
En France, près de 20% des émissions de CO2 proviennent des bâtiments, et une bonne partie est liée au chauffage. Revoir la place des énergies fossiles dans le chauffage des logements est donc primordial pour la transition énergétique. Mais se passer complètement du gaz naturel sera difficile à court terme.
Depuis début mars 2025, la TVA portant sur l'installation de nouvelles chaudières à gaz a augmenté, passant de 10 à 20%(1). Cette hausse inscrite dans le projet de loi de finances pour 2025 répond à une directive européenne de mai 2024 qui demande de « supprimer [...] toute incitation financière à l'installation de nouvelles chaudières autonomes alimentées par des combustibles fossiles »(2) dans l’optique d’une décarbonation complète du parc immobilier à l’horizon 2050.
L’État français n’a pas attendu cette directive pour réfléchir à la question. En 2022 déjà, la RE2020 (réglementation environnementale de bâtiments neufs)(3), a fixé des taux d’émission de CO2 maximums pour les nouveaux logements individuels suffisamment bas (160 kg de CO2 par mètre carré et par an) pour empêcher toute installation de chaudière 100% gaz. La règlementation vise une faible partie des installations de chaudières puisqu’elle ne s’intéresse qu’aux bâtiments neufs (le remplacement d’une ancienne chaudière est donc encore possible).
En 2023, une concertation sur la décarbonation des bâtiments, organisée par les ministères de la Transition écologique et de l’aménagement des territoires posait même la question de l’interdiction pure et simple de toute nouvelle installation de chaudière à gaz à partir de 2026(4), comme c’est déjà le cas pour le fioul et le charbon. Le président de la République avait annoncé quelque mois plus tard sur France 2 l’abandon de cette proposition, faisant valoir « qu'on ne peut pas laisser nos compatriotes, en particulier dans les zones les plus rurales, sans solution »(5).
Pourquoi se passer du gaz ?
Réduire la part du gaz dans le chauffage est principalement motivé par des considérations environnementales. Dans le dossier des concertations de 2023, on lit sans surprise que « les émissions de gaz à effet de serre liées à l’exploitation des bâtiments sont dues en très grande majorité aux dispositifs de chauffage qui utilisent une énergie fossile ». Et l'Ademe estime que 18% des émissions de gaz à effet de serre nationales proviennent de l’exploitation des bâtiments(6). Le gaz (gaz de réseau + GPL), était l'énergie de chauffage principale de 37,3% des logements en 2020 (environ 30% en 2024(7)), au même niveau que l'électricité à 37,2% et devant le bois (10,5%) ou le fioul (9,6%)(8). Une réduction du gaz constitue donc un levier majeur de décarbonation de l’habitat.
Dans un avis publié en mars 2024(9), l’Ademe estime que pour le chauffage, passer d’une énergie fossile à un vecteur décarboné devrait permettre d’abaisser rapidement et très significativement – d’un facteur 4 selon ses données - les émissions de CO2 d’un logement(10). Les alternatives bas carbone en question sont « les réseaux de chaleur urbains alimentés par des renouvelables et de récupération, l’électricité (via la pompe à chaleur, y compris géothermique), le solaire thermique, le bois, ou le gaz renouvelable ». Le Shift Project considère pour sa part que les objectifs du Secrétariat général de la planification écologique (SPGE(11)) de « réduire d’au moins 25% le parc de chaudières gaz » d'ici à 2030 est un minimum et qu’il faudrait viser plus. Le think tank juge en outre qu’il faudrait interdire les nouvelles installations « dans la plupart des cas »(12).
Depuis 2022 et le début de la guerre en Ukraine, la réduction de la consommation de gaz est aussi un enjeu d’indépendance énergétique pour les États européens. L’Union européenne s’est en effet fixé l’objectif à l’horizon 2027 de se passer totalement du gaz russe qui représentait encore près de 19% des importations européennes de gaz naturel en 2024(13).
Le biogaz, une fausse solution
Historiquement, le chauffage électrique de l’eau sanitaire est un outil de flexibilité pour le réseau. En pilotant les heures de chauffe des ballons d’eau chaude via le système d’heures creuses et d’heure pleines, l’eau chaude sanitaire peut absorber une partie des variations de production électrique induites par la multiplication de sources renouvelables non pilotables (en particulier le photovoltaïque). Le passage du chauffage au gaz vers le chauffage électrique pourrait donc être perçu comme un gain de moyens de flexibilité du réseau.
