Précarité énergétique : 3,1 millions de ménages concernés, les signaux d’alerte se multiplient

  • Connaissance des Énergies avec AFP
  • parue le
Femme ayant froid dans un logement

En 2023, 3,1 millions de ménages vivaient en situation de précarité énergétique en France, soit 10,1% de la population, selon le dernier tableau de bord publié par l’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE). Si cet indicateur apparaît globalement stable par rapport à 2022, les difficultés ressenties par les ménages – froid dans le logement, factures impayées, renoncements à se déplacer – continuent de progresser.

Un indicateur central stable, mais une réalité plus dégradée

Selon la définition retenue par l’ONPE, sont en situation de précarité énergétique les ménages appartenant aux 30% les plus modestes qui consacrent plus de 8% de leurs revenus aux dépenses d’énergie dans leur logement (chauffage, eau chaude, usages spécifiques). Ce critère dit du « taux d’effort énergétique » place ainsi 3,1 millions de ménages en précarité en 2023, soit 10,1% des foyers, contre 3,2 millions (10,8%) en 2022.

Corrigé des aléas météorologiques, l’indicateur atteint 10,8% des ménages en 2023, un niveau très proche de celui de 2022, ce qui traduit plutôt une stabilisation qu’un recul net du phénomène. Les pouvoirs publics attribuent en partie cette stabilité au maintien du bouclier tarifaire sur l’énergie et au chèque énergie, malgré la hausse des prix du gaz et de l’électricité et la fin progressive de ces dispositifs.

Pour autant, d’autres signaux montrent un durcissement de la situation. L’ONPE indique par exemple que le nombre d’impayés d’énergie a augmenté de 20% entre 2022 et 2023, pour atteindre environ 1,2 million d’incidents de paiement. De son côté, le médiateur national de l’énergie souligne l’essor des réductions de puissance ou menaces de coupure pour les ménages en difficulté.

« C'est une hausse très rapide sur un an seulement », s'inquiète Maider Olivier, coordinatrice de la Journée contre la précarité énergétique, qui rassemble une vingtaine d’organisations engagées dans la rénovation énergétique, la lutte contre l’exclusion sociale et le réchauffement climatique. Bien que ce sujet concerne environ un Français sur dix, « la lutte contre la précarité énergétique ne paraît pas figurer dans les priorités du nouveau gouvernement de Sébastien Lecornu », regrettent les organisateurs.

Froid dans les logements et factures en hausse : l’alerte du médiateur

Les indicateurs déclaratifs confirment cette dégradation. D’après le dernier baromètre annuel du médiateur national de l'énergie, 36% des foyers déclarent avoir peiné à payer certaines factures de gaz ou d’électricité au cours des douze derniers mois, contre 28% en 2024 et 18% en 2020. Il s’agit d’un niveau inédit depuis la création de cet indicateur.

Le ressenti du froid progresse également : selon l’enquête du médiateur, la part des personnes déclarant avoir souffert du froid est passée de 30% en 2024 à 35% en 2025. Ces chiffres rejoignent ceux de l’ONPE, qui estime que 35% des ménages ont eu froid au moins 24 heures durant l’hiver 2024‑2025, souvent en raison d’un chauffage restreint pour motifs financiers ou d’une mauvaise isolation.

La restriction du chauffage reste très fréquente : près des trois quarts des foyers déclarent avoir baissé le chauffage pour limiter leur facture. Ces arbitrages s’ajoutent aux situations d’impayés et de surendettement, dans un contexte où les prix de l’énergie demeurent supérieurs à ceux d’avant-crise, malgré la détente observée sur les marchés de gros.

MaPrimeRénov’ sous tension et inquiétudes sur le financement des travaux

Face à ces difficultés, la rénovation énergétique des logements est présentée comme un levier majeur, mais le pilotage des aides publiques interroge. Après une forte montée en puissance en 2024 et début 2025, le dispositif MaPrimeRénov’ a été suspendu pour les rénovations d’ampleur fin juin 2025, en raison d’un afflux de dossiers et de soupçons de fraude, avant de rouvrir le 30 septembre dans des conditions plus restrictives.

Les aides pour les rénovations globales sont désormais recentrées sur les logements classés E, F ou G au diagnostic de performance énergétique (DPE), avec des plafonds de travaux abaissés (40 000 euros de dépenses éligibles, contre 70 000 euros auparavant) et un recentrage sur les ménages modestes et très modestes. Les nouveaux dossiers déposés fin 2025 ne seront par ailleurs financés qu’à partir de 2026, faute de crédits disponibles sur l’exercice en cours.

Dans ce contexte, Manuel Domergue, de la Fondation pour le logement des défavorisés, rappelle qu’après « des années » à demander « des aides de l'État mieux calibrées pour les ménages modestes et les travaux avec des gains énergétiques » pour rénover les logements, il déplore l'affaiblissement des aides MaPrimeRénov'. À la réouverture du guichet fin septembre, « le niveau des aides a été divisé par deux. Un ménage très modeste touchera désormais 32 000 euros maximum », pour « des travaux qui peuvent coûter 70 000 voire 90 000 euros », poursuit-il.

Les acteurs associatifs craignent un ralentissement des rénovations performantes, en particulier pour les ménages aux revenus les plus faibles, alors même que le parc de logements très énergivores reste important.

Passoires énergétiques et précarité de mobilité : un cumul de vulnérabilités

Au 1er janvier 2025, 12,7% des résidences principales étaient considérées comme des passoires énergétiques (logements classés F ou G au DPE), soit 3,9 millions de logements. Les trois quarts de ces logements très énergivores sont occupés par leurs propriétaires, mais une part importante se trouve aussi dans le parc locatif privé. Les ménages modestes sont surreprésentés dans ces logements anciens, souvent mal isolés.

Le portrait type du ménage en précarité énergétique dressé par l’ONPE  évolue peu : locataires ou petits propriétaires aux revenus faibles, souvent isolés (personnes seules, familles monoparentales), vivant dans des logements construits avant 1975. Les jeunes adultes et les personnes âgées sont particulièrement touchés.

Outre le logement, les difficultés énergétiques se déplacent également vers la mobilité. Selon l’ONPE et l’association Wimoov, 15 millions de personnes étaient en 2023 en situation de précarité en matière de mobilité : elles ne peuvent pas se déplacer autant qu’elles le souhaiteraient ou renoncent à certains déplacements (emploi, soins, sociabilité) faute de moyens de transport accessibles ou du fait du coût des carburants.

Cette « précarité de mobilité » s’ajoute à la précarité énergétique résidentielle pour une partie des ménages, notamment dans les territoires périurbains et ruraux, où l’on cumule logements mal isolés et dépendance à la voiture individuelle. Pour les associations mobilisées à l’occasion de la Journée contre la précarité énergétique, l’enjeu est désormais d’articuler politiques de logement, aides à la rénovation et soutien aux déplacements du quotidien, afin d’éviter que la hausse durable des coûts de l’énergie ne se traduise par un isolement accru des ménages les plus fragiles.

Dans l’immédiat, les acteurs du secteur appellent au maintien et à la simplification des dispositifs de soutien (MaPrimeRénov’, chèque énergie, aides locales), à une meilleure information des ménages et à un ciblage renforcé vers les logements les plus énergivores et les publics les plus vulnérables, notamment via le chèque énergie.

Ajouter un commentaire

Suggestion de lecture