Nucléaire : au sein de la centrale de Chinon, un laboratoire d'EDF traque la corrosion

  • AFP
  • parue le

Le labo des tuyaux : le Laboratoire intégré d'expertises de Chinon (Lidec) d'EDF inspecte la tuyauterie des centrales nucléaires sous toutes les soudures, le plaçant en première ligne dans la crise de la corrosion sous contrainte qui touche le parc français.

Au sein de la centrale de Chinon (Indre-et-Loire), le Lidec --laboratoire unique en France-- s'étend sur plusieurs bâtiments gris où bourdonnent des souffleries. Ses missions: surveiller les cuves des réacteurs, optimiser les programmes de maintenance et vérifier les pièces livrées par les fournisseurs.

Depuis la découverte dans la centrale de Civaux (Vienne) en octobre 2021 d'un problème de corrosion sur des conduites d'eau servant à refroidir le réacteur en cas d'urgence, le Lidec --qui compte une centaine de techniciens, ingénieurs et experts-- travaille à plein régime.

"La tuyauterie a été découpée sur Civaux et est arrivée ici pour réaliser des expertises. Depuis cette date, on a été mobilisés (...) sur la corrosion sous contrainte", raconte Philippe Fièvre, chef du département matériaux et chimie de la direction industrielle d'EDF.

Des fissures ont ensuite été décelées sur des tuyaux d'autres centrales, entraînant des arrêts de réacteurs. Conséquence: cet hiver, un niveau de production nucléaire à son plus bas.

Mais toutes les centrales ne sont pas affectées, ni même tous les circuits dans les centrales touchées.

"Notre rôle est d'apporter notre expertise pour borner le phénomène. La deuxième étape est de comprendre pourquoi on arrive à obtenir quelques fines fissures sur certaines tuyauteries", détaille le cadre d'EDF. "On est vraiment spécialisés sur les expertises de matériaux métalliques, principalement les aciers qui constituent la majeure partie des centrales", insiste-t-il.

« Pas de seuil de tolérance »

Au Lidec, les morceaux de tuyaux en acier de 3 cm d'épaisseur et 25 de diamètre arrivent de partout en France.

Ces échantillons de 30 cm comportant une soudure et pesant une cinquantaine de kilos sont ensuite découpés en morceaux de quelques centimètres. Ils sont polis longuement pour obtenir une surface absolument lisse, un "poli miroir". Une étape nécessaire pour passer sous le microscope optique.

Sur un écran, un technicien fait apparaître des images en noir, blanc et nuances de gris. Une fissure s'affiche, gigantesque. Dans la réalité, elle ne mesure que 300 microns, pour une dizaine de large.

"A partir du moment où il y a un défaut, il faut réparer. Il n'y a pas de seuil de tolérance. Le principe de précaution, c'est la culture EDF", assène Philippe Fièvre.

"On doit montrer que l'on est impartial", insiste-t-il. "Tout ce que l'on fait est vérifiable. Si on cache quelque chose, on perd toute crédibilité. Il n'y a aucun intérêt, ça ne va pas dans le sens de la sûreté. La preuve, c'est qu'on a arrêté nos tranches pour des microfissures."

Dans une autre partie du Lidec, dite "chaude", un technicien actionne avec dextérité des bras mécaniques de plusieurs mètres de longueur. Ils traversent un mur de béton d'un mètre, protégeant l'opérateur des radiations. L'homme, qui porte un dosimètre comme tous les employés, reproduit les mêmes étapes que dans la partie "froide". Mais devant un hublot de verre plombé de 70 cm d'épaisseur.

Dans l'une de ces 17 "cellules de haute activité" que compte le coeur du Lidec, se trouve un microscope électronique. On y vérifie "l'indexation cristallographique locale", c'est-à-dire l'orientation des cristaux autour de la soudure. Bref, la dureté de l'acier.

"La soudure provoque des durcissements sur les tuyaux, ce qui les rend plus sensibles à la corrosion", explique le référent technique Frédéric Renaud. Sous la pression de l'eau, le tuyau en acier inoxydable est soumis à des forces qui peuvent provoquer des "fissurations progressives" autour des soudures.

