« Pour 75% des consommateurs volontaires pour diminuer leur consommation d’énergie, le premier geste est de ne pas laisser de lumières allumées inutilement », indique entre autres le médiateur de l'énergie dans son Baromètre annuel.(©Pixabay-Stefan Schweihofer)
La France et l'Europe ont dû affronter une crise énergétique inédite entre fin 2021 et début 2023. La France a évité le scénario noir de coupures électriques au cœur de l'hiver, grâce à des importations d'électricité et à la remontée du parc nucléaire en fin d'année, combinées à une baisse de la consommation nationale d'électricité par les ménages et les entreprises.
Les raisons de la crise de l'énergie
La crise énergétique européenne, alimentée par des craintes de rupture en gaz depuis la guerre en Ukraine et la faiblesse de la production d'électricité, a durement touché la France. Le pays a toutefois montré sa résilience et sa sécurité d'approvisionnement a été garantie.
Baisse des livraisons de gaz russe
En 2022 et 2023, les livraisons de gaz en Europe ont fortement baissé principalement en raison des tensions géopolitiques résultant de l'invasion de l'Ukraine par la Russie. La Russie, qui était l'un des principaux fournisseurs de gaz naturel de l'Europe, a réduit ses exportations vers le continent en réponse aux sanctions économiques imposées par les pays occidentaux, qui eux-mêmes souhaitaient s'en passer.
Cette baisse des livraisons a été accentuée par la fermeture ou la réduction de capacité des gazoducs clés, comme Nord Stream, augmentant ainsi la dépendance de l'Europe à l'égard d'autres sources d'approvisionnement.
Or l'Europe a entrepris des efforts pour diversifier ses sources d'approvisionnement. Les pays européens ont ainsi augmenté leurs importations de gaz naturel liquéfié (GNL) en provenance d'autres régions comme les États-Unis et le Qatar, mais plus cher.
Production française en berne
L'exploitant EDF a dû affronter une crise industrielle liée à la découverte de corrosion sur des tuyauteries cruciales pour la sûreté des centrales nucléaires. Le groupe a enclenché une vaste campagne de contrôle et réparation, de quoi perturber un programme de maintenance déjà retardé par le Covid.
Résultat: en 2022, entre corrosion et arrêts programmés, la moitié de ses 56 réacteurs s'est parfois retrouvée à l'arrêt au même moment, menaçant le pays, principal producteur d'électricité en Europe, de coupures électriques en plein hiver.
Le parc nucléaire français a eu un taux de disponibilité moyen de 54% sur l'année 2022, contre 73% en moyenne sur la période 2015-2019. La France n'avait jamais produit aussi peu d'électricité depuis 1992 : une production de 279 TWh en 2022, bien loin de l'époque où la France en produisait 430 TWh comme en 2005. Seulement 62,7% de l'électricité était d'origine nucléaire, contre 69% en 2021.
Or la France ne pouvait pas non plus compter sur l'électricité de ses barrages hydroélectriques, "en raison des conditions climatiques exceptionnellement chaudes et sèches", selon RTE. La production hydraulique avait ainsi baissé de 20% par rapport à la moyenne 2014-2019.
L'incidence sur les prix
La réduction de l'offre sur le marché a provoqué une hausse des prix, qui s'est répercutée sur les factures des Français.
Evolution du prix de 100 kWh d'électricité et de gaz naturel - Source : Ministère de la Transition Écologique (SDES) Graphique : Selectra
En France, la hausse des prix de l'énergie a été telle qu'entre le deuxième trimestre 2021 et le deuxième trimestre 2022, ce facteur a contribué pour 3,1 points aux 5,3 points d’inflation, selon l'INSEE(1).
Hausse des prix du gaz
La baisse des livraisons de gaz en Europe en 2022 et 2023 a entraîné une hausse des prix de l'électricité en France comme en Europe, car le gaz est une source clé pour la production d'électricité dans de nombreux pays européens.
