Responsable de la zone « Iran » au sein d’EVOLEN(1)
Ancien représentant du groupe Total en Iran (2004-2008)
Tout début novembre 2016, le premier accord d’importance depuis 20 ans a été signé à Téhéran entre Total (50,1%, opérateur), Petropars (19,9%, filiale à 100% de la compagnie nationale NIOC) et la société chinoise CNPC (30%) pour le développement de la phase 11 de South Pars, partie iranienne du plus grand champ de gaz au monde. Cela marque le vrai retour des majors en Iran, d’autant que ce développement avait déjà été attribué à Total en 2004 (couplé au projet Pars LNG) mais arrêté par les sanctions, après plusieurs années d’études approfondies.
Quelques rappels historiques
Je n’insisterai pas sur la place essentielle de l’Iran dans le pétrole et le gaz au Moyen-Orient et dans le monde. Rappelons simplement que l’Iran possède, au niveau mondial, les premières réserves de gaz et les troisièmes de pétrole. L’Iran est par ailleurs le plus vieux producteur de pétrole du Moyen-Orient (premier forage de Masjid-e-Soleiman en 1908).
Seule la National Iranian Oil Company a le droit de produire…
La culture pétrolière iranienne est donc ancienne et profondément ancrée. Elle est basée sur un principe essentiel : seule la NIOC (National Iranian Oil Company) a le droit de produire, l’aval étant en revanche accessible aux autres sociétés comme les « bonyads » (fonds caritatifs iraniens redistribuant les revenus du pétrole) mais aussi les sociétés étrangères (Total, Shell, etc). Ce principe ne date pas de la Révolution de 1979 mais des années 1950(2). Il a prévalu depuis lors et est resté le socle du secteur pétrolier iranien, y compris lorsque les contrats « Buy-Back », apparus en 1995, ont permis le retour des compagnies internationales dans le pays.
Pour rappel, les « Buy-Back » sont des purs contrats de service qui excluent en particulier les contractants de la production après la livraison des installations. Au final, aucune des sociétés contractantes étrangères n’a gagné le moindre euro avec ces contrats(3). Parmi ces sociétés, Total a été la plus présente de 1995 jusqu’aux sanctions avec 4 contrats « Buy-Back » réalisés dont certains ont été positifs (South Pars 2 et 3) mais avec un résultat cumulé nul. Tous les autres contractants ont perdu de l’argent pour des raisons diverses mais surtout à cause de l’extrême rigidité de l’application des contrats et d’autres contraintes liées à ces derniers.
Quel environnement pour les affaires aujourd’hui ?
Le 16 janvier 2016, 37 ans, jour pour jour, après le départ du Shah, les sanctions liées au dossier nucléaire iranien ont été « levées » dans l’allégresse générale. En réalité, cette levée ne fut que partielle :
- elle ne concerne que des sanctions secondaires ;
- elle est immédiatement réversible en cas de manquement de l’Iran à ses obligations vis-à-vis de l’AIEA (« Snap-Back »), ce qui compromet fondamentalement les investissements étrangers. C’est une véritable épée de Damoclès qui pèse dans les prises de décision d’investissements et dans la recherche de financements ;
- les sanctions américaines sont diverses (fédérales, nationales et même locales) et complexes. L’attitude de l’OFAC(4) reste en particulier ambiguë ;
- les grandes banques européennes sont tétanisées depuis les amendes infligées à certaines d’entre elles par l’administration américaine pour avoir utilisé le dollar dans des transactions jugées douteuses (en particulier au mépris des sanctions contre l’Iran).
En interne, les différentes « factions » iraniennes se sont déchirées sur le nouveau contrat pétrolier (« IPC ») qui était censé remplacer le « Buy-Back » en se rapprochant des contrats de partage de production communément utilisés dans le monde entier. Il a été annoncé il y a plusieurs années, présenté officiellement il y a déjà un an et rebaptisé récemment « Updated Buy-Back ». Mais rien n’est à ce jour clair ou définitif. Tout reste matière à négociations. Cela va durer et risque bien de rester tel quel alors que les radicaux continuent à n’accepter que les « Buy-Back » classiques.