Et l'expert n'a pas fini d'en examiner... Depuis fin 2021, le Lidec a inspecté 150 soudures et son programme sera encore en grande partie consacré à la corrosion en 2023. Avec, à chaque fois, la crainte de devoir arrêter un réacteur.

Commentaires

Vigor

Dans les années 1980 j'ai eu à faire face à des problèmes de corrosion sous tension sur des tubes de surchauffeur(chaudière de centrale thermique Alstom ).C'était un problème bien connu à l'époque avec les aciers américains austenitiques,,CHEZ EDF également avec la filière sodium
Il y a 3 conditions pour avoir de la corrosion sous tension avec aciers austenitiques(corrosion transgranulaire):
Agent corrosif(sodium,fluor...)
Contrainte résiduelle de 100 MGPa
Température 20/25 degC
Générale la contrainte vient des contraintes résiduelles de soudure et le point important est la procédure de traitement thermique après soudure. Traitement thermique toujours délicat à mettre en œuvre sur le site. Procédure devant être qualifiée,vérification température homogène, contrôle précis montée,maintient et descente en température.
Je m'étonne donc que tous les articles ne mentionnent pas:
la nature de l'acier
Les procédures de traitement thermique
Les contrôles non destructifs après soudure et traitement thermique
Espérons que les erreurs ne seront reproduites

Max Maes

Merci pour ces informations professionnelles.qui améliorent notre connaissance.
Cela change des critiques dogmatiques non constructives. que nous voyons souvent.

Denis Margot

Tolérance zéro… Le rôle d’un laboratoire aussi spécialisé n’est-il pas aussi de jauger le risque et de recommander les démarches à appliquer à tel ou tel cas ? Si la règle est l’arrêt systématique et le remplacement, à quoi bon un laboratoire ? L’arrêt des réacteurs d’EDF pour CSC s’est traduit par plusieurs G€ de pertes, peut-être 10, ce qui est justifié si le risque est avéré, mais non si le risque est quasi inexistant où une approche plus douce aurait pu faire l’affaire sans bouleverser le marché européen de l’électricité et accessoirement mettre EDF en péril.

RADESKY

Bonsoir, M. VIGOR,
Je vois que vous êtes un spécialiste de la métallurgie du soudage et je comprends vos étonnements.
En effet, jamais les différents points que vous mentionnez ne sont dévoilés
Sans doute ces publications ne sont-elles destinées qu'à la vulgarisation et ne concernent pas les spécialistes.
J'aimerai, moi aussi, connaitre ces différents paramètres afin d'essayer de trouver une solution à ces problèmes récurrents dans nos centrales et, qu'enfin, on palie à ces défauts dans les soudures !
Plus de précisions dans mail, si vous le souhaitez.
Bonne soirée.
.Cordialement

Rblase

Ces CSC ne sont pas l'apanage de la France, ces problèmes ont déjà été identifiés aux USA, les solutions prises pour y remédier sont infiniment plus simples et ne posent pas de problème à l"ASN" locale, les microfissures sont identifiées et il y a une recharge de soudure sur place!
SGrY8

Vigor

Bonjour Mr Radesky
Vous pouvez me contacter par courriel si vous souhaitez en parler plus avant
[email protected]
Bonne journée
Cordialement

bayle

Bonjour,
je rejoins totalement les interrogations de Mr Margot. Le principe de précaution n'est-il pas poussé au-delà du raisonnable. Qui ne se souvient des fissures sur les cuves des réacteurs 900 MW, on a su déterminer les dimensions, calculer les cinétiques de propagation et les réacteurs concernés fonctionnent toujours 40 ans après !
Idem dans l'aéronautique, sur des avions de combat on sait calculer la charge admissible sur des structures d'ailes pour que les fissures détectées n'évoluent pas.
Dans les années 80, EDF, Framatome et le Département Sûreté Nucléaire (l'ASN de l'époque), tous tiraient dans le même sens pour démarrer les tranches sans chercher à ouvrir le parapluie !
Cordialement

Ajouter un commentaire