Entre pétrole et promesses vertes : le paradoxe du Brésil de Lula

  • Connaissance des Énergies avec AFP
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Drapeau du Brésil

Le pétrole peut-il aider à en finir avec le pétrole? C'est le credo du président brésilien Lula, qui défend l'exploitation d'hydrocarbures dans son pays, y compris près de l'Amazonie, pour financer la transition énergétique.

Faire de Petrobras « la plus grande compagnie pétrolière au monde »

Selon lui, ce n'est pas incompatible avec ses ambitions de faire du plus grand pays d'Amérique latine une référence mondiale dans la lutte contre le changement climatique, au cœur des débats lors de la COP30, dont il sera l'hôte dans la ville amazonienne de Belém en novembre.

"Le monde n'est pas encore prêt à vivre sans pétrole", a tranché Luiz Inacio Lula da Silva récemment. "Je suis contre les combustibles fossiles à partir du moment où on peut s'en passer. Mais en attendant, nous en avons besoin, car l'argent du pétrole nous aidera à développer les biocarburants, l'éthanol, l'hydrogène vert et d'autres initiatives", avait-il affirmé en début d'année.

Le Brésil est le huitième producteur mondial de pétrole et Lula veut que le géant public Petrobras devienne "la plus grande compagnie pétrolière au monde". Cela ne l'empêche pas de demander aux dirigeants des pays riches de prendre leurs responsabilités dans la crise climatique, tout en s'engageant à éradiquer la déforestation d'ici 2030.

« Plus difficile d'empêcher un pays comme le Brésil » que la Norvège

Contradiction flagrante, jugent ses détracteurs. D'autres louent son pragmatisme. "Il est de plus en plus clair que les pays en développement ne pourront pas compter sur les pays riches pour financer leur adaptation aux changements climatiques", estime Jorge Arbache, professeur d'économie à l'université de Brasilia.

"Il est beaucoup plus difficile d'empêcher un pays comme le Brésil d'extraire du pétrole au fond de l'océan que d'imposer ce type de contrainte à la Norvège, qui s'est déjà enrichie ainsi", ajoute-t-il.

Selon lui, il faudrait plutôt se demander comment utiliser ce pétrole, "et selon quels critères environnementaux".

Ce paradoxe s'illustre tout particulièrement sur la côte septentrionale du Brésil, où une traînée d'eau douce brunâtre de l'Amazone se déverse sur des centaines de kilomètres dans l'océan Atlantique au teint bleu-gris, un contraste de couleurs saisissant visible depuis l'espace.

Après s'être vu refusé en 2023 une licence d'exploration pétrolière au large de l'embouchure de l'Amazone, Petrobras a franchi récemment une étape clé de ce processus auprès de l'organe de surveillance Ibama. La compagnie a indiqué espérer recevoir l'autorisation prochainement, même si elle va devoir reformuler en partie son plan de protection de la faune en cas de fuite de pétrole.

Petrobras espère trouver de nouveaux gisements dans une vaste zone maritime baptisée Marge Equatoriale, où le Guyana voisin est en train de se transformer en gros producteur d'hydrocarbures moins d'une décennie après la découverte d'énormes réserves. Le géant étatique soutient qu'une fuite de pétrole dans la zone qu'il prétend explorer "ne serait probablement pas susceptible d'atteindre la côte" et qu'il n'y aurait "aucun impact direct" sur les communautés autochtones.

« Le pétrole durable, ça n'existe pas »

Mais Suely Araujo, ancienne présidente de l'Ibama, est catégorique : "Le pétrole durable, ça n'existe pas, un point c'est tout", dit-elle à l'AFP. Pour cette coordinatrice du réseau brésilien d'ONG Observatoire du climat, "continuer à augmenter indéfiniment la production pétrolière est une erreur historique".

Si Petrobras découvre vraiment du pétrole au large de l'Amazonie, la production ne devrait pas pouvoir commencer avant une décennie. Or, l'Agence internationale de l'énergie prévoit que la demande de pétrole diminuera après 2030. De quoi remettre en cause la viabilité économique de cette extraction très coûteuse d'hydrocarbures à de grandes profondeurs sous l'océan, selon Suely Araujo.

D'autant plus que l'argent du pétrole déjà produit dans des gisements off-shore au large d'autres régions au Brésil n'a toujours pas "résolu les problèmes sociaux" de ce pays aux immenses inégalités, insiste-t-elle.

La Cour des comptes brésilienne a pointé du doigt cette année de "sévères dysfonctionnements" dans le système de redistribution des richesses du pétrole, dont le Brésil exporte plus de la moitié de sa production. Enfin, selon les estimations de Shigueo Watanabe Jr., chercheur de l'Institut ClimaInfo, la combustion des réserves estimées dans la zone que Petrobras cherche à explorer pourrait représenter 2,5 milliards de tonnes équivalent CO2 relâchées dans l'atmosphère, soit davantage qu'un an d'émissions brésiliennes actuellement.

"Il est incohérent de parler d'une transition liée à la destruction", juge auprès de l'AFP l'activiste indigène Neidinha Surui, qui a consacré des décennies à la défense des terres autochtones. Lula "contribue à exercer une pression sur le climat et à détruire la planète, accuse-t-elle. J'espère qu'il changera d'attitude."

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