L'acquisition d'Alstom énergie par GE, puis des activités nucléaires par EDF

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(©France 3)

L’Américain General Electric (GE) puis l’Allemand Siemens se sont positionnés pour racheter les activités liées à l’énergie du groupe français Alstom, finalement remportées par GE. L'exécutif français a pesé de tout son poids dans ce dossier pour préserver les intérêts industriels de la France. Mais des soupçons d'ingérence américaine ont été émis en raison des circonstances entourant cette acquisition stratégique.

Si GE tiendra l'essentiel de ses promesses, il n'arrivera pas à développer l'activité. En 2024, celles relatives au nucléaire sont revendues à EDF.

Le rachat du pôle énergie d'Alstom par General Electric

Alstom est un fleuron industriel français spécialisé dans l'énergie et les transports.

La branche énergie d'Alstom comprend les équipements pour centrales électriques thermiques (nucléaire, à charbon, gaz ou fioul), les infrastructures de réseaux (lignes électriques, smart grids, etc.) et les activités dans les énergies renouvelables (hydraulique, éolien, géothermie, biomasse, photovoltaïque, énergies marines).

GE montre son intérêt, suivi de Siemens, avec l'attention de l'Etat

Jeudi 24 avril 2014, General Electric fait part publiquement de son intérêt pour les activités d’Alstom liées à l’énergie. Le géant américain a un chiffre d’affaires plus de 5 fois supérieur à celui d’Alstom et des activités très variées : eau, énergie, aéronautique, médical, éclairage, finance, etc. Il dit être prêt à investir de l’ordre de 10 milliards d’euros pour racheter la branche énergie d’Alstom, dont le chiffre d’affaires avoisine 15 milliards d’euros en 2013.

Le groupe Bouygues, principal actionnaire d’Alstom avec 29,5% des parts, est alors favorable.

Dimanche 27 avril, Siemens s’invite à la table des négociations en annonçant être également intéressé par la reprise de la branche énergie d’Alstom. La transaction, vue d'un bon oeil par le gouvernement allemand, comprenant en outre le transfert d’une partie des activités de transport ferroviaire de Siemens vers Alstom (trains à grande vitesse ICE). L’activité d’Alstom serait alors entièrement consacrée à ce secteur qui constituait 27% de son chiffre d’affaires en 2013.

Cette opération touchant un des fleurons de l’industrie française sème le trouble au Gouvernement. Le ministre de l’Économie Arnaud Montebourg dit refuser le rachat par General Electric comme un fait accompli et annonce que le Gouvernement « travaille à d'autres solutions » pour Alstom et affiche sa « vigilance patriotique ». 

« L'État a forcément à dire son mot parce qu'il est celui qui commande, non pas l'entreprise, mais qui commande à l'entreprise un certain nombre d'achats dans des secteurs tout à fait stratégiques, notamment l'énergie », insistait François Hollande, ajoutant : « c'est la raison pour laquelle l'État utilise cette position [...] pour que les offres soient améliorées dans le sens de la localisation des activités en France et de l'emploi en France ».

Ce suivi politique n’a rien de surprenant tant l'entreprise est l’un des symboles industriels de la France. En 2004, le ministre de l’Économie Nicolas Sarkozy était déjà intervenu en nationalisant partiellement les activités du groupe. L’État français n’est toutefois plus actionnaire du groupe depuis 2006.

François Hollande aura également reçu à plusieurs reprises les dirigeants de General Electric et de Siemens à l’Élysée. Dans une lettre envoyée fin avril au président de la République au lendemain de leur entrevue, le PDG du groupe américain, Jeffrey Immelt, assurait que « grâce aux activités d'Alstom que nous envisageons d'acquérir, notre objectif est de donner naissance à un leader mondial de l'énergie en France, notamment en y implantant quatre sièges mondiaux (turbine à vapeur, énergie hydraulique, éolien offshore et réseaux), en renforçant nos investissements dans les domaines créateurs d'emploi que sont la production et l'ingénierie de pointe ». Le dirigeant a souligné la complémentarité des activités d'Alstom et de GE, qui comptait 10 000 salariés dans l'Hexagone, contre 18 000 pour le groupe français : « GE et Alstom sont complémentaires à de nombreux égards, en particulier sur les plans technologique et géographique, et nos activités respectives présentent très peu de recoupements ».

Quelques jours plus tard, il transmet une offre ferme de 12,35 milliards d'euros au conseil d'administration d'Alstom. En mai 2014, GE s'engage aussi auprès du gouvernement à créer 1 000 emplois en France d'ici à 2018. Plus tard sera ajoutée une pénalité de 50 000 euros pour chaque emploi non créé.

