Taxe carbone : un impôt de plus ?

Patrice Geoffron, Professeur à l’Université Paris-Dauphine

Professeur de sciences économiques à l’Université Paris-Dauphine, PSL
Directeur du LEDa-CGEMP (Centre de Géopolitique de l’Énergie et des Matières Premières)

Une malédiction semble planer sur les efforts d’introduction d’une taxation carbone destinée à réorienter, progressivement, les comportements de consommation et d’investissement. La censure constitutionnelle de la tentative de 2009 est encore dans les esprits. Les frictions autour de l’actuel projet témoignent également du caractère épineux de la question, qui plus est dans un contexte de « crue fiscale ». Tentons de démêler l’écheveau.

Fin 2012, le gouvernement a installé un Comité pour la Fiscalité Ecologique, placé sous la présidence de Christian de Perthuis (professeur à Paris-Dauphine), en vue de formuler des avis ou propositions destinées à verdir notre fiscalité. Le constat est que la fiscalité énergétique française souffre d’un péché originel, étant orientée en fonction de son rendement et non pour corriger les nuisances environnementales. D’où la proposition d’inclure dans la taxation de l’énergie une composante relative au changement climatique induit par les énergies fossiles et une autre aux pollutions locales associées à l’utilisation du diesel.

C’est en fonction de ce double objectif qu’est née la proposition d’inclure graduellement une assiette carbone dans le calcul des taxes énergétiques existantes. Par comparaison avec le projet de « contribution climat-énergie » de 2009, cette opération ne crée pas une taxe nouvelle et démarre avec un prix de la tonne de CO2 de 7 € en 2014 (contre 17 € dans le projet précédent). Ce niveau a été retenu pour assurer la cohérence du dispositif national avec le dispositif européen d’échange de quotas d’émission de CO2.

Pertinente au regard des nuisances visées, la version première du projet (rendue publique en juillet dernier) a toutefois buté sur deux écueils : 

  • primo, la communication gouvernementale a été malencontreuse, laissant croire qu’il s’agissait d’une taxe de plus, alors même que les simulations réalisées par le Trésor indiquent que ce réajustement n’accroît pas la pression fiscale ; 
  • secundo, et surtout, le projet initial prévoyait de réduire progressivement l’avantage fiscal du diesel (comparativement à l’essence), afin de prendre en compte les effets de son usage massif dans le parc automobile français.

Cet objectif relatif au diesel a été écarté, paraissant peu opportun par temps de « redressement productif » et étant susceptible de pénaliser les ménages modestes. C’est pour répondre au mécontentement (aux menaces même) des écologistes que le Premier ministre a (sans revenir sur la mise hors dispositif du diesel) finalement opté pour une montée en charge de l’assiette carbone à partir de 2015 plus rapide qu’il n’était initialement proposé pour atteindre 22 € en 2016 (au lieu de 20 € en 2020). L’intérêt de cette option est aussi de pouvoir financer à hauteur de trois milliards le crédit d’impôt compétitivité destiné à réduire les charges salariales des entreprises. 

Que retenir de ces arabesques ? Que nous aurons bien, sauf nouveau coup de théâtre, une composante carbone dans la fiscalité. Le plus dur est fait, serait-on tenté de dire, car même si le prix de la tonne est en deçà des niveaux généralement préconisés par les économistes, ce « petit pas » d’apparence est une étape importante. Il sera désormais admis, dès le vote du budget, qu’émettre du CO2 doit faire l’objet d’un paiement spécifique, destiné non pas à alourdir la fiscalité d’ensemble, mais à aiguillonner les comportements. 

Quant au diesel ? A chaque projet de loi de finances suffit sa peine, sans doute…

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