EDF : Nous vous devons plus que la lumière !...

Alain Desgranges

Ingénieur en génie atomique et membre de PNC-France

Qui se rappellera ce slogan d’un autre temps ? Pourtant, il ne date que de 2011. Un temps où cette entreprise de service public faisait la fierté des français. Un temps où son nucléaire l’imposait comme l’un des fleurons de notre industrie. Un temps enfin où l’électricien exportait vers l’Europe ses surplus de production pour le plus grand bonheur de notre balance commerciale.

Le temps est passé. Et 13 années plus tard, l’exhortation par la Première ministre à ressortir des placards écharpes, doudounes ou autres chaussons fourrés ne fait plus rire. L’injonction faite au nouveau PDG d’EDF de rétablir sa production aux « meilleurs comparables internationaux », de maîtriser ses budgets pour les projets nucléaires en cours et de redresser « dans la durée » la trajectoire financière du groupe, non plus…

Car Élisabeth Borne a la mémoire courte. C’est bien elle qui se glorifiait de la fermeture de la centrale de Fessenheim dans une tribune collective publiée le 21 février 2020 dans Le Monde(1) en précisant : « La mise à l’arrêt de la centrale de Fessenheim est une étape historique qui incarne l’écologie de responsabilité que nous portons ». Mais où est réellement « cette écologie de responsabilité » au moment où la production de cette centrale fait cruellement défaut ?

Aujourd’hui, les explications de la déconfiture d’EDF ne manquent pas : imprévoyance d’un État mauvais gestionnaire qui n’a pas su prévoir l’augmentation de la consommation d’électricité qui pourrait doubler d’ici 2050 selon certains scénarios(2), absence de décision sur le renouvellement du parc nucléaire, effets néfastes de l’ARENH ou du bouclier tarifaire sur les comptes de l’entreprise, manque de compétences dans une filière peu attractive pour les jeunes, sont les causes généralement mises en avant par les médias.

Mais il est aussi un autre facteur peu connu qui aura affecté considérablement les performances du parc de réacteurs. Il s’agit de l’augmentation inexorable des exigences de l’ASN (Autorité de Sûreté Nucléaire), réputée être la plus sévère du monde.

La sûreté nucléaire française doit-elle continuer à laver plus blanc que blanc ?...

L'évolution de la loi TSN (loi Transparence et Sûreté Nucléaire) et l'indépendance donnée à l'ASN, sont des facteurs importants de l'évolution de la règlementation et de sa mise en œuvre depuis 10 à 15 ans. On peut y ajouter que nous avons un parc nucléaire important (69% de la production d'électricité en 2021, ce qui est unique au monde en termes de sensibilité) et que les oppositions au nucléaire se sont développées, encouragées par les pouvoirs politiques en place dans les années 2010, ce qui a conduit à plus d'intransigeance de l’ASN.

La loi TSN fixe les règles du jeu : l'exploitant est le premier responsable de la sûreté nucléaire et des moyens mis en œuvre pour la respecter et la faire progresser. Mais il est aussi responsable de la production et en grande partie de la continuité de fourniture. Et si la priorité n'est plus qu'améliorer la sûreté, l'équilibre est rompu, avec l’assurance de la fin du nucléaire puisque le réacteur le plus sûr est bien celui qui n’existe pas !...

L’ASN quant à elle n’a pour seule mission que d’assurer un contrôle du nucléaire, performant, impartial, légitime et crédible, qui soit reconnu par les citoyens. Mais dans les faits, elle dispose du pouvoir d’imposer ses exigences sans avoir à justifier le gain en sûreté, sans recours possible et sans obligation d’en référer à quiconque. Un pouvoir exorbitant qui devrait avoir ses limites et être encadré par la loi TSN car le constat est sans appel : les modifications incessantes des installations ont des effets néfastes sur la sûreté d’exploitation, tant dans la construction des réacteurs que dans leur conduite devenue beaucoup trop complexe. Dit autrement : « trop de sûreté tue la sûreté ».

En outre, cette course à l’excellence à un prix à payer. Il en va ainsi des modifications post-Fukushima (200 millions d'euros par réacteur contre 20 millions d’euros sur les réacteurs aux États-Unis)(3). Voire de la gestion des réparations des tuyauteries affectées par la corrosion sous contraintes qui auraient pu être étalées dans le temps avec un moindre effet sur le fonctionnement des réacteurs et les conséquences que l’on connait sur les risques de pénuries et de ruptures de la fourniture d’électricité.

