Comment sont estimées les émissions de CO2 « évitées » ?

Parc éolien de Moulin Blanc

Mis en service dans les Hauts-de-France en mars 2025, le parc éolien de Moulin Blanc permettrait d'éviter 3 239 tonnes d'émissions de CO2 par an, « soit l’équivalent de 1 709 allers-retours en avion entre Paris et New York » selon son exploitant Boralex. (©Boralex)

Les exploitants de nouveaux projets bas carbone communiquent fréquemment sur les émissions de CO2 « évitées ». Cette notion d'émissions évitées peut également constituer un argument commercial, rappelle l'Ademe (« par l’achat de ce produit, vous économisez x tonnes de CO2 pour le climat »).

Définition

Les « émissions évitées » par une organisation désignent « les réductions d'émissions réalisées par ses activités, produits et/ou services, lorsque ces réductions se réalisent en dehors de son périmètre d'activité », selon l'Ademe. Autrement dit, les réductions d'émissions permises par la mise à disposition d'une production, d'un service ou encore d'un produit plus « bas carbone » que dans la situation initiale.

Une organisation parlera d’« émissions évitées lorsqu’elle agit en dehors de son périmètre d’activité, à la différence des émissions réduites, supprimées ou séquestrées au niveau de ses propres émissions directes et indirectes », précise l'Agence de la transition écologique(2).

Les émissions « évitées » peuvent toutefois englober « à la fois des réductions d’émissions (par exemple via la mise à disposition d’un produit moins carboné) et des séquestrations carbone (par exemple via le soutien financier à des projets forestiers) ». À ce titre, « pour tenir compte du cycle du carbone et des effets de la séquestration, il serait plus juste de parler d’émissions « nettes » évitées, rendant compte des impacts des puits et sources d’émissions carbone », indique également l'Ademe.

Méthode de calcul des émissions évitées

Les émissions « évitées » doivent être évaluées au regard d'un scénario de référence qui doit être clair. La principale difficulté demeure qu’il s’agit d’un scénario fictif qui sera forcément la combinaison d’hypothèses, selon l'Ademe.

Il n’existe à l'heure actuelle aucune méthode de référence externe unique et reconnue pour calculer les émissions de CO2 évitées, souligne Engie Green(3).

Pour Christian de Perthuis, fondateur de la Chaire Économie du Climat, « les méthodologie développées dans les années 2000 pour calculer les gains d'émissions dans les mécanismes de projet du protocole de Kyoto (CDM et JI(4)) constituent les bases méthodologiques les plus sérieuses » pour mesurer les émissions évitées. 

Limites du calcul

Un calcul sérieux des émissions évitées « exige, comme dans le cas des projets Kyoto (ou des marchés de compensation qui en ont dérivé) qu'il y ait une méthodologie claire et publique de calcul et un tiers certificateur indépendant », souligne Christian de Perthuis.

Les méthodologies mises en place dans le cadre des projets Kyoto on rencontré « deux types d'écueils » selon Christian de Perthuis :

  • « les hypothèses à poser pour tracer les baselines (scénarios de référence) sur des périodes de moyen terme(5). Évidemment les porteurs de projet ont tous intérêt à gonfler les émissions des baselines (comme les émetteurs de CO2 dans un système de quotas quand on distribue gratuitement les quotas) ;
  • la sempiternelle question de l'additionalité définie à la fois à partir de critères techniques et économiques ».

Utilité

Mentionner les émissions évitées parmi les indicateurs d'un projet peut notamment présenter un intérêt pour « lever des fonds grâce à des financements innovants, grâce à des projets de compensation dans le cadre de la finance carbone, parfois », note Christian de Perthuis. En matière de baisse des émissions, l'utilité est moins évidente car « on ne les baisse que par rapport à un scénario de référence ». 

Un enjeu de reporting et de communication

Le concept d'émissions évitées a été « historiquement poussée par des besoins de communication positive des produits, des services et des projets bas carbone », note l'Ademe. Dans les faits, le terme « émissions évitées » peut être employé dans des contextes variés :

  • les émissions évitées par des produits et services dits bas carbone ou entrant dans la composition de produits et services bas carbone ;
  • les émissions évitées par la réalisation de projets menés par l’organisation contribuant à réduire les émissions dans sa chaîne de valeur ; 
  • les émissions évitées par le financement d’organisations tierces ou de projets portés par des organisations tierces, qui permettent de réduire les émissions de ces organisations ou de leurs clients.