Les élections présidentielles de mai 2017 engendrent une incertitude majeure.
Depuis une dizaine d’années, la très profonde et tentaculaire implantation d’entités iraniennes, toujours sous sanctions aujourd’hui, dans l’économie du pays (comme les filiales « civiles » des Pasdarans(5)) est un obstacle majeur à la coopération industrielle et commerciale avec les sociétés étrangères. Ces dernières ne peuvent en aucun cas prendre le risque d’être elles-mêmes sanctionnées. De leur côté, les opaques bonyads et fonds de pension, qui détiennent une part énorme de l’économie iranienne (40% ou 50% ?) sans être imposables, sont de bons gestionnaires de leur patrimoine mais en aucun cas des partenaires industriels.
La solidité des banques iraniennes est enfin réputée bien faible, le nombre et le montant des créances douteuses qu’elles détiennent n’étant pas connus. Les virements internationaux qui étaient impossibles avant le rétablissement du réseau SWIFT(6) en mars dernier, restent infaisables en raison de la non-conformité des banques locales. L’annonce par les autorités que les conséquences éventuelles d’un « Snap-back » des sanctions seraient intégralement supportées par les parties prenantes étrangères, n’aide pas aux décisions de ces dernières.
Les élections présidentielles de mai 2017 engendrent enfin une incertitude majeure pour les affaires.
Ce pour quoi l’Iran a besoin des sociétés étrangères
Le besoin fondamental de l’économie iranienne reste l’argent. Même si certaines choses se sont améliorées comme le volume des exportations d’hydrocarbures, le prix du baril ou encore la maîtrise de l’inflation, d’autres continuent à peser sur le budget iranien à l’image du coût des opérations militaires extérieures. Les champs de pétrole, malgré la résilience de leur industrie, sont par ailleurs souvent de vieux champs bien « fatigués », qui nécessitent des techniques modernes de réhabilitation pour compenser leur déplétion. Le retard de L’Iran en la matière est important par rapport à l’état de l’art. Les besoins en savoir-faire et en financement associé pour compenser cette déplétion des champs sont ainsi cruciaux.
Le 16 janvier 2016 a bien été une date historique mais les problèmes pratiques n’ont pas été résolus.
Pour le gaz, l’Iran a remarquablement développé son marché intérieur : plus de 95% du tissu urbain est connecté au réseau gazier, 1,4 million d’automobiles circulent au gaz naturel comprimé, etc. Le pays reste toutefois un petit exportateur de gaz (par pipelines uniquement). En fait, l’Iran n’a pas saisi l’opportunité de s’établir sur le marché du gaz naturel liquéfié (GNL) en 2008/2009 pour diverses raisons dont les sanctions et il est aujourd’hui très difficile de justifier une nouvelle unité de production de GNL au sein d’un marché où les capacités de production sont très excédentaires (l’Amérique du Nord exporte dorénavant grâce au gaz de schiste alors qu’elle était un grand importateur).
L’aval a aussi de très gros besoins financiers et techniques, tant en raffinage qu’en pétrochimie. Le secteur automobile, dont Peugeot et Renault ont été des partenaires historiques, représente un très gros marché intérieur. Le renouvellement de la flotte d’avions civils est enfin réel et urgent.
L’administration iranienne est parfaitement consciente de toutes ces questions et navigue au mieux dans son contexte propre, qui relève de la négociation constante avec l’administration du Guide et avec les radicaux. Ce sont tous de très bons joueurs d’échecs. Le 16 janvier 2016 a bien été une date historique mais les problèmes pratiques n’ont pas été résolus d’un coup de baguette magique comme beaucoup de gens l’imaginaient …
Ce pour quoi les sociétés étrangères reviennent en Iran
Malgré les nombreux problèmes énoncés précédemment, la bonne nouvelle est que ceux-ci sont bien identifiés et que les parties prenantes travaillent à les résoudre. Dans un contexte économique mondial morose, l’intérêt des sociétés étrangères pour le secteur pétrolier et gazier iranien est aujourd’hui tout naturel. Le faible prix du baril impose des coûts de développement et de production peu élevés pour tout nouveau projet, ce qui est une caractéristique propre des champs iraniens. Beaucoup de possibilités intéressantes semblent ainsi pouvoir être offertes dans le cadre des « Updated Buy-Back ».
