La nouvelle doctrine nucléaire nord-coréenne, reflet d'une évolution mondiale alarmante

  • AFP
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Les propos du leader nord-coréen Kim Jong Un, affirmant qu'il ne renoncera jamais à l'arme nucléaire, et l'inscription dans la loi d'une doctrine de "frappe préventive" témoignent d'une évolution mondiale alarmante au sujet des armes nucléaires selon des analystes.

Pendant la guerre froide et la période qui a suivi, les arsenaux nucléaires ont servi à la dissuasion, ne devant être mobilisés qu'en tout dernier recours. Mais lorsque la Russie a envahi l'Ukraine en février, tout a commencé à changer, estiment les experts. Les autorités russes ont refusé d'exclure la possibilité d'une frappe nucléaire sur l'Ukraine, et Vladimir Poutine a assuré mercredi que Moscou utiliserait "tous les moyens à notre disposition pour protéger la Russie".

Puis, début septembre, la Corée du Nord, considérée comme un paria sur la scène mondiale en raison de son programme d'armement atomique, a modifié sa législation, déclarant "irréversible" son statut de puissance nucléaire et listant les scénarios pouvant la mener à effectuer une frappe nucléaire. "Nous sommes entrés dans une nouvelle ère, dans laquelle une nation est ouverte à l'utilisation des armes nucléaires, contrairement à la doctrine de la guerre froide", déclare à l'AFP Kim Jong-dae de l'Institut Yonsei d'études nord-coréennes.

En parlant de frappes préventives "automatiques" et du déploiement d'armes nucléaires tactiques, la nouvelle politique de Pyongyang "traduit la réponse de M. Kim à l'évolution de la dynamique nucléaire dans le monde", observe-t-il. Mais il ne s'agit pas seulement d'une réponse destinée à Vladimir Poutine : les États-Unis ont également une responsabilité, ajoute l'expert qui souligne le développement rapide des armes nucléaires tactiques - plus réduites, conçues pour être utilisées sur le champ de bataille - sous le mandat de Donald Trump. "Il ne faut pas assimiler le dernier agissement de Pyongyang à une décision irrationnelle ou au côté imprévisible de M. Kim", avance-t-il. Selon lui, le dirigeant nord-coréen "se montre réactif en s'adaptant à une nouvelle tendance mondiale".

Les pourparlers au point mort ?

En dévoilant la nouvelle politique de la Corée du Nord sur les frappes préventives, Kim Jong Un a exclu de fait la possibilité de pourparlers autour de la dénucléarisation. L'objectif poursuivi par Washington depuis des décennies, qui consiste amener le pouvoir nord-coréen à renoncer à ses armes nucléaires, est aujourd'hui "impossible à réaliser", et Séoul devrait sérieusement envisager d'acquérir ses propres armes atomiques, estime auprès de l'AFP Cheong Seong-chang, du Centre des études nord-coréennes à l'Institut Sejong.

Le nouveau président coréen Yoon Suk-yeol, qui a pris ses fonctions en mai, a exclu cette possibilité, même s'il a laissé entendre durant la campagne électorale qu'il pourrait être ouvert à un déploiement d'armes nucléaires tactiques américaines en Corée du Sud.

La nouvelle doctrine nord-coréenne constitue également "un message au président Yoon", avance M. Cheong. D'après ce chercheur, il s'agit d'un avertissement clair indiquant que "Séoul ne serait pas épargnée par les frappes nucléaires" en cas d'attaque contre le Nord. Le but de cette nouvelle politique est de "souligner que les armes nucléaires de la Corée du Nord sont une composante de son identité nationale et ne peuvent être sacrifiées", observe Mason Richey, de l'Université Hankuk d'études étrangères.

"C'est aussi un message à de potentiels agresseurs : une frappe intentée pour désarmer la Corée du Nord sera vouée à l'échec", ajoute-t-il, estimant que cela accroît les risques pour la région. "Le risque ici est que la Corée du Nord joue dans une dynamique d'escalade", poursuit M. Richey.

« Décapitation du régime »

Selon les analystes, Kim Jong Un tente d'utiliser ses armes nucléaires pour écarter toute menace à son régime. Et ce alors que les armées américaine et sud-coréenne intensifient leur coopération. Selon certaines informations, des commandos des deux pays se sont entraînés à pratiquer des frappes dites de "décapitation" pour éliminer des dirigeants étrangers.

Kim Jong Un "craint apparemment la décapitation du régime lors d'un conflit, voire d'une frappe préventive américaine ou sud-coréenne contre les installations stratégiques de la Corée du Nord", estime Leif-Eric Easley, professeur à l'université Ewha de Séoul. Et le dirigeant de Pyongyang a choisi d'y répondre en "affichant une doctrine nucléaire irresponsable, risquée et agressive".

Séoul et Washington ont condamné la nouvelle loi du Nord, affirmant que toute tentative de Pyongyang d'utiliser l'arme nucléaire serait suivie d'une riposte "écrasante et décisive".

Mais les chances pour que la Corée du Nord subisse des conséquences internationales pour sa nouvelle doctrine sont minces. "La Russie et la Chine étant clairement ennemies des États-Unis, le Nord se sent enhardi et sait que l'application des sanctions sera très molle", avance à l'AFP Harry Kazianis, président du groupe de réflexion Rogue States Project. Pyongyang s'est donc concentré sur l'élaboration "d'un programme de rang mondial en mesure de tuer des millions de personnes en quelques minutes".

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