Le pire sans doute étant l’exigence de l’ASN de réaliser des modifications sur le parc existant pour « se rapprocher le plus possible du référentiel de sûreté de l’EPR » avec pour conséquence l’alourdissement considérable du programme des travaux à réaliser à l’arrêt des installations ou pendant leur fonctionnement, ce qui ne peut qu’affecter leurs production d’électricité.

Élisabeth Borne a donc demandé à EDF de lui expliquer les raisons des carences du parc nucléaire et de prendre les dispositions nécessaires pour retrouver sa pleine efficacité.  Sur la base de ce constat, on pourra toujours lui suggérer une révision de la loi TSN afin de donner toute sa cohérence à la future loi de programmation sur l’énergie et le climat avec l’objectif de gagner le pari de la relance du nucléaire dans notre pays.

Sources / Notes

  1. La fermeture de la centrale de Fessenheim marque une étape historique, Tribune collective dans Le Monde, 21 février 2020.
  2. Avis de l’Académie des Sciences du 8 juillet 2021 : La transition énergétique, à mettre en œuvre pour limiter nos émissions de gaz à effet de serre et le réchauffement climatique qui en découle, conduiront inéluctablement à une augmentation importante de la part de l’électricité dans la production et la consommation énergétique, pour atteindre un niveau de l’ordre de 700 à 900 TWh en 2050, presque le double de notre production électrique actuelle.
  3. La commission d’enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires de l’Assemblée nationale a procédé à l’audition de Dominique Minière, directeur du parc nucléaire et thermique d'EDF (15 mars 2018) : « nous réalisons des investissements beaucoup plus importants que ceux de n’importe quel autre exploitant mondial en matière de retour d’expérience de l’accident de Fukushima. La plupart des autres exploitants se sont arrêtés à la mise en place de structures et d’équipements proches de notre force d’action rapide nucléaire ; pour notre part, nous allons beaucoup plus loin, en choisissant de procéder à des renforcements par des équipements en dur : nous investissons ainsi de l’ordre de 200 millions d’euros par réacteur, contre environ 20 millions d’euros pour la plupart des autres exploitants ».
 

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Commentaire

Rochain Serge

Oui, vous devez beaucoup plus que la lumière. Vous devez cesser de piller la Terre pour transformer le produit de votre pillage en chaleur. De toutes les façons c'est bientôt la fin mais que vous importe que les réacteurs don't vous projetez la construction ne soient jamais amortis, ce seront vos enfants et petits enfants qui devront solder l'ardoise.

Schricke

"Maître" Serge Rochain, niveau zéro de "l'antinucléarisme" primaire, viscéral et idéologique, s'et cru obligé, une nouvelle fois, de sévir, d'amuser la galerie avec ses commentaires un peu "rances" et surtout très irréalistes, qui dénotent une "objectivité" à géométrie invariable, un peu "hors sol", dont les arguments et contre-vérités éculés ne devraient plus convaincre grand monde, je l'espère...
Le rôle du "fou du roi" ?
Il faut bien que certains amusent les foules !

