Immigration et "gilets jaunes": des associations redoutent l'"amalgame" lors du futur débat national

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"Amalgame", "boîte de Pandore"... L'irruption de l'immigration dans le grand débat conçu pour répondre à la crise des "gilets jaunes" passe mal parmi les syndicats et les associations, qui redoutent une "stigmatisation" des étrangers.

L'Élysée a confirmé mercredi que l'immigration serait l'un des cinq thèmes retenus pour le futur débat national voulu par le chef de l'État pour tenter d'apaiser la colère des "gilets jaunes", mobilisés depuis le 17 novembre.

Lors de son allocution lundi soir, Emmanuel Macron avait surpris en annonçant son intention d'élargir à "la question de l'immigration" cette grande consultation qui sera déclinée à l'échelon local. "Je veux (...) que nous mettions d'accord la nation avec elle-même sur ce qu'est son identité profonde", avait-il déclaré.

SOS Racisme a été le premier a tirer la sonnette d'alarme, mettant en garde contre "toute tentative consistant à jeter les immigrés en pâture des frustrations sociales" ou d'en faire des "boucs émissaires".

Premier syndicat français, la CFDT s'oppose, elle, à ce que "+immigration et identité profonde+, pourtant sans lien à la crise actuelle, fasse partie des cinq thèmes de discussion". "C'est incompréhensible et dangereux alors que l'enjeu est clairement la justice sociale!", a ensuite affirmé son dirigeant Laurent Berger mercredi soir sur Twitter.

Le porte-parole du gouvernement Benjamin Griveaux a justifié cette décision en assurant jeudi qu'"on ne peut pas faire la politique de l'autruche", et qu'"avoir peur des débats n'a jamais permis de faire avancer les sujets".

Le sujet de l'immigration reste sensible en France dans le sillage de la crise des réfugiés en 2015-2016. Il est revenu dans l'actualité avant l'approbation lundi du Pacte de Marrakech sur les migrations, dénoncé sur certains forums de "gilets jaunes" comme consacrant un "droit à l'immigration" -- même si le texte de l'ONU, non contraignant, précise que chaque pays restera souverain sur le sujet.

"Il y a une pédagogie à faire, mais est-ce qu'on la fait dans un moment de crise exacerbée?" s'interroge Pierre Henry de France terre d'asile, qui se dit "frappé de la méconnaissance de la réalité migratoire".

- "Laïcité" -

La France compte, selon l'Insee, 6,7% d'étrangers (soit 4,4 millions de personnes), un pourcentage "autour de la moyenne européenne". Elle a accueilli 100.000 demandeurs d'asile en 2017.

"Bien sûr que sur les ronds-points certains parlent beaucoup de concurrence des pauvretés. Mais aborder ces questions suppose une maîtrise du sujet. Qui va pouvoir mener ce débat sur les territoires?", ajoute M. Henry, en redoutant "une énorme foire d'empoigne".

Précisément, la question devant cadrer le futur grand débat sera: "Quelles sont les attentes et les inquiétudes des Français relatives à l'immigration, dans un contexte de mondialisation et de laïcité parfois bousculée ?"

Pour Malik Salemkour, président de la Ligue des droits l'Homme, une telle formulation "pousse à l'expression des inquiétudes" et "à un débat sur l'immigration musulmane". "On risque d'ouvrir une boîte de Pandore", met-il en garde, alors qu'"on a déjà eu dans l'histoire récente une assimilation entre identité et immigration".

En 2009, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, le ministre de l'Immigration Éric Besson avait lancé un débat sur l'identité nationale très controversé.

"Le débat est nécessaire, mais sur la base de faits. Là on est "dans l'amalgame et dans le risque d'ajouter des pulsions xénophobes, et ça ne facilite pas un débat serein sur la place de l'islam en France", a ajouté M. Salemkour.

"On ne sait pas vers où ça va", soupire Maryline Poulain, chargée des sans-papiers à l'antenne parisienne de la CGT, pour qui "on sent monter, avec l'extrême droite, une stigmatisation de plus en plus importante de l'immigration dite irrégulière, comme si on parlait de délinquants".

Dans les associations aussi, le mélange des genres inquiète. "Que vient faire la question des migrations dans celles posées par les +gilets jaunes+, si ce n'est vouloir diviser les luttes et les solidarités?", s'"interroge Renée Le Mignot, co-présidente du Mrap.

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