Guerre en Ukraine : coup de froid sur la tomate française sous serre

  • Connaissance des Énergies avec AFP
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Dans les rangs de tomates de Jean Guilbaud, mieux vaut garder son manteau. Comme beaucoup de ses collègues, le maraîcher breton ne chauffe (presque) plus ses serres depuis la flambée des prix du gaz provoquée par la guerre en Ukraine.

Cœur de bœuf, Noire de Crimée ou Rose de Berne :  en ce jour de printemps, la récolte des tomates anciennes bat son plein sous les serres des Jardins de Sévigné, aux portes de Rennes. Mais, ce matin-là, l'ambiance est plus fraîche qu'à l'accoutumée entre les rangées de tomates hors-sol, où les températures ne dépassent pas les 12°C, contre une moyenne de 20°C habituellement.

Depuis la flambée des prix du gaz, qui ont grimpé jusqu'à dix fois leur cours habituel, Jean Guilbaud a drastiquement réduit le chauffage de ses 2,3 hectares de serres, dont les plus vieilles datent des années 70. Avec des serres aussi âgées, "c'était déjà un modèle économique en sursis", confie le maraîcher. "Alors, avec l'évolution du coût de l'énergie, y a pas de solution", regrette l'homme à la moustache grisonnante, en guise de "constat triste et résigné".

Ce "passionné de légumes" a eu beau reporter de trois mois une partie de ses cultures, qui seront cultivées "entièrement à froid", les trois jours de gel de début avril lui ont quand même "coûté 15 000 euros" de gaz juste pour protéger ses jeunes plants, calcule-t-il.

Rendements en baisse

Privées de chauffage, les tomates risquent en outre de pousser moins vite et de développer des maladies, entraînant par là-même une chute des rendements. "Beaucoup d'entreprises ne vont pas s'en relever", estime M. Guilbaud.

La France compte environ 1 200 hectares de serres de tomates hors sol, chauffées principalement au gaz, selon les organisations professionnelles du secteur. La tomate sous serre chauffée est souvent critiquée pour son bilan carbone (1,88 kilo de CO2 par kilo de tomates) nettement plus lourd que celui de la tomate de saison (0,51 kilo), selon les chiffres de l'Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie).

Ses défenseurs mettent eux en avant une consommation d'eau très faible et un moindre recours aux pesticides. Plus modernes et mieux isolées, les serres ont aussi nettement réduit leur consommation d'énergie ces dernières années.

Mais, avec la flambée des prix du gaz, "c'est tout notre système qui est percuté", reconnaît Laurent Bergé, président de l'Association d'organisations de producteurs nationale (AOPn) Tomates et concombres de France. "On remet en cause complètement notre modèle technique".

« Grosses pertes »

"C'est comme si le carburant à la pompe était à 15 euros le litre", développe Bruno Vila, secrétaire général de Légumes de France et producteur de tomates près de Perpignan. "Sur chaque kilo que vous produisez, vous perdez de l'argent". Car répercuter la hausse des coûts de l'énergie reviendrait pour les producteurs à doubler le prix de vente de la tomate. Autant dire mission impossible face à la concurrence des tomates du Maroc.

"L'année va être très difficile, il y aura des grosses pertes", prédit Christophe Rousse, président de la coopérative bretonne Solarenn. "Si on ne peut pas chauffer les serres, on n'aura plus de tomates françaises", assure-t-il. D'autant que les solutions pour se passer de chauffage au gaz sont encore émergentes. Certaines serres récentes ont réussi à se raccorder à un réseau de chaleur urbain, comme à Vitré (Ille-et-Vilaine), où l'incinérateur chauffe les tomates.

D'autres, comme Yannick Bernard, maraîcher à Saint-Nicolas-du-Tertre (Morbihan), combinent une chaudière au bois et un réseau de chaleur généré par le gaz d'un méthaniseur. "Aujourd'hui, je suis très peu impacté (par la hausse des prix de l'énergie). On ne dort pas pareil...", reconnaît-il.

Mais la meilleure option pourrait être de récupérer l'énergie "fatale" générée par d'autres industries. "C'est la solution la plus évidente, c'est ça l'avenir de notre métier", estime M. Bernard.

Commentaires

Brigitte Beuneu
Mais quand les consommateurs se décideront-ils enfin à consommer des légumes de saison, ? A cesser de réclamer des tomates dès mars-avril, voire avant ? Il y a un vrai plaisir à voir arriver la saison des légumes qui ne se conservent pas, en ce moment asperges, fèves, bientôt petits pois, etc. ! On peut s'aider des légumes du sud de la France, dont le transport coûte moins d'énergie que le chauffage de serres, pas isolées qui plus est... Mais la mode du "consommer local" a fait pousser dans ma région d'immenses serres chauffées qui sont une absurdité climatique (surtout quand les clients viennent acheter leurs quelques légumes en voiture, voire en 4x4, et pas toujours en voisins) ... Comment permettre à ces agriculteurs de sortir de cette impasse et se reconvertir ?
Brigitte Beuneu
C'est un raccourci malheureux pour "absurdité pour le climat". Ces fruits et légumes cultivés hors saison dans des serres chauffées au gaz (et pas du tout isolées ni isolables pour les très grandes serres que je vois près de chez moi) ont un bilan carbone très mauvais, sans nécessité. Dans deux mois il y aura des tomates sans gaz en Provence.
Marc Diedisheim
Certes, mais le chauffage n'est pas nécessairement réalisé avec du gaz fossile. Il peut se faire de multiples autres façons: pompe à chaleur, géothermie, biogaz et autres biocarburants, ... , et simplement énergie purement solaire (ce qui est le principe même de la serre). Dans tous ces cas la serre est neutre en CO2 (hors construction) Bien cordialement.
Brigitte Beuneu
Ma modeste serre n'est chauffée que par le soleil (c'est ce qu'on appelle une "serre froide"), et ça ne permet pas, en région parisienne (et même en Provence) des tomates en mars avril... En fait en région parisienne ça sert surtout à protéger les tomates de la pluie et donc du mildiou, même si ça améliore quand même la température (j'ai eu de bons melons l'été dernier !). Si les grandes serres étaient chauffées autrement qu'avec du gaz (comme le sont celles de ma région) , je n'aurais bien sûr pas de problèmes avec ces tomates, ...et les agriculteurs évoqués dans cet article n'auraient pas de soucis avec le prix du gaz...
Marc Diedisheim
En effet, dans le cas des serres chauffées, il est nécessaire de changer de "combustible". Les solutions existent et la hausse du prix du gaz les rend économiquement plus attractives. Bien cordialement.
Bruno Lalouette
https://www.gerbeaud.com/jardin/fiches/serre-enterree,2095.html
charly
Les tomates hors saison, comme les cerises ou les raisins importées en hiver du Chili ou autres pays, devraient couter 10 fois plus cher. Et les tomates auront peut-être un peu plus de goût (?) On mange ce qui est produit localement ou conservé (je pense à une part importante du poisson, par exemple) et la France ne mourra sans doute pas de faim... Une retombée positive des événements d'Ukraine ?

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