Comment le marché du petit éolien n’a jamais décollé en France

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Petit éolien en France

La France compte plus d'un million d'installations solaires de moins de 36 kW raccordées au réseau d'Enedis, contre seulement 184 petites installations éoliennes de ce niveau de puissance.

Les éoliennes domestiques installées dans les jardins pour gagner en autonomie énergétique sont très rares en France. Ensemble, toutes les petites éoliennes connectées au réseau Enedis atteignent à peine la puissance d’une seule grosse éolienne. Pourtant, beaucoup d'entreprises s’étaient lancées sur ce marché dans les années 2000.

« C’est un secteur qui est mort en France. » Olivier Krug se définit pourtant comme un fervent défenseur du petit éolien. En 2003, il a monté sa propre entreprise d’installation de petites éoliennes et il a même fondé et dirigé l'association des professionnels du petit éolien (AFPPE) en 2010. « Il y avait plus d’une trentaine de boîtes en France au moment où on a lancé l’association, raconte-t-il, on voulait structurer la filière. » La décennie suivante a été une hécatombe. Son entreprise a été placée en liquidation judiciaire fin 2011, et c’est loin d’être la seule : Eole System en 2014, Eolys en 2017, la majorité des entreprises de la filière du petit éolien a connu le même sort et l’AFPPE a cessé d’exister en 2019.

Mais qu’entend-on au juste par « petit éolien » ? Ce terme regroupe les éoliennes de petite puissance, typiquement entre 1 kW et 36 kW selon la définition de l’Ademe(1). Elles sont donc beaucoup moins imposantes que les machines des grands parcs éoliens dans les puissances sont en général de plusieurs milliers de kilowatts, et sont plutôt destinés à des usages individuels comme l’autoconsommation énergétique. Dans son utilisation résidentielle, le petit éolien est d’ailleurs parfois appelé « éolien domestique ».

La concurrence du photovoltaïque

Le prix est un facteur important pour expliquer l’échec du petit éolien. Selon Effy(2), une éolienne de 10 kW coûte aujourd’hui 50 000 euros en moyenne, matériel et installation compris : « pas rentable du tout pour un particulier », juge cette entreprise spécialisée dans les travaux de rénovation énergétique. « On pensait pouvoir concurrencer le photovoltaïque, qui était très cher à l’époque », explique Olivier Krug.

En effet, selon les chiffres de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA)(3), le prix moyen des panneaux solaires dans le monde était de 2 390 dollars par kW en 2010, à l’époque de la création de l’AFPPE. Depuis, les prix se sont effondrés et on trouve aujourd'hui des panneaux photovoltaïques autour de 100 dollars par kW.

Selon l'Ademe, une installation solaire de 9 kW demandait en moyenne un investissement de 23 000 euros en 2022, deux fois moins que l’éolien pour des puissances similaires. Il conviendrait de comparer le solaire et l’éolien sur la base de productions et non uniquement sur la puissance maximale théorique des installations, mais la production réelle du petit éolien est extrêmement variable en fonction des sites d’implantation.  

Installer une éolienne, c’est bien, mais encore faut-il du vent

« L’éolien est beaucoup plus compliqué que le solaire, explique Olivier Krug, pour être rentable, il faut beaucoup de vent. » L’énergie du vent est en effet proportionnelle au cube de sa vitesse. Un vent à 4 mètres par seconde transporte donc presque deux fois moins d’énergie qu’un vent à 5 mètres par seconde. L’emplacement d’une éolienne domestique est donc déterminant.

