Fessenheim : la centrale nucléaire a amené une population extérieure surdiplômée (interview du chercheur Teva Meyer)

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  • parue le

Teva Meyer, maître de conférences en géographie à l'Université de Haute-Alsace, spécialiste du nucléaire civil, souligne à quel point la présence d'une centrale modèle le paysage, mais aussi la démographie et la sociologie du territoire où elle est implantée.

En quoi la centrale de Fessenheim a-t-elle marqué plus profondément que d'autres le territoire ?

La particularité française par rapport à l'Allemagne ou aux États-Unis, c'est que les centrales ont été positionnées dans des territoires ruraux. C'était une volonté politique dans les années 1970. À l'époque, le ministre de l'Industrie de Pierre Messmer, Michel d'Ornano, écrit dans une note qu'il y a un vrai risque, si on met les centrales nucléaires à proximité des villes, de se retrouver face à des nids d'anti-nucléaires.

Les centrales se sont donc installées pour la plupart dans des territoires en déprise démographique et en déprise industrielle. C'est le cas pour Fessenheim. À l'échelle de la ruralité alsacienne, c'était l'un des espaces les plus en déprise. On n'avait pas la même dynamique qu'aujourd'hui de gens qui vont travailler en Suisse ou en Allemagne, c'était une région assez pauvre. Fessenheim était la commune du Haut-Rhin qui perdait le plus d'habitants.

Comment la présence de la centrale a-t-elle influé sur la population locale ?

Une centrale nucléaire qui arrive dans un village de 1 000 habitants, c'est d'un seul coup 800 travailleurs permanents, plus les sous-traitants. Il n'y a pas les ressources humaines sur place pour la faire fonctionner. On fait venir des travailleurs de l'extérieur, qui sont pour la plupart diplômés du supérieur. Le pourcentage de cadres et de techniciens supérieurs est extrêmement important, il n'y a quasiment pas d'ouvriers parmi les employés de la centrale nucléaire, à l'exception de quelques sous-traitants.

Pendant très longtemps, Fessenheim a été la commune du département avec la plus grande part de population diplômée du supérieur et la plus petite part de personnes n'ayant que le brevet des collèges. Elle n'a été dépassée que très récemment par les communes urbaines ou périurbaines. Les salariés de la centrale arrivent avec des salaires beaucoup plus importants que ceux des populations locales : le salaire moyen des employés de centrale nucléaire en France, c'est 50% de plus que le salaire médian français. Il y a aussi un effet culturel et social. Pour que cette population qui vient de l'extérieur se sente chez elle, on crée un gros tissu associatif, subventionné directement ou indirectement par EDF.

Vous parlez des « émirats municipaux » créés par certaines centrales. Diriez-vous que c'est le cas à Fessenheim ? La transition s'annonce-t-elle difficile ?

Partout en France, les communes du nucléaire ont vécu comme des émirats ou des pétromonarchies, sur la base d'une rente économique. La particularité de Fessenheim est que la commune s'est rendu compte assez tôt qu'elle n'aurait plus les moyens de financer certaines infrastructures quand la centrale aurait fermé, comme la piscine. Il y a eu un débat pour savoir si elle pouvait être maintenue et il a été décidé que non.

La transition va prendre énormément de temps. L'ASN nous dit qu'on est sur une temporalité d'une vingtaine d'années pour le démantèlement. Ailleurs dans le monde, on constate que c'est plutôt une quarantaine d'années. On doit prendre le temps de la réflexion sur la façon dont on accompagne la transition économique du territoire, mais aussi sur le plan culturel et identitaire. Il faut construire ces projets avec les populations locales. Il ne faut pas prendre le risque d'avoir des projets imposés par le haut et refusés par le bas, et c'est malheureusement déjà un peu ce qu'on voit.

Commentaires

Rochain

Drôles de propos pour un Maitre de conf en géographie, qui se dit, ou se fait dire spécialiste du nucléaire civil, et qui nous parle de sociologie dans le milieu de la ruralité nucléaire….. certainement le rejeton issu de ce fameux mariage de la carpe et du lapin.

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