Bénédiction ou malédiction : les Ougandais partagés sur un mégaprojet pétrolier

  • AFP
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Dans la savane grouillante du nord-ouest de l'Ouganda, des antilopes regardent par-delà une clôture métallique où une plateforme pétrolière géante s'élève au-dessus de prairies.

De larges routes goudronnées ont remplacé les pistes de terre, une piste d'atterrissage moderne a été aménagée et des hôtels et des boutiques de luxe ont vu le jour autour du Parc national de Murchison Falls où le mégaprojet de Tilenga avance à grands pas.

Le pétrole est présent dans cette région pauvre mais dotée d'une importante biodiversité sur les rives orientales du lac Albert.

Le géant pétrolier français TotalEnergies, qui participe à ce mégaprojet entre l'Ouganda et la Tanzanie d'un montant de 10 milliards de dollars avec la compagnie chinoise CNOOC, comparaît mardi devant un tribunal à Paris, accusé par six ONG d'avoir manqué à son "devoir de vigilance" sur ce projet.

À partir de 2025, selon la société, le pétrole sera pompé des entrailles de l'Ouganda enclavé, et transporté sur 1.400 kilomètres jusqu'à la côte tanzanienne dans ce qui sera le plus long pipeline de ce type au monde.

Bilan mitigé

Quant aux riverains, ils n'ont pas tous vécu de la même façon l'arrivée des pétroliers, qui ont mis l'accent sur l'impact économique du projet.

TotalEnergies a affirmé que Tilenga créera 7.000 emplois dans la région du lac Albert, et certains habitants ont bénéficié de rachats de terres et de bourses, quand d'autres se sont retrouvés devant les tribunaux pour s'être opposés au projet.

Emily Fwachan, originaire du district de Buliisa où se trouvent les champs de Tilenga, a vendu cinq acres de terrain à TotalEnergies pour 25 millions de shillings ougandais, soit environ 6.700 euros.

L'entreprise a construit une nouvelle maison pour la femme de 54 ans, et elle a utilisé une partie de l'argent pour acheter une propriété et une moto à son fils, et établir une ferme apicole pour vendre du miel aux travailleurs du secteur pétrolier.

"J'ai eu plus d'avantages que de problèmes", a-t-elle déclaré à l'AFP.

Joselyn Katusabe, 48 ans, mère célibataire de six enfants, a reçu environ 1.000 dollars pour la vente d'une petite parcelle de terrain où elle cultivait du manioc. Avec ce pécule, elle a ouvert un petit salon et payé les frais de scolarité. Avant que l'argent ne soit rapidement épuisé.

"Contrairement à la ferme de manioc (...), le salon me donne un revenu quotidien. Pourtant, ce n'est pas suffisant", a-t-elle estimé.

"Injustice"

Scovia Aheebwa, issue d'une fratrie de 12 frères et soeurs, a reçu une bourse de la compagnie pétrolière qui lui a permis de terminer ses études.

"Mes parents ont toujours eu du mal à payer les frais de scolarité", a déclaré la jeune femme de 25 ans, désormais diplômée de l'université et qui enseigne les sciences dans une école renommée de la capitale Kampala.

TotalEnergies affirme que plus de 200 étudiants ont bénéficié du programme.

Jealousy Mulimba Mugisha a refusé l'offre d'indemnisation et a été traduit en justice par le gouvernement pour avoir fait obstruction à un projet défendu par l'Etat.

Ce père de sept enfants, âgé de 51 ans, a perdu en première instance mais a fait appel. Sans se faire d'illusions.

"Nous avons perdu mais en Ouganda, si vous êtes pauvre, ne vous attendez pas à ce que justice soit rendue", souligne-t-il, affirmant que certains membres de sa famille ont été "intimidés" pour accepter une offre d'indemnisation de moins de 1.000 dollars.

"Nous pourrons dire aux générations futures que le pétrole est une malédiction plutôt qu'une bénédiction", a-t-il déclaré.

"Nous n'acceptons pas l'injustice", a assuré de son côté Geoffrey Byakagaba, un agriculteur qui a également refusé l'offre d'indemnisation.

Le pays est dirigé d'une main de fer depuis 1986 par Yoweri Museveni, qui avait décrit le projet comme une source économique majeure.

Normes "élevées"

Le directeur général de TotalEnergies en Ouganda, Philippe Groueix, assure de son côté qu'il y aura toujours des détracteurs mais que, dans l'ensemble, la réponse à l'indemnisation avait été positive.

"Il y a débat sur ce projet, savoir si ce projet est fait de manière exemplaire, socialement, écologiquement. Notre réponse est oui", a-t-il déclaré à l'AFP, affirmant que le projet respectait les "normes les plus élevées".

Il assure également s'attendre à une issue favorable pour TotalEnergies à l'issue de l'audience mardi au tribunal de Paris.

L'entreprise pétrolière affirme avoir limité le nombre de puits à l'intérieur du parc national et conçu le pipeline de manière à minimiser son impact sur l'environnement.

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