« En Bretagne, sur les côtes normandes ou méditerranéennes, on peut faire du petit éolien, précise Olivier Krug, mais dans des régions comme l'Alsace ou dans le centre de la France c’est impossible, il n’y a pas suffisamment de vent. » Dans les régions propices, tous les emplacements ne sont pas non plus adaptés. Dans son avis de 2022 sur l’énergie éolienne, l’Ademe juge que « le petit éolien ne se justifie généralement pas en milieu urbain ». Plus il y a d’arbres, de bâtis ou de reliefs, moins le vent est en effet puissant près du sol. « Donc il faut monter haut, souligne Olivier Krug, et dresser des mâts de 20 mètres dans les jardins. » Une taille comparable à celle d’un immeuble de 5 étages ou de l’obélisque de Louxor, place de la Concorde à Paris (qui mesure 23 mètres de haut).

Outre l’aspect encombrant d’une telle structure, un permis de construire est notamment obligatoire pour toute installation d’éolienne de plus de 12 mètres de haut(4). « La plupart du temps, les boites choisissaient un compromis à 12 mètres pour éviter les lourdeurs administratives, au détriment des performances », regrette Olivier Krug.

Des casses trop fréquentes

La dernière raison qui a poussé les entreprises du secteur à fermer les unes après les autres, c’est la fiabilité du matériel proposé. « C’est ça qui a coulé ma société, confie Olivier Krug, le souci qu’on avait, c’est que les constructeurs étaient soit des spécialistes de la mécanique, soit des spécialistes de l'électronique, mais rarement les deux. »

Selon lui, les casses étaient fréquentes, il fallait trop régulièrement intervenir pour refaire les réglages et les performances n’étaient pas celles annoncées par les constructeurs. « La plupart des entreprises étaient des petites boîtes qui n’avaient pas de quoi gérer le service après-vente, au point que quand j’ai arrêté ça devenait compliqué de s’assurer. Trop de sinistres. »  

Pour Jay Hudnall, qui organise des stages d’autoconstruction d’éoliennes en bois avec sa société Ti'éole et le Réseau Tripalium, il faut être passionné pour installer une éolienne chez soi. « Faire appel à une entreprise pour la maintenance de son éolienne, ça coûte à peu près la même chose chaque année que ce que la vente de l'électricité produite rapporte, estime-t-il, dans l’autoconstruction, on s’assure que les personnes sont capables de faire la maintenance elles-mêmes. »

Il existe encore un marché de niche

Aujourd’hui, 15 ans après la création de l’AFPPE (et 6 après sa dissolution), Enedis fait état de seulement 184 installations éoliennes de moins de 36 kW raccordées à son réseau(5), pour une capacité de puissance cumulée de 2 MW, soit l’équivalent d’une grande éolienne terrestre. Ce chiffre n’est cependant pas représentatif de l’ensemble du parc de petit éolien car une partie difficile à évaluer des installations n’est pas raccordée au réseau national et sert uniquement à l’autoconsommation.  

Certains acteurs ont par ailleurs tenu bon comme Jay Hudnall avec Ti’éole ou les installateurs Diwatt et Enerlice. La société E-Taranis s’est même lancée en 2020 avec un projet de petite éolienne innovante inspirée des voiles des bateaux, à installer au-dessus d’un toit. Son fondateur, Thibault Eudier, pense que son système sera mieux adapté aux contraintes des zones urbanisées. « Avec des voiles en tissus, l’éolienne peut tourner facilement avec des vents turbulents, explique-t-il, contrairement aux éoliennes classiques pour lesquelles il faut prendre de la hauteur pour trouver des vents laminaires »(6). L’éolienne d’E-Taranis est en fin de développement et Thibault Eudier voudrait en faire un produit 100% français, abordable et facilement réparable.

Éolienne Alae de la société E-Taranis

Éolienne Alae de la société E-Taranis (©E-Taranis)

« Il y a un marché de niche, croit encore Olivier Krug, le petit éolien est intéressant dans les zones isolées, en complément du solaire. Sur les îles bretonnes ou les habitats reculés de montagnes. Mais il faut des machines pas chères et fiables, et donc des investissements, sans ça, ça a peu de chances de se développer.Il faudrait qu’un fils de milliardaire se passionne pour le petit éolien, » plaisante-t-il.

Article rédigé par Pierre Giraudeau.

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