Jerome GIRARD

Bravo Monsieur Desgranges, enfin du bon sens et de la vraie prise de responsabilité!
L'A.S.N. est devenue totalement irresponsable: 2 à 10 micron de "trait" extérieur sur une radio* de paroi de canalisation, par ailleurs de dizaine de mm. d'épaisseur (dont plus de 50% de sur-épaisseur de "sécurité"), et, "par principe de précaution" (bien Chiraquien), celle-ci fait mettre à l'arrêt toute la tranche nucléaire contenant cette "micro aspérité/fissure externe" ainsi que toutes les tranches françaises de même série, même si rien n'a été signalé ou trouvé jusque là, "au cas où" on aurait une toute petite chance de trouver une rayure extérieure qui l'inquièterait (l'ASN).
*: radio souvent plus de 100 fois plus puissante que celles existantes à l'époque de la construction des dites tranches.
D'ailleurs, sans changement de règle de fonctionnement organisée par l'exécutif ou par la loi, on ne voit pas bien quel haut fonctionnaire de l'ASN choisirait la décision responsable de n'arrêter la tranche soupçonnée que quand on est prêt et organisé avec les troupes suffisantes pour régler le sujet et uniquement pour la durée, rapide, de l'éventuelle réparation, plutôt que de systématiquement faire arrêter instantanément toutes les tranches d'une même série à la moindre aspérité rapportée par tel ou tel sur l'une d'entre elle, alors qu'on n'a manifestement et évidement absolument pas les moyens de les "traiter" toutes en même temps. (Extrémisme irresponsable)
En effet, le risque 0 absolu n'existant pas, il est beaucoup plus confortable et "sûr" pour ce haut fonctionnaire d'avoir des tranches à l'arrêt (sur lesquels, en cas d'un incident, il pourra toujours dire "je les ai arrêtées") même s'il prive le pays d'électricité (sujet sur lequel il ne risque strictement rien), alors qu'en gardant celles-ci en fonctionnement, - recommandant une vigilance particulière, par exemple - attendant leur tour pour un arrêt que lors ce que les équipes adéquates sont disponibles pour elle, il risque la critique au moindre incident (même si celui ci n'a rien à voir avec l'aspérité pour laquelle il aurait pu faire arrêter les tranches de production)...
La révision de cette loi TSN est une urgence de la République!

Gui

Exigences de l'ASN disproportionnées ? Après Tchernobyl et Fukushima, il serait irresponsable de ne pas avoir de telles exigences. Risques d'inondations pouvant affecter refroidissement de secours (vallée du Rhône), séisme au Teil qui pose la question de l'emplacement de centrales en zone sismiques, corrosion sous contrainte sur le refroidissement de SECOURS avec fissures de plusieurs CENTIMÈTRES.
Je ne dis pas qu'il faut se passer de tout le nucléaire tout de suite, mais se rendre à l'évidence à savoir que ce dernier est dangereux et que la sécurité se paie (cher).
Enfin, l'auteur de cette tribune critique le manque d'anticipation de l'Etat en matière de hausse prévisible de la consommation électrique, mais n'aborde nullement l'absence d'efforts significatifs en matière d'efficacité et de sobriété, ce qui constitue la clé du problème, avec l'autoconsommation et l'étalement des pointes, car permettant de maîtriser la puissance installée. Ainsi, on vient de voir ces dernières semaines qu'une baisse de la consommation même modeste dans un premier temps, pouvait être utile fasse à une limitation du parc.
En conclusion, cette tribune est idéologiquement orientée car se positionnant dans l'illusion du "toujours plus".

studer

Visiblement vous avez peur que le ciel vous tombe sur la tête !
Réfléchissez au sens de cet article : trop de sûreté tue la sûreté. Car tout est affaire de bon sens et d'équilibre : si le risque 0 n'existe pas, la sécurité absolue non plus. Juste deux détails :
- aux USA, les améliorations post-Fukushima ont coûté 10 fois moins qu'en France, où les réacteurs étaient déjà bien plus sûrs avant l'accident japonais.
- les fissures liées à la CSC dont vous parlez ne font que quelques millimètres (6 au max) sur des tuyaux épais de 30 mm. Elles ont été détectées et supprimées EN FRANCE avant même de devenir un danger. On ne sait même pas si nos amis américains sont allés voir leurs circuits de secours. Ils le feront probablement lors des prochains arrêts pour maintenance, sans pénaliser leur production.
Et ce pays est probablement celui qui s'en tire le mieux dans la compétition internationale et qui est à l'abri de la crise énergétique que nous connaissons en Europe.

Brizon

Le débat sur le "toujours plus" se clôt de lui même puisque c'est "bientôt la fin". Sous couvert de se préoccuper des générations futures....Y aurait'il d'autres façons de leur laisser un peu d'espoir ? En particulier sur la question de limiter les rejets carbonés qui reste centrale ?

ravon

Bravo Monsieur Desgranges . Je me souviens d'une grue en inox destinée à mener des opérations d'entretien dans un bâtiment réacteur. Elle a été remplacée par un pont roulant. La grue bien que n'ayant aucune radioactivité a dû être stockée des années dans le bâtiment "turbine" donc hors périmètre sensible en attendant que la technologie progresse pour détecter une potentielle radioactivité .... Insensé.

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