La France et l'énergie nucléaire, une longue histoire d'amour

  • Connaissance des Énergies avec AFP
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Avant de vouloir réduire sa dépendance à l'atome, la France avait misé sur le "tout nucléaire" pour produire son électricité, par souci d'indépendance et face à la crise pétrolière des années 70, se souviennent les acteurs de cette épopée industrielle.

"C'est De Gaulle en 1945 qui créé le Commissariat à l'énergie atomique, avec tout de suite une double fonction: militaire et civile", rappelle Bernard Laponche, polytechnicien aujourd'hui octogénaire, qui a travaillé au CEA.

La France s'appuie alors sur des scientifiques de renom comme Frédéric Joliot-Curie pour développer son premier réacteur nucléaire, ZOE. Dans la foulée, le pays développe ensuite quelques réacteurs utilisant la technologie dite à uranium naturel graphite gaz (UNGG) dans les années 50 et 60.

C'était "avec une vision très gaulliste", inspirée par la volonté d'indépendance nationale, se souvient Bernard Laponche, qui a travaillé sur ces projets. Ces réacteurs permettaient en effet de produire non seulement de l'électricité mais aussi du plutonium à usage militaire.

Mais cette filière sera finalement abandonnée, jugée par certains trop chère et complexe. Après des hésitations, la France opte finalement pour la technologie américaine des réacteurs à eau pressurisée, qui seront construits sous licence du groupe Westinghouse.

- fabrication en série -

"On a choisi le réacteur américain et on a pris deux décisions: de les fabriquer en série et de les franciser de telle sorte que la propriété intellectuelle soit en France", souligne Lionel Taccoen, 80 ans, ancien haut responsable d'EDF et auteur du "Pari nucléaire français".

Le véritable tournant intervient avec le choc pétrolier de 1973 qui rend la production d'électricité à partir de fioul très onéreuse. Le gouvernement décide alors de lancer un grand plan de construction de centrales nucléaires.

Le Premier ministre "Pierre Messmer, un beau soir au 20H00, à l'heure de grande écoute, a annoncé aux Français ce grand programme", raconte Lionel Taccoen.

Une décision qui ne sera pas remise en cause dans les années qui suivent, bien au contraire: "à l'époque il y avait un consensus compte-tenu du grand danger que la France courait avec le tout pétrole".

"La France s'est engagée dans la voie du nucléaire dans les années 70 sans qu'il y ait le moindre débat, sans qu'il y ait la moindre loi", regrette aujourd'hui le ministre de la Transition écologique et solidaire, François de Rugy.

C'est ainsi le pays s'est couvert de centrales nucléaires, avec des chantiers jusque dans les années 1990.

La France compte aujourd'hui 58 réacteurs mis en service entre 1977 et 1999, répartis dans 19 centrales. Le nucléaire a représenté 71,6% de sa production d'électricité l'an dernier.

Elle est ainsi devenue le pays le plus nucléarisé au monde pour la part de l'atome dans la génération d'électricité: elle se classe au premier rang devant l'Ukraine, la Slovaquie, la Hongrie ou la Belgique, selon les chiffres de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA).

- "unique au monde" -

"C'est une trajectoire qui est unique au monde", regrette aujourd'hui Bernard Laponche, devenu très critique du nucléaire. "Dès 1982 on a une surcapacité et, ce qui n'avait jamais été prévu, on exporte de l'électricité" et "en parallèle on fait le maximum d'effort pour consommer de l'électricité avec le chauffage électrique".

Après une longue pause, la France lance pourtant en 2007 la construction d'un nouveau réacteur, l'EPR de Flamanville (Manche), qui a accumulé les problèmes et n'est toujours pas terminé aujourd'hui.

"Naturellement il y a eu de la perte de technicité", relève Lionel Taccoen, en référence aux dernières difficultés rencontrées sur le chantier.

Entre-temps, le sujet a cessé de faire consensus et est devenu plus clivant dans la population. L'opinion a été marquée par les accidents de Three Miles Island aux Etats-Unis (1979) mais surtout Tchernobyl (1986) puis Fukushima (2011).

Aujourd'hui, 53% des Français se disent opposés à l'énergie nucléaire (contre 47% favorables), selon un sondage Odoxa pour Challenges.

jmi/ef/az

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