Les prix du gaz ont ainsi explosé en Europe, et ont aussi fortement augmenté en France.
Graphique: Selectra - Source: EEX
Hausse des prix de l'électricité
Les prix de l'électricité en Europe sont corrélés à ceux du gaz car une part significative de l'électricité est produite dans des centrales à gaz, ce qui fait du gaz une composante essentielle des coûts de production. En outre, le marché de l'électricité en Europe fonctionne sur le principe du coût marginal, où le prix est souvent fixé par la source d'énergie la plus coûteuse, qui est souvent le gaz en période de forte demande.
Sur le marché de gros de l'électricité, les prix ont eux aussi explosé et parfois dépassé les 700 euros le mégawattheure.
Source : Nord Pool
La baisse du volume d'électricité produite par EDF a fait que l'entreprise a dû s'en procurer davantage sur le marché, à prix fort. Aussi, la structure de fixation des tarifs réglementés intègre une part des prix du marché. La hausse s'est donc ressentie sur le prix du kilowattheure d'électricité payé par les ménages et les entreprises.
Dans une note publiée par le think tank Terra Nova(2), François Kirstetter (haut fonctionnaire) « soutient l’hypothèse que cette flambée des prix constitue surtout le signal avant-coureur des obstacles qu’il faudra surmonter pour réaliser la nécessaire transition du système énergétique vers un monde bas carbone ».
Hausse des prix des carburants
Sur la période 2022-2023, les prix à la pompe ont plusieurs fois dépassé les 2 euros par litre. Rien que sur le premier trimestre 2022, une augmentation de 50 centimes avait pu être observée.
Les conséquences pour les consommateurs
Près de 89% des foyers interrogés par le médiateur national de l'énergie en 2023 déclaraient « être préoccupés par leur consommation d’énergie », dans le contexte de hausse des prix et donc des factures d'énergie(3). Cette part était identique en 2022 mais de 68% il y a seulement cinq ans.
Près de 84% des Français interrogés lors de l'enquête annuelle du médiateur déclaraient que leurs factures d’énergie représentent « une part importante » de leur budget, alors qu'ils étaient 71% dans ce cas en 2020 et seulement 56% en 2016.
Au cours de l'année écoulée, près de 7 ménages interrogés sur 10 ont constaté une hausse de leurs factures d’électricité et de gaz naturel et 1 consommateur sur 10 annonce une hausse de sa facture de plus de 50%, indique le médiateur.
Le médiateur alertait par ailleurs sur la part importante des Français rencontrant des difficultés pour payer leurs factures : 31% cette année (contre 18% en 2020), et jusqu'à 55% chez les personnes de moins de 35 ans. Ainsi 79% des foyers déclarent avoir restreint le chauffage au cours de l'année passée pour diminuer leurs factures (contre 53% en 2020). En outre, le nombre d'interventions pour impayés a fortement augmenté.
Source : Médiateur de l'Energie Graphique : Selectra
Sans surprise, la hausse des prix de l'énergie a favorisé une plus grande sobriété énergétique des consommateurs : « l'année dernière, un tiers des consommateurs avait l’intention d’adapter leurs comportements pour participer à l’effort national de sobriété énergétique. Au final, c’est près de la moitié qui a changé son comportement », précise le médiateur. Ainsi, parmi les ménages ayant réduit leur consommation d’énergie, « 85% le font avant tout pour diminuer leurs factures » tandis que 42% le font pour des raisons écologiques et 34% pour « faire face à la pénurie énergétique » (plusieurs réponses étant naturellement possibles).
Le retentissement pour les entreprises
Si la France n'a pas connu de mur de faillites à ce stade, la prudence reste donc de mise et 55% des entreprises interrogées en mars 2023 par CCI France affirmaient ressentir dans leur activité les effets de la flambée des prix de l'énergie et 70% des entreprises industrielles se disaient touchées par l'inflation énergétique. Près de 300 entreprises en France se déclaraient en difficulté pour l'hiver 2022-2023 selon les estimations du ministre de l'Industrie. Frappée par la crise énergétique en 2022, l'industrie chimique très friande de gaz et d'électricité, a vu sa production reculer de 3,3%.
