Parc solaire d'Ulm-Eggingen en Allemagne. (©EnBW/Uli Deck)
La sortie du charbon, source majeure d’émissions de gaz à effet de serre et de pollution atmosphérique, est devenue un enjeu crucial dans la lutte contre le changement climatique et un enjeu de santé publique. De nombreux pays ont pris des mesures pour réduire progressivement leur dépendance au charbon en fermant des centrales ou en fixant des échéances pour sa suppression totale. Des engagements internationaux, comme ceux de l'Accord de Paris, encouragent cette transition vers des énergies renouvelables.
Cependant, la fin de l'usage du charbon à l’échelle mondiale est loin d’être acquise, car de grandes économies émergentes comme la Chine et l’Inde continuent de compter fortement sur cette source d’énergie pour alimenter leur croissance économique.
Ainsi, malgré une réduction notable de son utilisation dans certaines parties du monde, la sortie définitive du charbon semble encore éloignée à l’échelle mondiale, dépendant d’efforts accrus pour accélérer la transition énergétique globale.
Pas pour demain
Le charbon est toujours de très loin la principale source d’électricité dans le monde : ce combustible a compté pour 1/3 de la production mondiale d’électricité. Il est, selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE), responsable de près des 3/4 des émissions mondiales de CO2 du secteur électrique et à lui seul de près de 30% de l'ensemble des émissions mondiales de CO2 liées à l'énergie.
Bien que les investissements dans les énergies renouvelables augmentent, le charbon reste une ressource clé dans certaines régions, particulièrement dans les pays où les coûts de transition énergétique sont élevés.
Seuls 21 pays dans le monde s'étaient, à mi-2021, engagés à « sortir » du charbon pour leur production d'électricité(1), déplore l'AIE.
Pire, en l'absence de nouveaux engagements, « les fermetures de centrales à charbon dans le monde seront quasiment compensées par de nouvelles mises en service d'ici à 2025 », alerte l'AIE. Plus de 200 GW de centrales à charbon sont en cours de construction, principalement en Chine, en Inde et en Asie du Sud.
En France, maintes fois repoussée, la fin du charbon est aujourd'hui envisagée pour 2027. Il ne reste que deux centrales actives en France, qui produisent moins d'un pourcent de l'électricité du pays, qui n'en est donc dépendant qu'en hiver - et plus pour longtemps.
Selon Climate Analytics, les centrales à charbon allemandes représentaient encore 40 gigawatts (GW) de capacité en 2022, les japonaises 53 GW et les américaines 212 GW.
Pourquoi la sortie du charbon est difficile ?
Depuis la COP21 organisée à Paris fin 2015, le charbon est désigné comme « l’ennemi climatique n°1 » et fait en effet l’objet de nombreuses critiques et de campagnes de désinvestissements de grande ampleur.
Le charbon reste une source d'énergie abondante et relativement peu coûteuse, ce qui en fait un pilier des systèmes énergétiques de nombreux pays, en particulier les économies émergentes comme la Chine, l'Inde et certains pays d'Afrique. Pour ces nations, le charbon est essentiel pour soutenir la croissance économique et l'industrialisation, car il permet de répondre à une demande énergétique massive à un coût compétitif. Comme ce fût le cas en Europe pendant la révolution industrielle.
De plus, les infrastructures existantes – centrales à charbon, mines de charbon et réseaux de transport – sont déjà en place, rendant l’investissement dans des technologies alternatives comme le solaire, l’éolien ou le nucléaire plus coûteux à court terme. Le parc de centrales à charbon est jeune : la moitié des capacités électriques de ce parc ont été construites durant les années 2000. Ces centrales pourraient ainsi être encore en service en 2050, en l’absence de politiques accélérant leur fermeture. En outre, de nombreuses nouvelles constructions restent encore en projet ou à l’étude, notamment en Asie du Sud-Est. La modernisation des réseaux électriques pour accueillir des sources d’énergie intermittentes, telles que l’éolien et le solaire, constitue également un défi technologique majeur.
Par ailleurs, la sortie du charbon présente un enjeu social important, en particulier dans les régions où l'industrie charbonnière joue un rôle crucial dans l'emploi et l'économie locale. C'est le cas par exemple à Gardanne en France. La fermeture des mines et des centrales à charbon entraînerait des pertes d'emplois massives, affectant des milliers de travailleurs et les communautés dépendantes de cette activité. La transition énergétique nécessite des programmes de reconversion professionnelle et des soutiens économiques pour ces régions, ce qui peut freiner la volonté politique de s'engager dans une sortie rapide du charbon.