Pour l'Ademe, toute communication sur les émissions évitées d’une solution, d’un service ou d’un projet bas carbone devra suivre des exigences de communication spécifiques (normes ISO 14025 et 14067 sur l’Empreinte Carbone des Produits, et la norme ISO 14064-1 sur la comptabilité carbone des organisations).

Exemple d'un produit moins carboné

Sur son site, Décathlon propose de calculer les émissions évitées grâce à « l'achat d'un vélo pour faire du vélotaf » en remplacement de trajets en voiture(6). La marque indique comptabiliser les émissions liées aux matières premières, à la production, au transport, au packaging, à l’usage (si c’est un vélo électrique) et à la fin de vie dudit vélo et comparer ces émissions par rapport à « la situation la plus probable en l’absence de la solution bas carbone ».

Sur cette base, Décathlon estime qu’au cours de sa vie (une dizaine d'année d'utilisation, avec un bilan carbone de 220 kilos de CO2e), un vélo musculaire neuf contribue ainsi à éviter près de 1,5 t d'équivalent CO2 (en évitant chaque année 929 km parcourus en voiture et l'émission associée de 172 kilos de CO2e).

Exemple de la production d'électricité

Les exploitants de nouvelles centrales de production d'électricité bas carbone communiquent très souvent sur les émissions de CO2 évitées grâce à leurs installations, par rapport au parc existant.

L'énergéticien EnBW indique par exemple qu'un parc solaire de 8 MW en Allemagne permet habituellement d'éviter l'émission d'« environ 6 800 tonnes de CO2» par an, en se substituant à une production électrique plus carbonée.

En prenant pour référence l’intensité carbone moyenne de la production d’électricité européenne (France incluse) et en prenant en compte les émissions directes et indirectes de la production d’électricité, le groupe EDF indique par ailleurs que sa production d’électricité à l’échelle mondiale « a permis d’éviter 92 Mt CO2 en 2023 »(7)

dernière modification le

Sources / Notes

  1. Sur la base du facteur d'émission du mix énergétique français calculé par l'AIE pour l'année 2020, indique Boralex. Précisons que ce facteur d'émission a depuis baissé.
  2. Les émission évitées, de quoi parle-t-on ?, fiche technique de l'Ademe, janvier 2020.
  3. Le principe des émissions évitées : qu'est-ce que c'est ?, Décathlon.
  4. Le mécanisme de « Mise en œuvre conjointe » (MOC) ou « Joint Implementation » (JI) désigne un système de collaboration dans lequel deux pays industrialisés travaillent de concert pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. « Le pays donateur investit dans des projets de réductions d'émissions dans le pays récepteur en échange des crédits d'émissions que ces projets génèrent et qui sont soustraits du pays hôte ».
    Dans le « mécanisme pour un Développement Propre » (MDP) ou « Clean Development Mechanism » (CDM), les investissements dans des pays en développement et qui réduisent les émissions de gaz à effet de serre peuvent également générer des droits d'émissions supplémentaires. « La différence fondamentale avec les projets de Mise en œuvre conjointe est que les pays en développement ne sont astreints à aucune réduction obligatoire des émissions de gaz à effet de serre. Les investissements dans les pays en développement génèrent donc une inflation nette du nombre de crédits d'émissions ».
    Article sur les mécanismes de flexibilité du site Climat.be.
  5. « 10 ans ou 3 fois 7 ans avec deux révisions en cours de route ».
  6. EDF justifie ce calcul par la très faible intensité carbone de son parc nucléaire en exploitation sur le sol français - évaluée à 4 g CO₂ par kWh selon une Analyse du Cycle de Vie (ACV) menée par la R&D d’EDF en 2022 sur la base des données 2019 - par rapport à l'intensité carbone moyenne du parc européen.
  7. Principes de calcul des émissions de CO2 évitées au sein du groupe EDF.

Site de Christian de Perthuis

Sur le même sujet