Sortie du nucléaire en Belgique : promesses et revirements

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Centrale nucléaire belge de Tihange

La centrale de Tihange est constituée de 3 réacteurs dont le plus ancien, connecté au réseau électrique en 1975, pourrait être exploité 50 ans. (©Electrabel - Rudy de Barse)

Un accord définitif a été signé pour redémarrer les unités de Doel 4 et Tihange 3 dès novembre 2025, alors que tout le parc nucléaire belge était censé être mis à l'arrêt au plus tard fin 2025. A plusieurs reprises, le gouvernement belge avait planché sur une nouvelle stratégie énergétique pour acter l'abandon du nucléaire en 2025. Une loi actant la fin du nucléaire en Belgique avait même été votée dès 2003.

Engie et la Belgique d'accordent pour prolonger deux réacteurs jusqu'en 2036

Le groupe français Engie a confirmé en décembre 2023 son engagement à prolonger de dix ans, jusqu'en 2036, l'activité de deux réacteurs nucléaires en Belgique, dans le cadre d'une coentreprise à parts égales avec l'État belge, une configuration inédite.

Au jour de l'adoption d'un accord à la COP28, Alexander De Croo a estimé que l'entente avec l'énergéticien français était "la réponse" de la Belgique à cet appel mondial à l'abandon progressif des énergies fossiles. Prolonger les capacités nucléaires, c'est "décarboner notre production d'électricité", a dit le Premier ministre belge, en insistant aussi sur les investissements en cours pour développer l'éolien offshore en mer du Nord.

Les conséquences de la guerre en Ukraine sur les prix de l'énergie ont aussi accéléré la décision de l'exécutif belge de renoncer à cette sortie.

Le dossier est sensible politiquement. Certains partis de la coalition au pouvoir souhaitent que d'autres réacteurs restent en activité plus longtemps, là où les écologistes insistent pour se limiter à deux prolongations.

Concrètement, le groupe français va verser à l'État belge un montant forfaitaire de 15 milliards d'euros pour les coûts futurs liés au traitement des déchets. A cette somme s'ajoutent 8 milliards prévus pour le futur démantèlement des sept réacteurs exploités depuis un demi-siècle.

Mercredi, les deux partenaires ont aussi précisé que la création de leur coentreprise nécessitait un investissement "de 1,6 à 2 milliards" d'euros, qui sera partagé équitablement.

Un renoncement temporaire mais pragmatique pour les écologistes

La promesse d'une sortie progressive du nucléaire est inscrite dans la loi belge depuis 2003, et y renoncer constitue un revirement pour le parti écologiste (Ecolo-Groen).

Il avait réussi à décrocher ce trophée lors de sa première participation à un gouvernement fédéral il y a 19 ans. Ce même parti, sorti parmi les vainqueurs des élections de 2019, est aujourd'hui associé à la coalition au pouvoir, avec notamment les libéraux et les socialistes. L'accord de gouvernement conclu à l'automne 2020 a réaffirmé cet objectif de fermer progressivement les sept centrales du pays d'ici à 2025.

Mais depuis l'envolée des prix de l'énergie liée à la guerre en Ukraine, les écologistes ont accepté d'envisager un scénario alternatif qui consiste à maintenir pendant dix ans supplémentaires, jusqu'en 2035, deux gigawatts de capacité, soit les deux centrales les moins anciennes du parc.

"Aujourd'hui on voit bien que les prix augmentent, et que l'indépendance de la fourniture n'est plus garantie, et donc il est logique de se demander si la même question (des conditions d'une sortie du nucléaire, ndlr) ne mérite pas une autre réponse", a déclaré au journal Le Soir Jean-Marc Nollet, co-président d'Ecolo. "L'impact de la guerre en Ukraine est pris en compte", a fait valoir de son côté la ministre écologiste de l'Énergie Tinne Van der Straeten.

