La Roumanie se rêve en Eldorado européen du gaz

  • AFP
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Du gaz roumain pour chauffer l'Europe centrale et réduire sa dépendance envers la Russie ? L'idée n'est plus si folle depuis la découverte en mer Noire d'importants gisements qui appâtent les investisseurs mais que Bucarest entend chèrement monnayer.

Parmi les pays les plus pauvres de l'Union européenne, la Roumanie fait pourtant des envieux dans le secteur de l'énergie avec une production de gaz à terre qui la rend actuellement quasi indépendante du gaz russe, une exception dans l'est de Europe.

Bucarest veut cependant aller plus loin et valoriser les réserves détectées en mer Noire pour devenir un acteur incontournable du marché. "La position de la Roumanie dans la région est unique et les ressources dont elle dispose peuvent menacer ce qui est vu comme un monopole russe", explique à l'AFP Mark Beacom, PDG de Black Oil Sea & Gas, une compagnie détenue par le groupe américain Carlyle et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd).

Les géants de l'énergie sont sur les rangs: l'américain ExxonMobil, l'autrichien OMV et le russe Lukoil ont lancé depuis plusieurs années des opérations d'exploration des gisements au large grâce à une dizaine de concessions accordées par l'État roumain.

Bientôt leader ?

La Russie est actuellement un fournisseur de gaz naturel incontournable de l'UE qui, notamment depuis les crises du gaz entre la Russie et l'Ukraine, puis entre la Russie et la Biélorussie, cherche des ressources alternatives.

Se fondant sur les annonces des gisements découverts jusqu'ici et sur ses propres analyses, la société d'audit Deloitte estime que 170 milliards de mètres cubes de gaz pourraient être extraits d'ici 2040 en mer Noire. Bucarest table sur 200 milliards de m3.

Ces chiffres représentent l'équivalent de quinze ans de consommation roumaine ou encore quatre ans de consommation française. La production annuelle de gaz roumain, essentiellement à terre pour l'instant, s'élève actuellement à 10,5 milliards de m3 pour une consommation de 11 à 12 milliards.

"Le volume des gisements (au large, ndlr) peut faire de la Roumanie le principal producteur de gaz de l'UE après le Brexit", déclare à l'AFP Razvan Nicolescu, consultant au sein de Deloitte. Le Royaume-Uni et les Pays-Bas, où la production décline, sont les premiers producteurs de l'Union. "Encore faut-il que les compagnies gazières maintiennent leurs projets d'investissements" en Roumanie, souligne toutefois M. Nicolescu.

Car une nouvelle loi adoptée en octobre a mis en suspens des décisions cruciales pour l'avenir du secteur. Ce texte, voulu par la majorité de gauche, instaure des impôts progressifs sur les revenus des producteurs, contraints en outre de vendre 50% du gaz sur le marché local. La Roumanie espère engranger 20 milliards de dollars (17,5 milliards d'euros) sur 20 ans.

Gouvernement inflexible

Cette initiative a déclenché un bras de fer avec les compagnies pétrolières.

"Il n'y a aucune garantie que les compagnies iront de l'avant, vu les conditions fiscales proposées", estime M. Beacom, selon lequel la nouvelle loi "risque de rendre la Roumanie non compétitive par rapport à d'autres producteurs offshore". "Nous sommes en train d'évaluer ce texte mais ne pensons pas qu'une décision finale d'investissement soit possible au quatrième trimestre 2018" comme initialement prévu, a souligné Christina Verchere, PDG d'OMV Petrom.

Les sociétés réunies au sein de l'Association des concessionnaires offshore de la mer Noire (ARCOMN) réclament un "cadre fiscal stable et compétitif", rappelant qu'elles ont investi plus de deux milliards de dollars (1,7 milliard d'euros) depuis 2010.

À la campagne, l'écrasante majorité des ménages de ce pays de 20 millions d'habitants se chauffe toujours au bois. En raison de ce marché domestique limité, la Roumanie est dépendante des groupes internationaux et des exportations pour assurer la rentabilité d'une exploitation au large, estiment les experts.

D'autant que le plateau continental de la Mer Noire, dont elle a récupéré 9 700 km carrés en 2009 au détriment de l'Ukraine à la suite d'un arrêt de la Cour internationale de Justice de La Haye, pourrait receler des gisements encore plus importants.

Le gouvernement roumain se montre pour l'heure inflexible sur son projet de taxe: "permettre que le gaz transite simplement par la Roumanie pour contribuer au développement des pays voisins serait impardonnable", martèle l'homme fort de la gauche Liviu Dragnea.

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