Mais la hausse des prix pénalise également les petits commerçants, les boulangers. Dans une enquête auprès de 2 400 chefs de petites entreprises, l'organisation patronale CPME indiquait en 2022 que près d'un dirigeant de TPE/PME sur dix envisageait d'arrêter son activité du fait de la flambée des prix de l'énergie.
Pour autant la flambée des prix de l'énergie n'aurait pas provoqué des faillites en série, comme l'annonçaient certaines organisations professionnelles. Les statistiques de la Banque centrale attestent certes d'une remontée des défaillances d'entreprises en 2023, mais les redressements et liquidations judiciaires restent moins nombreux qu'avant la pandémie de Covid-19.
Entre avril 2022 et mars 2023, le nombre de défaillances d'entreprises s'est ainsi établi à 45 120, soit 12% en dessous du total recensé entre avril 2018 et mars 2019. Le cumul sur douze mois des défaillances demeure en outre "inférieur au niveau moyen enregistré sur la période 2010-2019 (59 342 défaillances)", détaille la Banque de France.
Les réponses politiques et leurs effets
La sobriété encouragée
"On doit tous se bouger !", encourageait Emmanuel Macron, en appelant à "changer les comportements [...] Si nous savons collectivement nous comporter de manière plus sobre et faire des économies d'énergie partout, alors il n'y aura pas de rationnement et il n'y aura pas de coupures", a insisté le chef de l'Etat, en rappelant l'objectif de réaliser "10% d'économie d'énergie"(4).
Possibles réquisitions
La loi Pouvoir d'achat prévoyait des réquisitions possibles de centrales à gaz : la ministre pourra "en cas de menace sur la sécurité d'approvisionnement en gaz naturel au niveau local, national ou européen, ordonner à des exploitations d'installations de production d'électricité utilisant du gaz naturel de restreindre ou de suspendre l'activité de leurs installations"
Aussi, si "à la menace précédente, s'ajoute une menace sur la sécurité d'approvisionnement en électricité de tout ou partie du territoire national", la ministre pourra "réquisitionner les services chargés de l'exploitation de certaines de ces installations.
Solidarité européenne
La France s'est engagée à livrer davantage de gaz à l'Allemagne, structurellement fortement dépendante du gaz russe, en échange de la fourniture d'électricité allemande lors des pics de consommation.
Les interconnexions énergétiques ont notamment été améliorées à cet effet et ont globalement permis au réseau de tenir partout en Europe.
Bouclier tarifaire
"Sans le bouclier tarifaire, l'augmentation des tarifs du gaz et de l'électricité serait d'au moins 100% l'année prochaine ! Soit une hausse de 120 euros en moyenne par mois et par ménage", assurait le ministre de L'Economie en août 2022. "Il y aura une hausse des prix de l'énergie début 2023, mais elle sera contenue et raisonnable par rapport à ce scénario du pire".
Concernant les prix de l’électricité, les hausses des tarifs réglementés de vente ont été limitées à 4% en février 2022, 15% en février 2023 et autour de 10% en août 2023 ; des niveaux très nettement inférieurs à ceux proposés par la Commission de régulation de l'énergie. Or pour le montant de ce tarif Bleu vendu par EDF et les ELD, c'est le Gouvernement qui a le dernier mot.
Source : Selectra
La taxation représente généralement le tiers du prix de l’électricité. L’une des taxes appliquées à l’électricité, l'accise, également appelée CSPE, a été diminuée à 1 € par mégawattheure (1 000 kWh) pour les ménages et à 0,5 €/MWh pour les entreprises, contre 25 €/MWh au 1er janvier 2022.
