L’économie algérienne : histoire d’un avenir hypothéqué

Nassima Ouhab-Alathamneh

Docteure en sciences politiques, juriste et enseignante en économie à l'université de Nanterre
Spécialiste des transitions économiques et politiques du monde arabe et musulman

Agité par un mouvement de contestation sans précédent en vue de l’élection présidentielle (qui est censée avoir lieu le 12 décembre 2019), l’État algérien se trouve désormais dans une impasse politique. Son économie ne cesse de se dégrader à la suite de l’effondrement des cours du pétrole en juin 2014. Faute d’une diversification économique structurée, la rente pétrolière et gazière demeure la principale source de revenus pour le gouvernement depuis l’indépendance : les hydrocarbures constituent 97% des exportations algériennes et près de 60% des recettes budgétaires du pays.

La hausse des prix du pétrole entre 1999 et 2014, notamment en 2008 (lorsque le cours du baril avait atteint 145 $), a permis à l’Algérie de dégager d’importants excédents financiers(1) mais cette rente n’a malheureusement pas profité au développement économique du pays(2). Quel bilan peut-on aujourd’hui dresser de l’économie algérienne ?

Un développement économique dépendant de la rente pétrolière

Soutenue par la rente pétro-gazière dès l’indépendance, l’économie algérienne a toujours été influencée par la volatilité des prix du pétrole, comme en 1986 lors du contre-choc pétrolier qui avait contraint l’Algérie à adopter un Plan d’Ajustement Structurel(3). L’endettement extérieur de l’État et le tarissement des revenus pétroliers avaient alors eu des conséquences dramatiques sur l’ensemble de la société (printemps berbère de 1988, puis décennie noire de 1992 à 2000).

Ce n’est qu’à partir de 2000 que les indicateurs macroéconomiques ont commencé à s’améliorer, principalement grâce à la hausse des cours, ainsi qu’aux plans de développement et de relance de la croissance mis en place par Abdelaziz Bouteflika(4). En 2000, les autorités algériennes ont créé un fonds souverain alimenté par une partie des excédents budgétaires issus de l’exportation des hydrocarbures : le Fonds de Régulation des Ressources (FRR). En 2014, le solde de ce fonds atteignait 193 milliards de dollars ; il n’en reste que 68 milliards de dollars… Le recours systématique aux réserves de change pour combler le déficit budgétaire révèle non seulement l'inanité de l’appareil productif local mais aussi la mauvaise gouvernance publique des dirigeants algériens(5).

Avec la chute des cours, les exportations algériennes de gaz et de pétrole ont rapporté à l’État 33 milliards de dollars en 2018(6). L'économie algérienne fait face à d’importantes difficultés structurelles à cause du manque de diversification, de plans d’investissements hâtifs et d’un manque de rigueur et de régulation financières. En conséquence, le champ de l’initiative privée demeure très limité et absorbe une part très infime du chômage (qui s'élève à environ 12% en 2019(7)).

De plus, l’Algérie est classée, dans le rapport de 2018 de l’Institut Fraser(8), parmi les cinq pays les moins libres « économiquement » au sein du monde arabe, bien loin derrière la Maroc et de la Tunisie. En matière de corruption aussi, l’Algérie figure en mauvaise position dans le dernier rapport de Transparency International(9). Autant d’éléments qui devraient alerter les pouvoirs publics sur la nécessité de réformer l’ensemble des appareils institutionnel et productif.

Une nécessaire transition énergétique et économique

Depuis le milieu des années 2000, les pouvoirs publics ne cessent d’affirmer leur volonté de sortir l’économie algérienne de sa dépendance vis-à-vis de la rente pétrolière, sans toutefois que les déclarations soient suivies de décisions concrètes. S’ajoute à cela le fléchissement des cours du pétrole entre 2015 et 2018(10), alors que l’Algérie a besoin d’un prix de 110 $ par baril pour atteindre l’équilibre budgétaire.

La dégradation de la situation économique s’invite aujourd’hui avec force dans les débats publics. Le risque d’une cessation de paiements d’ici à 2022 fait craindre une véritable crise économique(11). À l’heure actuelle, aucune mesure économique rassurante n’a été élaborée par les candidats à la présidentielle (encore incertaine), hormis le projet de loi controversé sur les hydrocarbures ayant pour objectif l’établissement d’un nouveau cadre juridique et fiscal pour attirer les investissements étrangers(12). La diversification des sources de revenus en dehors des hydrocarbures devrait être la priorité du prochain Président, car la productivité est le seul rempart contre la régression.

