L’entropie caractérise l’incapacité de l’énergie contenue dans un système à fournir du travail. Qu'en est-il de la néguentropie ? (©photo)
Définition
La néguentropie, ou entropie négative, est une mesure de l'ordre et de l'organisation dans un système, opposée à l'entropie qui mesure le désordre. Elle représente l'énergie utile et structurée disponible dans un système pour effectuer du travail, souvent utilisée pour décrire la capacité d'un organisme à maintenir son ordre interne face à l'entropie croissante de l'univers.
La néguentropie donne de l’énergie contenue dans un système thermodynamique. Elle est l’opposée de l’entropie : N= -S. Dans la relation de Boltzmann, la néguentropie devient N=-K log Ω= K log1 /Ω, c'est-à-dire la probabilité complémentaire de l’entropie S.
Elle mesure non plus le désordre de l'énergie mais son organisation et son aptitude à l’autostructuration.
Histoire
A la fin du XIXe siècle, les physiciens « mécanistes » mettent en doute la dispersion entropique inexorable affirmée par le second principe(1) et particulièrement son ressort probabiliste(2).
Une expérience de pensée dite du « Démon de Maxwell » (1876) cristallise les oppositions : une cloison étanche vient compartimenter un volume isolé de gaz en équilibre thermodynamique. Elle est percée d’un opercule actionnable par un « démon » capable de l’ouvrir ou de la fermer selon que les molécules qui viennent le frapper sont rapides ou lentes. Progressivement, un compartiment se réchauffe, l’autre refroidit. L’entropie de l’ensemble, bien qu’isolé, diminue.
« Le deuxième principe est violé » soutiennent alors les mécanistes mais « qui fournit son énergie au démon néguentrope ? » objectent les thermodynamiciens. La polémique est rapidement éclipsée par les révolutions relativistes, quantiques et nucléaires qui marginalisèrent la mécanique classique mais intégrèrent la thermodynamique(3).
Survient la Deuxième Guerre mondiale. La bataille de l’information va tourner à l’avantage des Alliés, leurs mathématiciens parvenant à protéger leurs réseaux et à briser les codes ennemis. L’un d’eux, C. Shannon, à peine démobilisé des Bell Labs (États-Unis), synthétise mathématiquement l’expérience pratique accumulée(4). Il quantifie la valeur d’une information comme l’inverse de sa probabilité d’apparition et définit son entropie mathématique comme l’incertitude affectant sa réception par un observateur.
Puis Léon Brillouin, physicien quantique français qui a lui aussi travaillé aux Bell Labs pendant la Guerre, va transposer à la physique l’approche mathématique de Shannon(5). Il fait de l’information une grandeur physique mesurable en fusionnant les concepts d’entropie de l’information et d’entropie thermodynamique. Il baptise « néguentropie » la quantité d’information qui permet de structurer les systèmes physiques en évacuant leur entropie. Enfin, il exorcise définitivement le démon de Maxwell en montrant que l’information qui lui est nécessaire pour trier les molécules correspond à un apport d’énergie dont le bilan global est conforme au 2e principe. Brillouin a donc apporté à la physique une quatrième grandeur : l’Information, aux côtés de l’espace-temps, la masse et l’énergie. Électronicien, il a aussi vu que l’ordinateur, en temps que structurant de l’information, était le néguentrope qui allait jouer un rôle capital dans l’émergence de la société numérique du XXIe siècle.
Simultanément, E.Shrödinger, autre génie quantique, ouvre un nouveau front : la thermodynamique du vivant(6). Il suggère que les systèmes vitaux doivent être compris comme des processus autoreproducteurs se maintenant hors d’équilibre en métabolisant le flux d’énergie et de matière qui les traverse continument(7). Le métabolisme apparaît ainsi fondamentalement néguentropique. Avec la prise de conscience que partout dans l’univers des systèmes hors d’équilibre auto-organisés naissent et meurent en permanence, la production naturelle et spontanée de néguentropie (autopoïèse) apparait comme la réponse de la nature à la mort entropique(8).