Dans le port de Rotterdam, une immense raffinerie pour étancher la soif de l'aviation en carburants durables

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Les échafaudages s'enchevêtrent avec des kilomètres de tuyauteries vertes : dans son immense raffinerie sur le port de Rotterdam, le géant finlandais Neste s'apprête à décupler sa production de carburant d'aviation durable (SAF), principal levier pour décarboner le transport aérien.

D'ici quelques mois, le premier producteur mondial de SAF sortira 500 000 tonnes par an de kérosène d'aviation fabriquées à partir d'huiles de cuisson usagées et de graisses animales depuis cette installation.

Ce procédé permet de réduire jusqu'à 80% les émissions de CO2 sur l'ensemble du cycle d'utilisation par rapport au kérosène d'aviation conventionnel, selon l'Association du transport aérien international (Iata).

Ce n'est encore qu'"une goutte d'eau dans l'océan mais une goutte d'eau significative", convient-on chez le raffineur. L'an passé, la production totale de SAF dans le monde était de 250.000 tonnes, représentant moins de 0,1% des plus de 300 millions de tonnes de kérosène utilisées par l'aviation.

"On augmente notre production de façon drastique, de 100.000 tonnes à 1,5 million de tonnes l'an prochain" et 2,2 millions en 2026, affirme le PDG de Neste, Matti Lehmus, à l'occasion d'une visite de presse.

Car la demande est là. L'Union européenne s'apprête à imposer aux compagnies aériennes des obligations graduelles d'incorporation de SAF dans le kérosène d'aviation (2% en 2025, 6% en 2030, au moins 63% en 2050). La France a déjà mis en place depuis l'an passé un mandat de 1% pour tous les vols au départ de son territoire.

La production de Neste sur ses sites de Rotterdam et de Singapour, qui doit démarrer en avril, permettra à l'entreprise de répondre à elle seule aux besoins du mandat européen pour 2025, assure Jonathan Wood, patron des carburants d'aviation durables chez Neste.

Mais "d'ici 2030, il y aura plus de demande que d'offre de SAF, d'où l'intérêt de sécuriser des approvisionnements de long terme" pour les compagnies aériennes, note Vincent Etchebehere, directeur du développement durable d'Air France.

Biomasse limitée

Air France-KLM a ainsi conclu l'an passé un accord avec Neste pour la fourniture d'un million de tonnes de carburant durable entre 2023 et 2030. Le groupe aérien a passé d'autres accords ou protocoles sur 10 ans avec l'américain DG Fuels (600.000 tonnes) ou encore TotalEnergies (800 000 tonnes). De telles ententes se multiplient entre compagnies aériennes et fournisseurs de SAF.

Sur le site Neste de Rotterdam, deux immenses cuves de stockage de 15.000 m3 qu'il reste à peindre jouxtent un quai d'où les bateaux convoieront le carburant vers les principales bases d'Air France-KLM: l'aéroport de Schiphol ou les plateformes parisiennes par oléoduc via Le Havre.

Le groupe franco-néerlandais s'est engagé de façon volontariste dans le recours aux carburants durables pour réduire son empreinte carbone: il a consommé à lui seul 15% de la production mondiale de SAF en 2022, ce qui représentait 0,6% de ses propres besoins en carburant.

Et il table sur une incorporation de "10% de SAF en 2030 au niveau mondial, pas seulement au départ de l'Europe", comme l'imposera le mandat de l'UE, affirme la directrice générale d'Air France, Anne Rigail.

A l'heure actuelle, seul le procédé dit HEFA, à partir d'huiles de cuisson et de graisses, est produit à l'échelle industrielle, mais cette biomasse est limitée. Neste l'estime à 40 millions de tonnes tout au plus, de quoi assurer les besoins en 2030.

"Pour aller au-delà, nous avons besoin d'autres procédés, il faut que les technologies mûrissent pour passer à l'échelle supérieure", selon Matti Lehmus, qui évoque les algues, les résidus de bois et, à plus long terme, les carburants de synthèse combinant de l'hydrogène et du CO2.

Si l'enjeu de la disponibilité des SAF est essentiel, leur coût l'est tout autant, insiste Anne Rigail.

Les carburants durables coûtent 3.500 euros la tonne, mais sont disponibles à 2.000 dollars aux Etats-Unis grâce aux mécanismes de soutien mis en place par Washington. En France, ils sont facturés plus de 5.000 euros la tonne.

Entre les "risques de distorsion de concurrence et de déport du trafic aux portes de l'Europe" vers les compagnies turques ou du Golfe, la directrice d'Air France insiste: "Nous avons besoin de soutien et nous pensons vraiment que l'UE peut faire plus."

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