Dans le sud du Pakistan, le pari sur le charbon s'opère aux dépens de l'environnement

  • AFP
  • parue le

Le ballet des camions est incessant dans le désert de Tharparkar, au sud du Pakistan. Une gigantesque mine et une centrale à charbon, construites grâce à la Chine, entreront bientôt en activité, au mépris de l'environnement dans un pays où il est déjà fragilisé.

Les énormes engins, chargés de gravats, peinent à remonter jusqu'au sommet de la mine. Puis ils déversent leurs cargaisons dans une immense décharge. D'énormes excavatrices assaillent les profondeurs du site. Les machines travaillent même la nuit pour ce chantier-phare du Corridor économique Chine-Pakistan (CPEC), un accord prévoyant des dizaines de milliards d'euros d'investissements chinois au Pakistan, notamment en infrastructures et centrales électriques.

Neuf d'entre elles sur les 17 prévues fonctionneront au charbon. À quelques kilomètres de là, les hautes cheminées de la future centrale émergent au milieu des dunes. Des myriades d'ouvriers chinois et pakistanais s'activent dans les entrailles du bâtiment. "Nous avons cinq mois d'avance sur notre calendrier", se réjouit Shams Shaikh, directeur général de la Compagnie minière Sindh Engro charbon (SMEC), une joint-venture sino-pakistanaise qui a investi près de 1,7 milliard d'euros dans la mine et la centrale.

Grâce à l'expertise chinoise, l'ensemble des travaux seront achevés en "mai 2019", ajoute-t-il, soit moins de 4 ans. Le gisement est considéré comme le septième plus important du monde, riche de 175 milliards de tonnes de charbon. Découvert en 1992, il n'avait jusqu'ici pas été exploité. Le consortium prévoit d'extraire 3,8 millions de tonnes de charbon par an pour alimenter la centrale, d'une capacité totale de 660 MW, selon M. Shaikh.

Lac salé

Le projet suscite l'inquiétude pour son impact écologique, en dépit des réassurances des autorités. D'autant que le combustible est du lignite,charbon à faible rendement énergétique et émettant davantage de dioxyde de carbone.

Le site "se conforme aux normes environnementales nationales", affirme Murtaza Rizivi, le directeur des opérations minières de Tharparkar. Yan Bing Bing, l'ingénieur chinois en charge du projet, assure pour sa part que "les lois environnementales internationales (...) seront respectées".

Tharpakar a déjà un impact sur les ressources en eau de cette vaste zone désertique et très pauvre, affirment les habitants de Gorano, petit village à 25 km de là. Des rivières souterraines coulaient dans la mine, qu'il a fallu détourner. Gorano a ainsi vu ses pâturages transformés en lac salé. "C'est le chaos complet", se lamente Raja, un villageois. "L'eau a attiré des moustiques, qui diffusent des maladies", soupire un autre, Yameen Bhatti.

D'après la SMEC, une enveloppe de 950 millions de roupies (6,7 millions d'euros) a été débloquée pour indemniser la communauté. Après les inondations, les habitants devront probablement faire face à un assèchement des nappes phréatiques, les centrales thermiques étant très gourmandes en eau, mettent en garde des spécialistes. "Des millions de litres d'eau vont être utilisés chaque jour (par la centrale). Très vite, il n'y en aura plus. Que vont-ils faire ensuite?", s'interroge Omar Cheema, un expert environnemental, qui qualifie le projet de "désastre environnemental et financier".

Le Pakistan pourrait connaître d'ici 2025 une pénurie "absolue" d'eau, selon l'ONU. Le Sud, aride, sera particulièrement touché.

Solaire inexploité

Outre les graves questions écologiques qu'il soulève, le projet Tharparkar est aussi une aberration politique et économique, s'agace M. Cheema. "Alors que tout le monde sort du charbon, nous nous jetons dessus, peste-t-il. "Le Pakistan va contre l'histoire et contre ses propres ressources."

Plusieurs études internationales ont montré ces dernières années que le charbon n'était plus compétitif par rapport aux énergies renouvelables. Irfan Yousuf, le directeur des énergies renouvelables au ministère de l'Énergie, évalue le prix du kWh issu de l'énergie solaire à 4,8 roupies (3 centimes d'euro) contre 8,5 (6 cts d'euro) pour le charbon.