Plus de 90% de l'énergie consommée en Belgique provient de l'étranger, et le pays importe de Russie "30% de son pétrole, 25% de son uranium et jusqu'à 6% de son gaz naturel". Dans ce contexte de guerre, "tous les pays européens sont en train d'adapter leur stratégie énergétique", a affirmé le Premier ministre Alexander De Croo. Outre la décision attendue sur le nucléaire, le libéral flamand a évoqué jeudi devant les députés un recours accru au renouvelable (éoliennes, panneaux solaires), "la seule forme d'énergie qui année après année devient moins cher".

Les discussions, qui s'annoncent ardues, pourraient se prolonger jusqu'à tard vendredi, voire samedi. Les libéraux francophones aimeraient prolonger quatre centrales nucléaires. Ils n'ont pas ménagé leurs critiques sur le recours prévu à des centrales au gaz polluantes pour remplacer l'atome.

Un accord pourtant mal parti, malgré une première prolongation jusqu'en 2025

En décembre 2021, la Belgique confirmait qu'elle arrêterait comme prévu ses sept réacteurs nucléaires actuels à l'horizon 2025, mais ne ferme pas la porte au nucléaire de nouvelle génération.

La fermeture de Tihange 1 a été actée en avril 2025 au lieu d’avril 2015 initialement.

L'Agence fédérale belge de contrôle nucléaire (AFCN) a donné en octobre 2015 son feu vert à une prolongation de dix ans, jusqu'en 2025, des deux plus anciens réacteurs du pays, Doel 1 et Doel 2 (nord), entrés en service en 1975.

Dans une Belgique à l'architecture institutionnelle complexe, garantir un approvisionnement suffisant en énergie relève du gouvernement fédéral, mais l'attribution des permis aux centrales qui la produisent est une compétence des régions. Le hic est que la centrale au gaz naturel de Vilvorde - modèle TGV comme Turbine gaz-vapeur - est une des deux grosses installations de ce type qui sont au cœur de la stratégie du gouvernement fédéral pour assurer la continuité de l'approvisionnement, les énergies renouvelables (éolien, solaire) n'étant produites que par intermittence.

La Flandre, la région belge la plus peuplée, dirigée par les conservateurs indépendantistes de la N-VA (qui sont dans l'opposition au niveau national), a annoncé mardi soir son refus d'octroyer un permis pour construire une nouvelle centrale à gaz à Vilvorde, une commune flamande limitrophe de Bruxelles. Ce futur équipement exploité par le groupe français Engie conduirait à des émissions d'ammoniac et d'oxyde d'azote supérieures aux niveaux autorisés, s'est défendue la ministre régionale de l'Environnement Zuhal Demir (N-VA).

"La N-VA fait dérailler le plan de sortie du nucléaire", titrait le quotidien La Libre Belgique.

Sur fond d'accélération du dérèglement climatique, "comment expliquer qu'il faut recourir à des centrales au gaz finalement plus nocives en termes de CO2 ? C'est difficile pour les écologistes, et leurs adversaires jouent de cette faiblesse".

Il avait été même décidé par Engie d'arrêter tous les travaux de préparation qui permettraient de prolonger de 20 ans deux unités au-delà de 2025, car il semble peu probable que cette prolongation puisse avoir lieu.

Fermeture de 2 réacteurs en 2023

En janvier 2023, la centrale nucléaire de Tihange 2 a été fermée dans le cadre du plan de sortie progressive du nucléaire décidé par le gouvernement belge. Tihange 2, mise en service en 1983, a été un contributeur majeur à la production d'électricité du pays pendant près de quatre décennies. Sa fermeture répond à des préoccupations de sécurité et de durabilité.

Le 23 septembre 2022, la Belgique a également procédé à la fermeture de la centrale nucléaire de Doel 3, située près d'Anvers et mise en service en 1982.

Ces fermetures de réacteurs belges se sont déroulées dans un contexte de débat intense sur l'avenir énergétique du pays, notamment en ce qui concerne la sécurité des réacteurs plus anciens et la transition vers des sources d'énergie plus durables.