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Concernant les prix du gaz naturel (dont le niveau moyen de taxation avoisine 40%), les tarifs réglementés de vente ont été bloqués jusqu’au 30 juin 2022. La Commission de régulation de l’énergie (CRE) avait publié les barèmes qui auraient dû être appliqués pour ces TRV s’il n’y avait pas eu de blocage : le niveau moyen des tarifs réglementés en 2022 aurait été, sans blocage, supérieur de 66,5% par rapport au niveau en vigueur depuis le 1er octobre 2021.
Graphique: Selectra - Source: Selectra
Près de 6 millions de ménages modestes ont bénéficié d'un chèque énergie exceptionnel de 100 euros pour les aider à payer leur facture énergétique.
60% des travailleurs qui utilisent leurs véhicules personnels pour le trajet domicile-travail ont pu obtenir un chèque carburant.
Un amortisseur et un filet de sécurité avaient aussi été mis en place pour les entreprises(5) de toutes tailles ainsi que les collectivités locales.
Face à la crise énergétique, la France s’est ainsi démarquée des autres pays européens avec des boucliers tarifaires inédits en Europe, aussi bien à destination des ménages que des entreprises. Si en moyenne, les prix de l’électricité fournie aux ménages européens ont augmenté de 20%, ceux du gaz de 46%, les Danois ont subi une hausse de leur facture d’électricité de 70%, les Roumains de 112%. Celle des Français a seulement cru de 9%.
Or toutes ces aides ont fortement endetté la France. La Cour des comptes chiffrait à 36 milliards d'euros la facture nette des dispositifs de soutien aux consommateurs déployés par l'Etat entre 2021 et 2024. Au total, en cumulé, le coût budgétaire du bouclier tarifaire s’élèverait ainsi entre 2022 et 2024 à environ à 72 milliards d'euros, soit 2,6 % du PIB selon la Banque de France.
Le bouclier sur les prix du gaz a disparu à l'été 2023 et celui sur les prix de l'électricité doit s'éteindre jusque fin 2024.
Mécanisme de contribution européenne
L'UE a imposé un plafonnement des recettes issues du marché à 180 EUR/MWh pour les opérateurs énergétiques qui feraient des "bénéfices indus" avec la flambée des prix de gros de l'électricité sur le continent. Les États membres pouvaient utiliser les mesures de leur choix pour collecter et rediriger les recettes excédentaires vers le soutien et la protection des clients finals d'électricité.
Le Conseil aussi fixé une contribution de solidarité temporaire obligatoire sur les bénéfices des entreprises actives dans les secteurs du pétrole brut, du gaz naturel, du charbon et du raffinage.
L'impact sur le marché de l'énergie
Consommation et production
Par rapport aux valeurs moyennes historiques (2014-2019), la consommation de gaz durant l'année 2022 a reculé de 4,2% en 2022, une baisse essentiellement concentrée sur le dernier trimestre. La baisse de la consommation d'électricité a été de -9% durant l’hiver 2022-2023 par rapport à la moyenne historique des années 2014 à 2019, et s'est confirmée au printemps 2023.
Mais comme la production a baissé plus que la consommation, la France a dû compenser cette fragilité de l'équilibre entre l'offre et la demande en faisant tourner ses centrales à gaz et en recourant à l'électricité de ses voisins, sans pouvoir autant exporter qu'auparavant. Conséquence : la France, qui habituellement éclaire des millions d'Européens avec son énergie nucléaire abondante, est devenue importatrice nette d'électricité en 2022, une première depuis 1980 selon RTE.
A noter que contrairement à des voisins européens, le pays n'a pas eu massivement recours au charbon qui n'a pesé qu'à hauteur de 0,6% dans la production électrique. "On peut affirmer que la sortie du charbon est quasiment effective en France", a souligné Maïté Jaureguy-Naudin, directrice statistiques et valorisation des données.
