. Le seul bâtiment visé est une ancienne gare, rachetée par des opposants au projet il y a une vingtaine d'années.

Une quarantaine d'exploitants agricoles, pas forcément propriétaires des terres qu'ils exploitent, sont aussi concernés. Pour eux, outre le versement d'une somme d'argent, l'Andra a choisi de permettre aux plus touchés par l'expropriation (amputés de deux à huit hectares dans un premier temps) de "pouvoir louer ou acquérir des surfaces équivalentes", selon M. Torres.

Pas suffisant, estiment certains. Ainsi, un collectif de maraîchage, "Les semeuses", cultive une parcelle de trois hectares qui doit être amputée de moitié par expropriation. "Mais l'autre moitié ne serait plus cultivable", selon Axelle, membre du collectif, qui regrette cette volonté de "bétonner des terres agricoles". "Ils vont rouler sur nos carottes, notre mâche, ils vont tout détruire", regrette-t-elle, notant "les tensions" que crée le sujet dans la région.

De nombreuses associations opposées au nucléaire mènent un combat contre ce projet, contesté depuis 20 ans. Pour elles, la procédure d'enquête parcellaire n'est pas si simple, et l'expropriation telle que proposée par l'Andra "pas acceptable" pour certains riverains.

« Beaucoup d'amertume »

Parmi elles, la Coordination Stop Cigéo estime que le fait, pour des propriétaires, de "recevoir en recommandé un dossier d'enquête parcellaire en vue d'une expropriation peut être particulièrement déstabilisant, voire traumatisant". S'engage alors "une bataille collective", selon la coordination.

Par ailleurs "sa maîtrise du foncier nous déposséderait un peu plus de notre territoire", notent les opposants. Arguant que "le droit est un outil au service de la lutte", les opposants proposent des réunions d'informations aux habitants afin de leur "détailler les étapes de l'expropriation" et présenter "les différents recours possibles".

Jean-Pierre Simon, agriculteur à Cirfontaines et opposé à Cigéo, explique avoir déjà participé à un "réaménagement" à l'amiable, à la demande de l'Andra, en 2014. Il ne pensait pas avoir encore à céder une partie de ses terres pour le projet, mais a découvert la lettre recommandée: "C'est beaucoup de colère et d'amertume", confie-t-il à l'AFP. Pour lui, la demande de l'Andra n'est "pas recevable en l'état".

L'enquête parcellaire doit prendre fin le 12 avril. Les commissaires-enquêteurs émettront ensuite un "avis sur l'emprise des ouvrages projetés", précise l'Andra, et un arrêté de cessibilité des terrains pourra ensuite être émis par les Préfets de la Meuse et de la Haute-Marne.

La création proprement dite du centre de stockage, pour laquelle une demande spécifique a été déposée en janvier auprès de l'Autorité de sûreté nucléaire, n'est toutefois pas encore actée. Une réponse à cette demande est attendue en 2027, mais des travaux préparatoires pourront être menés en amont, comme les fouilles archéologiques.

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