Les « prix négatifs » de l’électricité : 3 questions à Jacques Percebois

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Parc solaire photovoltaïque de Valdecaballeros

Parc solaire photovoltaïque de Valdecaballeros en Espagne. (©Endesa)

Jean-Louis Caffier (journaliste spécialiste des questions énergétiques) interroge régulièrement un membre de notre comité scientifique, avec 3 questions faisant écho à l'actualité.

Invité cette semaine : Jacques Percebois, directeur du Centre de Recherche en Économie et Droit de l’Énergie, Professeur émérite à l’Université de Montpellier 1.

En 2024, l’énergie solaire a pour la première fois produit plus d’électricité dans l’Union européenne e que le charbon, a indiqué fin janvier le think tank Ember. Et : « l’abondance de l’énergie solaire a contribué à faire baisser les prix de l’électricité aux heures centrales de la journée ». Revers actuel de ces bonnes nouvelles : à « certains moments, le manque de demande abondante a fait baisser les prix horaires de l’électricité à zéro, voire en dessous ». Ces phénomènes d'heures à prix négatif ou nul sont « devenus plus fréquents en 2024 par rapport à 2023 (4% des heures en moyenne dans l’UE contre 2% en 2023) et se sont produits pratiquement partout dans l’UE ».

Comment peut-on expliquer la prolifération des prix négatifs ?

Le fond du problème, c’est que l’électricité ne se stocke pas contrairement au gaz par exemple. À un moment, si la production dépasse la consommation, si l’offre dépasse la demande, les prix baissent jusqu’à devenir en partie négatifs et cela entraîne de la volatilité. 

Le problème est dû essentiellement aux renouvelables et à l’éolien en particulier : une partie des producteurs ont intérêt à continuer d’injecter sur les réseaux même s’il n’y a pas de besoins car ils bénéficient d’une obligation d’achat avec prix garanti sur des horizons à 20 ans. 

Ce tarif garanti est très souvent au-dessus du prix du marché (souvent entre 100 et 200 euros le MWh). C’est complètement idiot et c’est la raison pour laquelle les pouvoirs publics souhaitent mettre fin à ce système des obligations d’achat et privilégier les contrats d’achat directs entre producteurs et fournisseurs (ou consommateurs).

En pleine transition vers l’électricité décarbonée, c’est une situation qui peut paraître complètement paradoxale ?

C’est sûr que le grand public a du mal à comprendre et c’est normal. La France a beaucoup produit l’an dernier grâce au retour de la stabilité dans le nucléaire et à la bonne santé de l’hydraulique. Nous avons battu notre record d’exportations nettes avec 89 TWh, notamment vers l’Allemagne et l’Italie, c’est énorme. 

Le problème, c’est que l’on comptait sur une demande intérieure en forte augmentation mais la transition ne se fait pas aussi vite que prévu. On le constate en particulier dans les transports. Parallèlement, les consommateurs font des économies - les particuliers comme l’industrie - donc la demande baisse. Et la croissance n’est pas au top, loin de là. 

Comment tenter de régler le problème à court, moyen et long terme ?

La première priorité, c’est de revoir les dispositifs d’obligation d’achat, de prix garanti, de complément de rémunération qui sont en vigueur. Mais on se heurte alors à des contraintes juridiques liées à la rétroactivité des accords signés comme l’a rappelé récemment le Conseil constitutionnel.

Ensuite, revoir le rythme de développement des renouvelables tant qu’on ne peut pas stocker à grande échelle. Pour le stockage, on pourrait créer de nouveaux doubles barrages pour développer les STEP (système de transport d’électricité par pompage) mais les écologistes s’opposeraient à tout nouveau projet. Il faudrait à plus long terme changer de logique.

Aujourd’hui, la production s’adapte à la demande. Il faudrait faire exactement l’inverse avec l’aide du numérique et de l’intelligence artificielle : quand la production est importante, on baisse les prix pour favoriser la consommation des particuliers et de l’industrie.

Enfin, il faudra trancher dans le débat qui agite l’Europe aujourd’hui sur les réseaux et leurs coûts. Le coût des réseaux ne cesse d’augmenter à la fois en interne pour raccorder les renouvelables et aux interconnexions. Dans ce dernier cas, il existe des effets pervers liés à la présence de flux de transit parasites qu’on appelle flux en boucle (« loop flows ») liés aux congestions internes dans certains pays. La défaillance du réseau de transport nord-sud en Allemagne conduit l’électricité à passer par les pays limitrophes sans que cette électricité n’acquitte les péages d’accès aux réseaux.

Prix négatifs de l'électricité

Courbe agrégée affichant un prix négatif (heure 5 sur le marché journalier allemand, pour livraison le 22 décembre 2024). ©EPEX SPOT

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