Dans le contexte de risque accru de tension sur les systèmes électriques et gaziers susceptible d’affecter l’approvisionnement énergétique durant l’hiver 2022-2023, les gestionnaires des réseaux de transport d’électricité (RTE)(6) et de gaz (GRTgaz et Teréga)(7) ont établi des prévisions et fait des recommendations. Leurs scénarios se reposaient essentiellement sur la capacité à acheminer et stocker suffisamment de gaz, et sur la disponibilité du parc nucléaire en raison des défauts de corrosion. Tous soulignent que les acteurs du marché ont tout mis en place pour éviter une situation d'approvisionnement critique.
Dans tous les cas de figure, les niveaux de consommation énergétique est « un paramètre dimensionnant », sachant que les mesures de sobriété choisies (ou contraintes en raison des prix de l’électricité) rendaient le risque portant sur la sécurité d’approvisionnement « beaucoup plus faible ».
Le gestionnaire de réseau RTE a en outre mis en place signaux dits « Ecowatt rouge » qui consistent concrètement à « appeler les particuliers, entreprises et collectivités à réduire volontairement leur consommation lors des pointes par un message simple ».
En cas de « conditions météorologiques extrêmes, l’effort collectif nécessaire pour éviter le recours au délestage […] pourrait aller jusqu’à 15% » (« 1 à 5% de la consommation dans la majorité des cas »), précise RTE. Autrement dit, « nous pouvons écarter une large partie des risques si nous sommes très volontaristes sur la sobriété, ainsi que sur la mobilisation autour du signal EcoWatt rouge lors des pics de consommation, de telle sorte que nous pourrions traverser un hiver, même froid, sans difficulté », assure le président du Directoire de RTE Xavier Piechaczyk.
Et à ceux qui brandissent le risque d’un « black-out », RTE rappellait « disposer des moyens de sauvegarde du système électrique appropriés et proportionnés en fonction de l’ampleur d’un éventuel déséquilibre », avec des leviers d’ordre technique (interruptibilité des consommateurs d’énergie, baisse de tension de 5% sur les réseaux de distribution) et « en ultime recours, des coupures organisées, temporaires et tournantes (délestage) ».
Côté gaz, les gestionnaires de réseaux soulignaient que les stockages ont été « correctement remplis » depuis le début du printemps 2022 dans le contexte de la guerre en Ukraine : « leur taux de remplissage est d’ores et déjà de 94% (au 12 septembre 2022, contre 84% en moyenne en Europe) et sera proche de 100% à l’entrée de l’hiver », assurait GRTgaz.
Dans son scénario de référence, le leader européen du transport de gaz envisageait, « avec un hiver moyen sans pointe de froid marquée, un système équilibré, sans déficit de gaz (entrées et sorties égales à 393 TWh) », mais avec toutefois « peu de marge de manœuvre, notamment les jours de consommations les plus élevées ».
Dans l’hypothèse d’un hiver très froid, « le déficit hivernal peut atteindre 16 TWh, ce qui représente 5% de la consommation hivernale », rappelle GRTgaz. Le gestionnaire de réseau juge ce niveau de déficit « résorbable par l'atteinte des objectifs de sobriété affichés par les pouvoirs publics ». Pour impliquer les consommateurs, le gestionnaire de réseau a déployé en octobre avec l’Ademe et Teréga « un dispositif d’information et de sensibilisation de type Ecowatt appliqué au gaz permettant aux citoyens, aux collectivités et aux entreprises de connaitre le niveau de tension du système gazier et de contribuer à son équilibre par la mise en œuvre d’écogestes ».
Bon pour la transition énergétique ?
La crise énergétique a créé "un élan sans précédent" en faveur du déploiement des énergies renouvelables, dont les capacités mondiales devraient quasiment doubler sur les cinq ans à venir, soulignait dès décembre 2022 l'Agence internationale de l'énergie (AIE).
Le monde devrait ainsi développer autant de capacités renouvelables ces cinq prochaines années qu'il l'a fait au cours des 20 dernières, gagnant 2 400 gigawatts sur la période 2022-2027.