Malgré la découverte de conséquentes réserves d’hydrocarbures non conventionnels (le « pic pétrolier » relatif aux réserves conventionnelles a été annoncé en Algérie dès 2008), l’accroissement de la consommation locale pèse de plus en plus sur la stratégie énergétique des autorités algériennes : en 2018, l'Algérie a consommé 42,7 milliards de m3 de gaz (soit 46% de la production annuelle du pays) et environ 414 000 barils/jour de pétrole (soit 28% de la production annuelle)(13). L’offre en énergies renouvelables - très peu exploitées en Algérie - est actuellement insuffisante alors qu’elle pourrait incontestablement pallier la baisse des réserves conventionnelles de gaz et de pétrole.

Mix énergétique de l'Algérie
La consommation de gaz naturel en Algérie a augmenté de 75% entre 2008 et 2018. (©Connaissance des Énergies)

Sources / Notes

Nassima Ouhab-Alathamneh est l'auteure du livre « L'après-pétrole dans le monde arabo-mulsulman » (Éditions L'Harmattan, 2018).

  1. Algérie : Budget et hydrocarbures : tout droit au clash ?, Le courrier du Maghreb et de l’Orient, décembre 2015.
  2. Des plans de diversification ont pourtant été élaborés par les gouvernements successifs dès 1963 : à travers la révolution agraire, puis avec la politique des industries « industrialisantes » qui sont censées avoir un effet d’entraînement sur les autres branches de l’économie.
    Les industries industrialisantes et les options algériennes, DESTANNE de Bernis Gérard, In Tiers-Monde, 1971, tome 12 n°47, Le tiers monde en l’an 2000. Pages 545-563.
  3. Élaboré par le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque mondiale.
  4. Ces plans ont permis d’améliorer la situation du pays (le Produit Intérieur Brut par habitant est passé de 1 801 $ en 2000 à 3 132 $ en 2005). Durant la période 2000-2014, l’économie algérienne a enregistré une forte croissance (pic de 5,9% en 2005) et la plus forte hausse de son PIB (324%).
    PLF 2020 : près de 1 800 mds DA de transferts sociauxAlgérie Presse Services, 3 novembre 2019. 
  5. Il a été décidé d'engager près de 500 milliards de dollars de dépenses publiques entre 2004 et 2013, d’une part afin de financer les investissements publics et les infrastructures, d’autre part afin de maintenir les transferts sociaux (logements, énergie, produits de première nécessité, etc.), en particulier lors des soulèvements populaires de 2011. D’après le projet de loi de finances de 2020, 99% du budget de fonctionnement est alloué à ces transferts sociaux, alors que le déficit budgétaire en 2019 s’est élevé à 15 milliards de dollars.
  6. Rapport des Douanes algériennes. Les réserves prouvées en pétrole de l’Algérie sont estimées à 12,2 milliards de barils, ce qui classe le pays à la 15e place au niveau mondial (le pays est le 18e producteur mondial). Quant au gaz de schiste, les réserves prouvées propulsent l’Algérie à la 3e place derrière les États-Unis et la Chine. 
  7. Donnée de la Banque mondiale.
  8. Economic freedom of the Arab World : 2018 Annual Report.
  9. L’Algérie occupe désormais la 105e place sur 180 (classement du « plus propre » au « plus corrompu ») du rapport de Transparency International relatif à l’Indice de Perception de la Corruption, alors que la Tunisie et le Maroc figurent en 73e position. Corruption Perceptions Index 2018.
  10. Le cours annuel moyen du baril de Brent a atteint 52,35 $ en 2015, 43,54 $ en 2016, 54,25$ en 2017 et 71,05 $ en 2018. Données Reuters/DGEC.
  11. Bien que les rapports de 2019 du FMI et de la Banque mondiale s’avèrent plus rassurants à l’égard de la situation économique en Algérie (à l’exception du déficit de la balance des comptes courants qui a atteint 12,5% du PIB).
  12. Les principales dispositions du projet de loi relative aux hydrocarbures, Algérie Presse Service, 17 octobre 2019.
  13. BP Statistical Review of World Energy, juin 2019.

Commentaire

Abadie

Quel avenir pour les algeriens avec la fin dule gaz et du pétrole ?

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