Les annonces d’accords sont donc nombreuses, même si ce ne sont encore que des « MOU » (Memorandum of Understanding) ou des « HOA » (Heads of Agreement). Ils représentent des centaines de milliards d’euros d’investissements potentiels et proviennent du monde entier :
- Europe : Total, ENI, BP, Shell, Airbus, Peugeot, Renault, etc. ;
- Asie : CNPC, Pertamina, Petronas, etc.
- Russie : Gazprom, Rosneft, etc. ;
- États-Unis : Boeing, etc.
Précisons que des PME vont suivre dans le sillage de ces très grandes entreprises. Notons également que plusieurs pays vont rester des acteurs clés en Iran, à commencer par la Chine qui dispose de très importantes sources de financement. L’Iran dispose d’ailleurs encore de crédits en yuans dans les banques chinoises.
L’élection de Donald Trump n’est pas si négativement accueillie en Iran…
Côté américain, la future administration clarifiera-t-elle les pratiques extraordinaires de l’OFAC, de l’extra-territorialité de leurs règles et lois, etc. ? L’élection de Donald Trump n’est pas si négativement accueillie en Iran. Depuis la Révolution, les Démocrates, hormis Barack Obama, ont en effet toujours été plus « difficiles à vivre » pour l’Iran que les Républicains. Le rôle de l’Iran dans la géopolitique régionale est devenu par ailleurs incontournable. Enfin, Donald Trump est considéré comme un « bazari(7) » par les Iraniens et il est toujours possible de s’entendre avec un bazari… La nomination d’Eric Tillerson, ancien PDG du groupe ExxonMobil, au poste de Secrétaire d’Etat est par ailleurs de bon augure pour les sociétés étrangères du secteur pétrolier.
L’année 2017 sera ainsi cruciale pour l’Iran, qui l’entame avec des atouts mais aussi des incertitudes, notamment les futures élections présidentielles. Si l’Iran a longtemps refusé de se joindre de l’accord de réduction de la production pétrolière au sein de l’OPEP, c’était bien sûr politique. En revanche, son engagement récent est surtout pragmatique car l’Iran ne pourrait pas produire davantage aujourd’hui, compte tenu de la fatigue de ses gisements et de ses énormes besoins d’investissements non encore obtenus.
Pour reprendre son rang dans le concert international et réussir à ancrer les sociétés étrangères localement et en obtenir tous les financements attendus, l’Iran doit impérativement mettre à niveau ses systèmes bancaire et financier, proposer des partenaires industriels ainsi que des conditions attrayantes aux sociétés étrangères... Cela ne sera possible que grâce à un travail d’équipe qui, malheureusement, n’est pas vraiment un trait de fond de la culture iranienne.
Sources / Notes
- Né de la fusion en 2011 du Groupement des Entreprises Parapétrolières et Paragazières (GEP) et de l’Association des Techniciens et Professionnels du pétrole (AFTP), EVOLEN représente les 250 sociétés françaises de la filière des hydrocarbures (exploration, production, développement, logistique, raffinage, distribution).
- Ce principe a été mis en place par Mohammad Mossadegh, grand artisan de la nationalisation du secteur pétrolier iranien, avant d’être écarté par la CIA et le MI6 lors du coup d’État de 1953.
- Selon les données chiffrées du cabinet de conseil Wood Mackenzie.
- L'Office of Foreign Assets Control (OFAC) est chargé de l'application des sanctions internationales américaines dans le domaine financier.
- Organisation paramilitaire du Corps des Gardiens de la révolution islamique.
- Le réseau SWIFT est un réseau interbancaire qui offre différents service dont les transferts de compte à compte.
- Un bazari est un commerçant dans un bazar en Orient.