Le PDG d'Alstom M. Kron validait lors d'une audition devant la commission des Affaires économiques de l'Assemblée nationale l'offre de reprise de GE : « J'ai le sentiment que l'offre que nous avons reçue de General Electric, c'est une excellente option pour garantir l'avenir des activités énergie d'Alstom, l'avenir de ses sites et l'avenir de ses employés ».

Un "plan C" avec des capitaux français publics ou privés avait aussi été étudié par le Gouvernement.

Le décret Alstom

En mai 2014, un "décret Alstom" étend à l'énergie, aux transports, mais aussi à l'eau, aux télécoms et à la santé ; le mécanisme qui permet à l'Etat de protéger les entreprises stratégiques d'appétits étrangers depuis 2005.

« On adopte un dispositif qui existe déjà par ailleurs, comme en Allemagne, en Italie, en Espagne, de même qu'aux Etats-Unis. Bien entendu, la France reste ouverte aux investissements étrangers, mais dans les cas sensibles la puissance publique doit avoir son mot à dire et le dossier Alstom nous a fait prendre conscience qu'on avait besoin d'un dispositif de ce type », avait fait valoir Matignon.

Ce décret Alstom est destiné à « construire des alliances » et non à « bloquer » les investissements étrangers, avait affirmé son inspirateur, le ministre de l'Economie Arnaud Montebourg.

L'offre de MHI et Siemens

Le groupe japonais Mitsubishi Heavy Industries (MHI) s'est aussi invité dans la danse. MHI et l'allemand Siemens ont fait une offre conjointe de 7 milliards d'euros sur la branche énergie d'Alstom ; Siemens proposant de racheter pour 3,9 milliards d'euros ses activités turbine à gaz, tandis que MHI prendrait MHI injecterait 3,1 milliards d'euros pour les turbines en numéraire dans Alstom et formerait trois co-entreprises.

Siemens et MHI ont annoncé par la suite une amélioration de leur offre en numéraire de 1,2 milliard d'euros, de 400 millions pour les tirbunes et de 800 millions pour les turbines. Et Siemens proposait également une coentreprise dans le management de la mobilité, incluant les activités de signalisation.

Mais il était déjà trop tard, puisque l'Etat annonçait le même jour avoir choisi l'offre de GE.

L'Etat choisit General Electric

En définitive, c’est donc bien General Electric qui mettra la main sur une partie des activités d’Alstom. Il a été jugé que l’offre concurrente de Siemens/Mitsubishi Heavy Industries « ne répondait pas de manière adéquate à l’intérêt social d’Alstom ni à celui de l’ensemble de ses parties prenantes » selon les termes d’Alstom.

Le 20 juin 2024, l'Etat annonce choisir l'offre de GE et le Conseil d'administration d'Alstom enterrine l'acceptation de l'offre le lendemain.

Le ministre de l'Economie, Arnaud Montebourg, assurait que le projet d'un groupe franco-allemand de l'énergie qui aurait été composé par Alstom et Siemens s'était « heurtée aux règles de la concurrence » de Bruxelles, de l'aveu du patron de Siemens Joe Kaese. Un obstacle à la création de champions européens, tançait Montebourg, qui se félicitait toutefois d'avoir « gagné la bataille industrielle ».

Alstom et General Electric ont aussi constitué des co-entreprises dans 3 domaines avec des participations à 50/50 : les réseaux (incluant l’activité Digital Energy de General Electric), l’éolien en mer et l’hydroélectricité et les activités nucléaires. Par ailleurs, General Electric a vendu à Alstom son activité de signalisation ferroviaire afin que le groupe français renforce son pôle Transport.

Arnaud Montebourg a par ailleurs annoncé qu’un accord avait été conclu le 22 juin avec Bouygues prévoyant la cession de 20% des parts d’Alstom pour que l’État français en devienne l’actionnaire principal.

    Dossier Alstom

En novembre 2014, le gouvernement français via son nouveau ministre de l'Economie M. Macron son feu vert formel à la transaction. En septembre 2015, la Commission européenne et le DoJ américain donnent leur aval à la transaction, ce qui permet à GE d'acquérir le pôle énergie d'Alstom pour 9,7 milliards de dollars officiellement au début du mois de novembre 2015. C'est la plus grosse acquisition de son histoire.

Concernant Alstom Transport, la branche emblématique d'Alstom qui construit les TGV, elle est devenue une entreprise autonome.

Un problème de sécurité nationale ?