"L'exemple (des renouvelables) montre que la crise énergétique pourrait être un tournant historique vers un système énergétique mondial plus propre et plus sûr", selon le directeur de l'AIE, Faith Birol, qui rappelle aussi qu'une telle "accélération continue est critique si l'on veut garder une possibilité de limiter le réchauffement à 1,5°C" par rapport à la Révolution industrielle.
En terme de technologies, solaire et éolien terrestre forment aujourd'hui les moyens de production électrique les moins coûteuses de toutes, dans la majorité des pays.
Enfin la demande en biocarburants devrait croître de 22%, tirée par les Etats-Unis, le Canada, le Brésil, l'Indonésie et l'Inde, qui ont adopté des mesures de soutien de cette énergie.
La sortie de crise
Comment s'en est-on sortis ?
Météo clémente, reprise de la production, stocks de gaz et poursuite de la sobriété expliquent la sortie de crise énergétique en France et en Europe.
La France, comme ses voisins européens, a eu de la chance avec un hiver 2022-2023(8) doux qui a retardé l'allumage des radiateurs. Particuliers et entreprises, appelés depuis octobre à la sobriété par le gouvernement, ont aussi volontairement réduit leur consommation.
Le pays a donc évité le scénario noir de coupures électriques au coeur de l'hiver, les importations d'électricité et la remontée du parc nucléaire dès l'automne réussissant à combler le manque.
Et plus qu'à la météo (l'hiver a été « relativement doux avec quelques périodes de froid marquées »), c'est grâce à la forte baisse de consommation d’électricité de tous les consommateurs français et aux importations depuis les voisins européens. Concrètement, RTE impute les trois quarts de la chute de consommation d'électricité en France métropolitaine à des efforts de sobriété (volontaires ou contraints par les prix élevés, avec une chute estimée d'environ 20 TWh durant l'hiver 2022-2023) et à seulement un quart aux conditions météorologiques relativement clémentes (effet baissier d'environ 7 TWh sur la consommation).
En septembre 2022, RTE avait présenté 16 scénarios prévisionnels pour l’hiver 2022-2023 « selon plusieurs déterminants de la sécurité d’approvisionnement en électricité, sur lesquels pesaient alors de fortes incertitudes ». Selon ces scénarios, le gestionnaire de réseau envisageait d'émettre entre 0 et 28 alertes EcoWatt. In fine, RTE a pu éviter durant tout l'hiver l'émission de signaux dits « Ecowatt rouge ».
Les interconnexions électriques ont fonctionné de manière « relativement fluide » durant l'hiver 2022-2023 et ont permis de pallier les problèmes de disponibilité du parc nucléaire et la baisse des stocks hydrauliques.
RTE prend ainsi l'exemple de la courbe de charge du 12 décembre 2022, jour « froid » ayant fait l'objet d'importants appels de puissance sur le réseau électrique. Ce jour-là, la puissance disponible du parc nucléaire avoisinait 40 GW (contre une disponibilité moyenne historique de 50 GW à cette période) et « les imports ont contribué à l’équilibre du système (~10 GW à la pointe du matin) ».
Pour rappel, la France a, en 2022, importé plus d'électricité qu'elle en a exporté pour la première fois depuis 1980, « avec un solde importateur net de 16,5 TWh, ce qui représente un peu moins de 4 % de la consommation nationale d’électricité ».
Autre facteur orienté de manière favorable : la hausse de la disponibilité prévisionnelle du parc nucléaire (au moins jusqu'à janvier 2024), qui avait été « considérablement affectée par les défauts de corrosion » en 2022 (production de 279 TWh, contre 402 TWh par an moyenne au cours des 20 années précédentes).
À cela s'ajoutent la poursuite du développement des filières renouvelables (la production cumulée des filières éolienne et photovoltaïque a notamment dépassé 18 TWh au 1er trimestre 2023, ce qui constitue une hausse de près de 4 TWh par rapport à la même période en 2022) et un bon niveau de remplissage des stocks hydrauliques (malgré la vague de sécheresse début 2023, notamment grâce à une « gestion prudente ») et gaziers.