Enfin, les pressions politiques des lobbies industriels et la lenteur des engagements internationaux rendent la sortie du charbon encore plus complexe, surtout dans un contexte où certaines grandes puissances hésitent à fixer des échéances strictes pour cette transition.
La France veut convaincre les autres pays du G7 de sortir du charbon d'ici 2030
La France espère convaincre les autres pays du G7 de s'engager sur une sortie du charbon à l'horizon 2030, au cours d'une réunion des pays riches à Turin en avril 2024.
La conférence de l'ONU sur le climat COP28, en décembre à Dubaï, s'est conclue par un appel inédit à une transition hors des énergies fossiles, mais avec des concessions aux pays producteurs. Le président français Emmanuel Macron y avait déjà appelé les pays du G7 à "montrer l'exemple" en sortant du charbon, la plus polluante d'entre elles, "avant 2030".
"On a le Royaume-Uni avec nous, on pense que les Allemands pourraient également s'aligner sur cette date", mais "à ce stade les négociation sont difficiles" et "on est encore loin du compte".
Prix du CO2
Au sein de l’Union européenne, le charbon compte encore pour plus de 30% de la production électrique de 6 pays (Allemagne, Bulgarie, Grèce, Pologne, République tchèque, Slovénie). Au Royaume-Uni, cette part du charbon a chuté à hauteur de 7% en 2017, contre près de 40% en 2012, notamment en raison du prix plancher du carbone dont doivent s’acquitter les électriciens (18 £/t CO2).
L’ONG britannique TransitionZero promeut dans une analyse(2) l’utilisation d’un nouvel indice « C3PI » (Coal to Clean Carbon Price Index) pour estimer le prix minimum du CO2 permettant aux filières renouvelables variables (éolien et photovoltaïque) d’être plus compétitives que le charbon pour produire de l’électricité.
La prise en compte d’un prix du CO2 dans les calculs de coûts de production électrique est fréquente pour comparer les centrales à gaz aux centrales à charbon (dont la combustion émet davantage de CO2). Mais TransitionZero déplore que cette comparaison place de fait le gaz comme énergie de « transition » privilégiée en remplacement du charbon. Une option d'autant plus contestée alors que les pays européens peinent à réduire leur dépendance au gaz russe et alors que le bilan carbone de la chaîne gazière pousse parfois à nuancer les progrès par rapport au charbon (le GNL américain est à ce titre montré du doigt).
L’ONG britannique appelle donc à considérer davantage le coût du « switch » de production du charbon existant vers les filières éolienne terrestre et au solaire photovoltaïque (couplées à un stockage d’électricité par batteries).
Dans sa base de données en accès libre qui porte sur 25 grands pays(3), TransitionZero indique qu'en moyenne, le « switch » du charbon au gaz naturel présente un intérêt économique avec un prix de la tonne de CO2 d'au moins 235 $ en 2022 (compte tenu de la très forte hausse du prix du gaz ces derniers mois) tandis que le « switch » du charbon aux filières renouvelables « variables » (éolien terrestre et solaire photovoltaïque) avec stockage pourrait être rentable sans même devoir attribuer un prix au CO2 (les prix du charbon « ont atteint 300 $/t contre ~50 $/tonne en 2020 »).
TransitionZero souligne toutefois les « variations considérables », d’un pays à une autre, du prix du CO2 nécessaire pour amorcer un « switch » du charbon vers les filières renouvelables « variables ». En Indonésie, le prix de la tonne de CO2 doit par exemple être actuellement d'au moins 102 $ (contre 671 $ par tonne de CO2 en 2010).
Transition Zero explique que ces données doivent permettre de remettre en cause la pertinence économique des projets de centrales à gaz et de charbon actuellement en construction ou à l’étude dans le monde (les capacités cumulées de ces projets s’élèvent respectivement à 615 GW pour le gaz et 442 GW pour le charbon). Selon TransitionZero, presque 3 000 unités de production électrique alimentées par du charbon devraient être fermées d’ici à 2030 pour rester sur une trajectoire compatible avec les objectifs de la COP21.