Le rachat de la branche énergie d'Alstom par l'américain General Electric pose le problème de la sécurité et de l'indépendance nationale, le groupe français fournissant notamment les turbines des sous-marins nucléaires de la dissuasion, comme l'a résumé Eric Denécé, directeur du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R).

Il s'avérerait que les centrales nucléaires françaises, le porte-avions Charles de Gaulle et surtout les quatre sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE), « fondement de notre dissuasion nucléaire et donc de notre indépendance nationale », sont équipés de turbines Alstom, produites par la branche énergie du groupe. Elles sont un élément essentiel de ces systèmes, puisqu'elles fournissent l'alimentation électrique à la propulsion et aux systèmes auxiliaires.

Pour cet expert, le rachat de la branche énergie d'Alstom conduirait « à l'abandon total d'une expertise capitale dont la France a par ailleurs payé le développement depuis de longues années, jusqu'à devenir l'un des leaders mondiaux du domaine ». Surtout, assure Eric Denécé, cela reviendrait « à laisser partir entre des mains étrangères la capacité à concevoir, développer et produire nous-mêmes ces pièces mécaniques essentielles, et donc à devenir dépendants des Etats-Unis en la matière ».

Cependant, informé de ces observations, Alstom avait déclaré que les turbines équipant les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE) n'étaient pas fabriquées par le groupe français, mais par la filiale de General Electric, GE Thermodyn.

General Electric, via sa filiale Thermodyn dont l'usine est implantée au Creusot, fournit déjà les turbines à vapeur des six sous-marins nucléaires d'attaque (SNA) de type Rubis. GE/Thermodyn avait également été sélectionné par la Direction des constructions navales (DCNS) en 2007 pour fournir les turboalternateurs et les turbines de propulsion de la nouvelle série de six SNA du type Barracuda de la Marine nationale dont les livraisons sont prévues entre 2016 et 2027.

La patronne de GE France Clara Gaymar avait assuré en mai 2014 que les turbines à vapeur d'Alstom resteraient dans l'Hexagone. « La production sera en France, la propriété intellectuelle sera en France ».

Les soupçons d'ingérence américaine

Le rachat d'Alstom par General Electric a soulevé des soupçons d'ingérence américaine en raison des circonstances entourant cette acquisition stratégique. Alstom possédait des technologies essentielles pour les infrastructures critiques, y compris celles de défense.

Alors que le Gouvernement français était initialement réticent à ce rachat, GE a finalement bien réussi à acquérir la branche énergie d'Alstom.

Des observateurs ont relevé des pressions américaines subtiles et ont pointé du doigt l'arrestation de Frédéric Pierucci, un cadre dirigeant d'Alstom, par les autorités américaines. Cette arrestation, jugée par certains comme une manœuvre de coercition, aurait facilité l'acceptation de l'offre de GE en affaiblissant la position d'Alstom. Frédéric Pierucci, alors vice-président de la division chaudière d’Alstom, a été arrêté en avril 2013 par le FBI aux États-Unis pour des soupçons de corruption en Indonésie, en vertu de la loi américaine FCPA (Foreign Corrupt Practices Act). Cette arrestation a coïncidé avec une période cruciale de négociations entre Alstom et GE, accentuant les soupçons d’une instrumentalisation de la justice américaine pour favoriser les intérêts de GE. En décembre 2014, le groupe français avait payé une amende record de 772 millions de dollars aux États-Unis pour des faits de corruption dans plusieurs pays.

L’affaire a révélé la vulnérabilité des entreprises étrangères face aux lois extraterritoriales américaines, qui peuvent être utilisées pour faire pression sur leurs dirigeants. Libéré après plusieurs de deux ans de prisons, Pierucci a depuis dénoncé cette affaire comme une « guerre économique » menée par les États-Unis(1).

Patrick Kron, PDG d’Alstom à l'époque, a joué un rôle central dans le processus de vente. Il a toujours affirmé que l’opération avec GE était dans le meilleur intérêt d’Alstom, notamment pour sauver des emplois et maintenir l'entreprise compétitive. Cependant, la manière dont il a géré cette vente a suscité de vives critiques, certains l’accusant de n’avoir pas suffisamment résisté aux pressions américaines.

Dans un courrier du 29 avril 2014 directement adressé à Patrick Kron, la direction de l'industriel allemand Siemens avait déploré le « manque de coopération » du dirigeant français et avait dénoncé une inégalité de traitement avec le prétendant américain. Patrick Kron avait aussi réfuté en mai avoir voulu mettre le gouvernement devant le fait accompli en concluant secrètement un accord avec GE, même si la révélation dans la presse fin avril de l'existence de discussions avancées avec le groupe américain a conduit les administrateurs à surseoir pour un mois à une décision.

