- Connaissance des Énergies avec AFP
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La diplomatie sur le fil du gouvernement serbe, entre velléités européennes et liens avec la Russie, pourrait mettre le pays dans une situation délicate cet hiver, entre sanctions sur le pétrole russe, dépendance gazière à Moscou et pression de Bruxelles, estiment des analystes.
« Nous devons trouver une solution »
Depuis début octobre, la Serbie tente désespérément de trouver un moyen de lever les sanctions américaines qui frappent la plus importante compagnie pétrolière du pays, majoritairement détenue par des Russes, NIS.
"Le temps presse, nous devons trouver une solution", a résumé en début de semaine la ministre de l'Énergie Dubravka Djedovic Handanovic - qui n'a pas répondu aux demandes d'interview de l'AFP.
NIS, qui opère la seule raffinerie du pays, fournit environ 80% des pompes du pays, et ses réserves devraient permettre de tenir jusqu'au 25 novembre, selon le ministère de l'Énergie.
"La raffinerie doit rester opérationnelle - c'est essentiel pour que l'approvisionnement soit stable cet hiver : si la raffinerie ferme, l'approvisionnement en carburant se raréfiera rapidement et des pénuries suivront", met en garde Zeljko Markovic, un expert en énergie. D'autant que la Serbie n'a pas "les capacités d'importer suffisamment de produits pétroliers pour couvrir les besoins du marché".
Gazprom Neft détient 45% de NIS
En début de semaine, Mme Djedovic Handanovic a annoncé que Belgrade avait demandé à Washington une levée des sanctions arguant de discussions entre les actionnaires russes de NIS - Gazprom Neft et une société sœur baptisée Intelligence - et un "tiers" pour la vente de parts.
Selon les dernières informations disponibles, Gazprom Neft détient 45% de NIS, Intelligence environ 11%, l'État serbe près de 30%, et le reste est distribué entre petits actionnaires.
Ces annonces d'un possible retrait russe laissent M. Markovic perplexe. Jusqu'à présent "ils n'ont fait que transférer des actions en interne", souligne-t-il. "L'option la plus réaliste, qui allégerait réellement la pression serait que l'État serbe prenne le contrôle de NIS".
Un « moyen de pression » sur la Serbie
Si le charbon reste majoritaire dans le mix énergétique serbe, le gaz est important, notamment pour le chauffage urbain des plus grandes villes.
Et là encore, Belgrade est très dépendante de Moscou, à qui elle achète du gaz à des prix inférieurs à ceux du marché depuis des années. Alors que le dernier contrat triennal a expiré il y a plusieurs mois, aucun accord de longue durée n'a été signé et Moscou multiplie les contrats à court terme. Le dernier expire au 31 décembre.
Ces contrats courts "sont un moyen de pression sur la Serbie", analyse M. Markovic, qui imagine que, si aucun accord n'est trouvé, la Serbie pourra continuer à acheter du gaz russe, mais à un prix bien moins favorable.
Selon Srbijagas, la compagnie nationale de gaz, la Russie fournit 6 millions de mètres cubes de gaz par jour à Belgrade, via le gazoduc TurkStream qui passe par la Bulgarie. Ce qui, selon les données officielles disponible pour l'année 2023, équivaut à près de 90% du gaz utilisé.
Même si elle parvient à sécuriser un nouvel accord gazier avec la Russie, les responsables serbes avertissent que les projets européens visant à éliminer progressivement le gaz russe à partir de 2026 pourrait couper complètement sa route d'approvisionnement bulgare.
Des années de « zig-zag » entre Moscou et Bruxelles
Candidate à l'adhésion à l'Union européenne, la Serbie est aussi l'un des rares pays du continent à ne pas avoir imposé de sanctions à la Russie après son invasion de l'Ukraine, et reste vue comme un allié du Kremlin. Une diplomatie sur le fil entre Est et Ouest dont les coutures semblent commencer à craquer.
Cet automne, le président Aleksandar Vucic a accusé la Russie d'utiliser des contrats de gaz pour l'empêcher de nationaliser NIS. "Un message très, très mauvais à tous égards", a lancé M. Vucic.
Moscou, de son côté, n'a pas caché sa frustration face aux tentatives de M. Vucic de courtiser à la fois l'Est et l'Ouest. "Nous entendons une chose lorsqu'il est à Moscou, et l'inverse lorsqu'il est ailleurs", a déclaré la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, début novembre.
Pour Branka Latinovic, une ancienne diplomate serbe, Aleksandar Vucic est pris dans une crise qu'il a lui-même créée, après des années de "zig-zag" entre Moscou et Bruxelles.
"La Serbie récolte les conséquences de l'échec de sa politique étrangère", avance l'ex-diplomate, "une politique d'équilibre fondée sur plusieurs piliers, combinée à une neutralité militaire, ça ne correspond plus au contexte mondial. Et c'est maintenant particulièrement visible avec ce qui se passe autour de NIS".