"Le Pakistan est un pays très ensoleillé, mais ce potentiel est inexploité", regrette-t-il. Seuls 500 MW d'électricité solaire sont développés au Pakistan, contre un potentiel évalué à 2,9 millions de MW selon lui.

Quant au maître d'oeuvre, la Chine, elle fait preuve d'"hypocrisie" en matière d'énergie, tonne l'ONG allemande Urgewald. Loin de réduire sa flotte de centrales au charbon, elle est en train de l'étendre sur son territoire ainsi que dans 16 autres pays dont le Pakistan, affirme-t-elle. "Le gouvernement et ses compagnies d'État doivent mettre fin à l'expansion du charbon en Chine et à l'étranger", s'insurge sa directrice Heffa Schuecking.

Commentaires

Charentas

C'est cela qu'il faut pleinement dénoncer, au lieu de communément pointer du doigt l'Allemagne, qui, elle, évolue dans le bon sens, en développant pleinement les énergies renouvelables et en réduisant la part du charbon dans la production électrique, part qui est descendue à 37% (IDDRI).

Pierre-Ernest

Cette situation préfigure les prochaines difficultés qui se profilent : en réalité, il sera très difficile (pour ne pas dire impossible) d'empêcher les pays du monde en développement d'utiliser les carburants fossiles lorsqu'ils le pourront. Ce que fait le Pakistan aujourd'hui sera certainement imité par l'Inde, la Chine pour commencer, et ces pays seront très probablement imités rapidement par les pays africains. La Banque Mondiale ne finance plus les projets de ce type, mais les pays en question n'ont qu'à se tourner vers la Chine pour trouver des financements. Ce sera perdu pour les pays en développement sur les 2 tableaux : l'influence grandissante de la Chine et la "transition écologique" qui ne sera pas écologique du tout pour les pays en développement.
La question est : non seulement peut-on mais doit-on empêcher les pays en développement d'utiliser les fossiles pour leur développement comme nous l'avons fait plus tôt ? Et la réponse est probablement non pour les deux questions.
Alors, plutôt que de s'efforcer de limiter les émissions de CO2, on pourrait (peut-être) admettre que malheureusement, le fossile qu'on ne brûle pas, les pays en développement le brûleront à notre place, avec les mêmes conséquences du point de vue du réchauffement. Et l'attitude la plus sage, c'est peut-être de se préparer à une élévation de température plus élevée que ce qui était prévu. C'est la rançon, peut-être terrible, du progrès.

Charentas

Non. Votre écrit est défaitiste. Que faites-vous des propos d'Omar Cheema et d'Irfan Yousuf ?
Développer ainsi, sciemment, la filière charbon est criminel et dramatique. Aujourd'hui, nous connaissons tous les méfaits des gaz à effet de serre sur le changement climatique. Nous devons tous en tenir compte. Que le pays soit plus ou moins développé, économiquement parlant.
Le Pakistan peut tout à fait, il aurait tout avantage à le faire, développer le solaire, avec stockage par réservoirs à sels fondus, ou batteries, ou power to gas. Eventuellement, centrale à gaz à cycle combiné. Mais pas le lignite.

Pierre-Ernest

Il ne s'agit pas d'être optimiste ou défaitiste, mais simplement réaliste. 74 % de la population pakistanaise vit avec moins de 2 dollars par jour (Wikipédia). Le pays est en manque cruel d'énergie, avec des coupures d'électricité récurrentes. Et vous voulez les alimenter avec des panneaux solaires qui coupent l'électricité tous les soirs avec des solutions à ce problème qui n'existent que sur les sites Internet spécialisés ? Ce n'est pas réaliste. Et le Pakistan n'est, bien sûr, qu'un exemple parmi d'autres.
Les occidentaux bien nourris peuvent se permettre de faire des plans pour sauver la planète. Le problème des autres, c'est d'abord de survivre. Et ne pas tenir compte de ça est non seulement irréaliste, mais cruel.