Kron a toujours défendu sa position en expliquant que l’alternative aurait été une dégradation financière de l'entreprise. « Les faits m'ont donné raison sur la nécessité d'agir et également sur le choix du partenaire qui a été retenu », General Electric, a jugé Patrick Kron. Selon lui, « Alstom n'avait plus la taille critique » et s'était retrouvé en grande difficulté alors que ses marchés s'effondraient.

Mais pour beaucoup, l’affaire Alstom-GE est devenue un symbole de l’influence économique américaine et de la faiblesse de la protection industrielle française.

Les difficultés de GE en France et des promesses pas toutes tenues

M. Flannery prend la tête d'un GE endetté en août 2017 et a pour tâche de relancer le conglomérat fortement endetté et en perte de vitesse après avoir échoué à anticiper le retournement des marchés énergétique et pétrolier.

En octobre 2017, GE annonce la suppression de 350 postes à l'usine GE/Hydro Alstom de production et conception de turbines hydroélectriques de pointe de Grenoble, sur un total de 800.

En novembre 2017, GE annonce un vaste plan de restructuration du groupe, visant à se recentrer sur trois activités : aéronautique, santé et énergie. Il s'accompagne de milliers de suppressions d'emplois pour réduire ses coûts. Le PDG déclare qu'« Alstom s'est révélé très décevant, en dessous de nos attentes ». S'il a loué la qualité des personnels et en particulier des ingénieurs d'Alstom, il a regretté le temps qu'a pris la finalisation de l'acquisition et a également expliqué que la performance d'Alstom était particulièrement mauvaise dans les énergies renouvelables.

En mai 2018, Alstom rompt ses derniers liens avec GE, en signant un accord avec le groupe américain pour sortir du capital de trois co-entreprises créées en 2015 et lui générant 2,6 milliards de dollars. GE en aura la propriété pleine et entière, sauf sur la partie nucléaire, puisque l'Etat français conserve sa golden share sur la joint-venture nucléaire, soit une action spécifique lui accordant des privilèges de souveraineté.

En juin 2018, GE a renoncé à son engagement de créer un millier d'emplois en France, prétextant un « environnement difficile ». Le nombre d'emplois nets créés depuis le rachat s'élevait à 25, malgré 3 000 recrutements. En conséquence, GE a dû abonder un fond de réindustrialisation doté de 50 millions d'euros logé à la Caisse des dépôts et consignations. GE a toutefois rappelé avoir tenu ses autres engagements, à savoir la création de quatre sièges mondiaux en France, celle de trois co-entreprises avec Alstom, la non-fermeture de sites en France et la présence d'un Français au conseil d'administration du groupe, en plus d'un milliard d'euros d'investissements.

Mais la division énergie (Power) de GE ne parvient toujours pas à se remettre de la chute des prix de l'électricité de gros, de l'effondrement des commandes de turbines - qu'elle n'a pas su anticiper - et des surcapacités dues à une augmentation du nombre de fermetures de centrales thermiques et du développement des énergies renouvelables (solaire et éolien). Le groupe a confirmé des problèmes d'oxydation sur sa nouvelle génération de turbines, pourtant censée lui permettre de mieux braver la concurrence. En mai 2019, General Electric annonce envisager jusqu'à 792 suppressions de postes dans l'entité gaz, et 252 dans celle dédiée aux fonctions supports.

La reprise des activités nucléaires par EDF

Au printemps 2021, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a exprimé son souhait de « sécuriser » les turbines Arabelle de GE, essentielles pour la relance nucléaire de la France.

En février 2022, EDF a signé un accord d'exclusivité pour racheter une partie de l’activité nucléaire de GE Steam Power, incluant les turbines Arabelle, afin de renforcer sa maîtrise des technologies clés dans le domaine nucléaire. La transaction a été officiellement conclue le 31 mai 2024, permettant à EDF d'acquérir les équipements d'îlots conventionnels de GE Steam Power pour les nouvelles centrales nucléaires ainsi que pour la maintenance des centrales existantes. L’opération, évaluée à environ 200 millions de dollars.

Avec ce rachat, EDF complète la chaîne d'approvisionnement nucléaire française, aux côtés d'Orano pour le combustible et de Framatome pour les cuves. GE, pour sa part, conserve son activité nucléaire aux États-Unis avec GE-Hitachi Nuclear Energy et préfère recentrer ses efforts sur des secteurs stratégiques comme le gaz, les énergies renouvelables et les réseaux.

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