La sécurité d'approvisionnement en électricité de la France s'est largement améliorée en 2023, « après une année 2022 marquée par une triple crise : craintes sur l’approvisionnement en gaz du continent, chute de la production nucléaire française en raison des défauts de corrosion, plus faible production hydraulique depuis 1976 du fait de la sécheresse. »
« Dans ce contexte, la France a retrouvé la situation fortement exportatrice qui existait avant la crise énergétique, avec des niveaux d’exports qui n’avaient plus été enregistrés depuis l’automne 2021 », souligne RTE.
Optimisme pour 2023 et 2024
Pour la suite(9), RTE n'entrevoiyait « pas d’inquiétude particulière en matière de sécurité d’approvisionnement » durant l'été 2023, y compris en cas de canicule et de sécheresse et en intégrant « des prudences sur le niveau de disponibilité du parc nucléaire ainsi que sur la poursuite des diminutions de consommation ».
L'automne 2023 ne présentait pas non plus de « risque spécifique », contrairement à l'automne 2022 marqué notamment par une très faible disponibilité du parc nucléaire et des tensions très fortes sur l'approvisionnement gazier dans le contexte de la guerre en Ukraine.
De même, le « diagnostic » pour l'hiver 2023/2024 était bien plus favorable que celui de l'hiver dernier, même si le gestionnaire de réseau se montrait prudent en soulignant quelques conditions nécessaires pour confirmer un retour à la « normale » (avec un profil de risque proche de celui de l'hiver 2021-2022) : la poursuite des efforts d’économies d’énergie au cours de l’hiver, et la confirmation de l’amélioration du niveau de disponibilité des centrales nucléaires.
Toutes ces prévisions se sont avérées vraies. Par exemple, le parc nucléaire disponible était de 47 réacteurs sur 56 en marche au 9 janvier 2024. Un niveau au plus haut depuis l'hiver 2022 et le début de la "crise de la corrosion sous contrainte" déclenchée fin 2021. Les autres modes de production d'électricité étaient également au beau fixe. Les stocks sont à des niveaux "supérieurs aux moyennes historiques" pour l'hydraulique, la production éolienne "abondante" et "l'approvisionnement gazier maîtrisé". En parallèle, la consommation d'électricité, corrigée de la météo, a été de 7 à 8% plus basse en novembre et décembre 2023 que la moyenne sur ces deux mois entre 2014 et 2019.
Des prix toujours plus élevés qu'avant et qu'ailleurs
Précisons qu'en dépit de ces perspectives plus favorables, « il apparaît que les niveaux de prix anticipés pour l’hiver prochain continuent d’intégrer une prime de risque élevée et/ou une anticipation de déséquilibre important au cours de l’hiver prochain (plusieurs dizaines d’heures) », ce qui faisait à nouveau souligner au gestionnaire de réseau les importants « enjeux de confiance » sur les marchés de l'électricité.
La baisse des prix de l'énergie a été la principale cause du ralentissement de l'inflation amorcée courant 2023 dans le monde, a estimé mardi le chef économiste du Fonds monétaire international (FMI), Pierre-Olivier Gourinchas, pour qui la hausse des taux par les banques centrales a aussi eu un effet indirect.
Mais les prix restent plus élevés qu'avant la crise.
Selon une étude publiée par le groupe de réflexion La Fabrique de l'Industrie avec le cabinet de conseil Olivier Wyman, les suites de la crise européenne de l'énergie menace toujours 154 500 emplois industriels à moyen terme, soit "près de 6%" des 2,7 millions de salariés que compte l'industrie française en équivalent temps-plein. Sur ce total, 117 000 viennent du "doublement durable des prix de l'énergie en Europe alors qu'ils restent stables dans le reste du monde", notamment aux Etats-Unis où l'industrie a reçu le soutien du plan ouvertement protectionniste "Inflation réduction act" (IRA) de l'administration de Joe Biden.