ONILLON Jean-F…

Pierre-Ernest, le problème des des pays dit "émergeant" (le plus souvent du chaos politique) est de vouloir rejoindre les pays dits riches avec leur pouvoir d'achat, et aussi malheureusement leur mirages ... Comme la Chine des années 60 et l'Inde des années 90, ils veulent leur rêve économique et technologique, le plus tôt possible et par tous les moyens.

Dans toute société technologiquement évoluée, l'énergie est la clé fondamentale de son développement. Il n'y a pas de civilisation sans énergie, que celle-ci soit animale, thermique, solaire ou nucléaire. Nous enfouissons nous-mêmes nos déchets nucléaires sans être sûrs de ne pas les retrouver un jour lointain dans nos assiettes.
La Chine est opportuniste dans le sens où elle fait un marché de dupes avec les Pakistanais et exporte en quelque sorte sa pollution tout en retirant les bénéfices pour son économie. Nous les occidentaux nous vendons des armes au monarchies du Golfe pour exterminer les Yéménites. Comme disent les Américains "business as usual", il faut cesser d'être naïf et de voir la réalité au travers du prisme de notre échelle de valeurs. Chacun choisit son destin!

D'autre part vous avez raison, chacun a sa propre idée de la "transition énergétique", car c'est d'elle qu'il s'agit ici, plus que de la transition écologique qui veut crucifier le CO2 sur l'autel de la bien-pensance sans même connaître les véritables ressorts du changement climatique. Après tout, le CO2, c'est aussi un marché de droits à polluer; une autre fourberie! Le GIEC est aux ordres et nous cache une partie essentielle de la menace en nous montrant du doigt .... le CO2!
Il y a quelques temps un homme politique français nous parlais d'un plan d'électrification de l'Afrique ... un certain Borloo, qu'en est-il aujourd'hui à part de belles promesses diplomatiques ....Il faut faire un grand traité de paix Europe-Afrique: https://www.ouest-france.fr/monde/afrique/electrification-de-l-afrique-…
Comment doit-on faire pour planter des panneaux solaires dans la toundra africaine ou le relief escarpé du Pakistan sans avoir le réseau pour les exploiter? Le réseau c'est une infrastructure et une économie qu'il faut implanter avant les panneaux solaires, et une armée pour assurer sa stabilité politique face à l’Afghanistan voisin qui est un nid de terrorisme intégriste.
Et comme vous le dites, l'électricité photovoltaïque s'arrête la nuit, sans pouvoir de stockage par sels fondus, batteries ou génération gazeuse, ceux-ci exigeant une infrastructure industrielle préalable ...Nous tournons en rond!
Nous-mêmes, les Français, reconnaissons maintenant que les seules énergies alternatives ne peuvent suffirent à nos besoins, et que nous devons construire de nouveaux réacteurs nucléaires (à la place des plus vieux) pour disposer de l'énergie dite de masse en complément du solaire ou autres hydrolien qui ne sont pas constants en puissance dans un réseau.
Il ne suffit pas de répéter des solutions oniriques échappées de quelques illuminés du Web, ou des fantasmes colportés par des lobbys mondialistes. Il faut d'abord vivre dans le réel des solutions qu'on prétend proposer, et ne pas chercher à installer un nouveau colonialisme économique et industriel dans des pays qui ne sont pas prêts à l'accepter.
Le Pakistan a du charbon, la Chine a la technologie et la compétence (la plus performante du monde) pour construire des centrales à très haut rendement, même avec du lignite. Le vrai prix à payer sera la pollution locale et aussi planétaire qui en résultera, mais il faut bien commencer par quelque chose, avec les moyens du bord!
Nous n'avons pas de leçons à leur donner, et nous devons les laisser évoluer à leur rythme, en faisant leurs erreurs et en assumant le prix de celles-ci.
Le CO2 n'est pas le vrai problème de l'humanité, son vrai problème est le mur de l'énergie qui se profile et pourrait tous nous obliger à nous rationner.

C'est ainsi que fonctionne toute l'humanité. L'essentiel est de rester humain et de ne vouloir se prétendre être des dieux!

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