Des revirements successifs depuis 2003

Le parc nucléaire belge était constitué de 7 réacteurs à eau pressurisée (même type que les réacteurs français) dont 3 situés dans la centrale de Doel en Flandre et 4 dans la centrale de Tihange en Wallonie. Ces réacteurs ont été connectés au réseau électrique belge entre 1974 et 1985 et sont exploités par Electrabel, filiale d'Engie. Leur durée d’exploitation a fait l’objet de discussions pendant plus d’une décennie.

En 2003, une loi obtenue par les écologistes prévoyant l’arrêt progressif de ces réacteurs au bout de 40 ans d’exploitation est votée. Il est alors prévu de fermer les réacteurs les plus anciens, Doel 1 et 2 ainsi que Tihange 1 dès 2015, les quatre autres réacteurs (Doel 3 et 4, Tihange 2 et 3) devant être arrêtés entre 2022 et 2025.

Pour des raisons économiques, le gouvernement de Herman van Rompuy décide toutefois en 2009 de prolonger à 50 ans la durée d’exploitation des 3 réacteurs les plus anciens, soit jusqu’en 2025. Une décision sur laquelle était revenue la Belgique : à la tête de la coalition gouvernementale, Elio di Rupo annonce le rétablissement du plan de sortie du nucléaire fixé en 2003, sous réserve que l’approvisionnement électrique du pays ne soit pas menacé.

C’est cette réserve qui a depuis suscité doutes et discussions dans la classe politique belge. Dans le même temps, GDF Suez appelait le gouvernement à trancher cette question en le laissant exploiter son parc dix années supplémentaires. Il était finalement demandé à Electrabel d'exploiter le réacteur Tihange 1 mais pas Doel 1 et 2 qui devraient cesser leur activité dès avril 2015. L’exploitant sera également contraint de mettre à disposition d'autres fournisseurs 1 000 MW de capacité (sur une capacité totale de 5 900 GW) pour stimuler la concurrence.

L’enjeu : sécuriser l’approvisionnement électrique

Le dossier nucléaire belge est sujet à tous ces revirements car il se trouve à la croisée d’importants enjeux politiques, industriels, sociaux, économiques et énergétiques. En 2011, près de 54% de l’électricité produite en Belgique provenait des réacteurs nucléaires. Le gestionnaire du réseau de transport électrique belge, Elia (l’équivalent de RTE en Belgique), a en particulier souligné que la sécurité de l’approvisionnement électrique belge pourrait être menacée par la fermeture du parc nucléaire, telle que prévue par le plan de 2003. En prolongeant la durée d’exploitation de Tihange 1, le Conseil des ministres restreint déclare pouvoir éviter le risque que 500 000 à 1 million d’habitants soient privés d’électricité à certains moments de l’hiver.

La CREG, équivalente belge de la CRE, avait également estimé dans une étude parue en juin dernier, que les ressources disponibles pourraient être insuffisantes pour couvrir l’ensemble de la demande pendant 250 h durant l’année 2015, année de fermeture initialement prévue pour 3 des 7 réacteurs. L’organisme belge préconisait dans son rapport de retarder d’un ou deux ans l’arrêt des plus anciens réacteurs nucléaires.

Dans le même temps, GDF Suez avait annoncé vouloir fermer trois centrales thermiques (charbon ou gaz) en Belgique, jugeant celles-ci non rentables. Une décision renforçant le risque de pénurie électrique, qui a fait l’objet de critiques, notamment du parti Ecolo y voyant une manœuvre pour faire pression sur le gouvernement.

A ce contexte tendu s’ajoute les voix partagées des ménages belges, qui ont payé en 2011 leur électricité 8,5% plus cher qu’en 2010, une hausse plus marquée que dans le reste de l’Union européenne (en moyenne +4,9%)(1). Pour rappel, les Belges paient déjà leurs kWh presque 60% plus chers que les Français.

Le parc nucléaire belge est constitué de 7 réacteurs nucléaires répartis sur les centrales de Doel et de Tihange (©2012).

Le parc nucléaire belge constitué de 7 réacteurs nucléaires répartis sur les centrales de Doel et de Tihange (©2012).

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