Dans un rapport de 2018, la CRE modérait toutefois déjà cet argument, faisant valoir que « le développement des chauffe-eau thermodynamiques, qui fonctionnent avec une plus faible puissance que les chauffe-eau à accumulation, ce qui peut conduit à étendre les plages de temps de chauffe au-delà de la période d’heures creuses, pourrait réduire l’intérêt économique de l’asservissement pour les consommateurs ».
Il est par ailleurs tentant d’imaginer que les gaz fossiles pourront à terme être remplacés par du biogaz et qu’il ne sera pas utile de changer les installations de chauffage, ni de démanteler en partie le réseau de gaz. Une telle conversion aurait le mérite de préserver l’emploi des quelque 11 000 salariés de GRDF(14). Mais selon l’Ademe, « le potentiel de développement des différentes filières de production de gaz décarboné » serait de 130 à 185 TWh par an en 2050 selon les scénarios. Au regard de la consommation française actuelle (361 TWh en 2024), l’agence estime qu’atteindre « un mix gazier quasiment décarboné en 2050 n’est possible que si on divise au moins par deux la consommation de gaz » et l’utilisation de biogaz dans le logement doit rester minime pour prioriser « des usages du gaz non substituables » comme dans le transport ou l’industrie (le secteur résidentiel représentait 27% de la consommation nationale de gaz en 2024).
Pas de sortie du gaz sans réduction de la consommation d’énergie
Si le chauffage au gaz fossile doit bien disparaître à terme pour permettre la décarbonation de l’économie d'ici à 2050, son interdiction pure et simple à court terme est « inenvisageable » pour Maxence Cordiez, expert énergie et climat à l'institut Montaigne. « Pour les bâtiments neufs, c’est assez facile d’installer exclusivement des systèmes de chauffage non fossiles, mais pour le vieux bâti ça peut être compliqué, estime-t-il, c’est difficile d’installer des pompes à chaleur dans les immeubles haussmanniens par exemple ». L'Ademe pointe en effet un « manque de technologies alternatives matures » dans les habitats collectifs avec chauffage individuel pour des « questions de coûts, d’encombrement et de faisabilité technique ». En revanche, l'agence considère que « dans les maisons individuelles, les alternatives au chauffage au gaz sont matures » et que « la fin de leur installation peut donc d’ores et déjà être envisagée ».
En outre, il faut s’assurer que le réseau électrique supporte la transition vers un chauffage décarboné, avec une consommation électrique déjà très thermosensible : aujourd’hui, lorsqu’il fait moins de 15 °C en moyenne en France métropolitaine, chaque degré en moins demande 2,1 GW de puissance supplémentaire sur le réseau (l’équivalent de deux réacteurs nucléaires), conséquence du chauffage électrique(15). Par exemple, en 2022, 82 GW de puissance ont été appelés sur le réseau le 12 décembre(16), une journée particulièrement froide, pour une moyenne annuelle de 52 GW. Or selon la Commission de régulation de l’énergie (CRE), « la conversion, sans action de rénovation concomitante, de l’ensemble des consommateurs disposant d’une solution de chauffage individuel (NDLR : avec une source d’énergie fossile) et de la moitié des consommateurs disposant d’un système de chauffage collectif augmenterait la pointe électrique d’environ 35 GW », soit l’équivalent de 22 réacteurs nucléaires de type EPR(17).
Consciente de la difficulté, l’Ademe estime que « les ressources en énergie décarbonée sont limitées et, par conséquent, la baisse de la consommation d’énergie des bâtiments est un corollaire indispensable à la décarbonation des vecteurs ». Outre la décarbonation des moyens de chauffage, l’Ademe préconise donc des « rénovations performantes », c'est-à-dire qui renforcent l’isolation des bâtiments et qui misent sur des moyens de chauffage économes en énergie comme les pompes à chaleur par exemple.
Renforcer l’incitation
Les chaudières à gaz n’ont donc pas dit leur dernier mot. En 2024, le syndicat des industries thermiques, aérauliques et frigorifiques, Uniclima, fait état d’un rebond des ventes de chaudières gaz avec une augmentation de 15% par rapport à 2023, alors que le marché était en nette régression depuis 2021, avec 600 000 unités vendues en 2021 contre 271 250 seulement en 2023(18). Le syndicat estime toutefois que cette augmentation est conjoncturelle et que les ventes vont continuer à diminuer dans les années à venir.
Il faut aussi noter qu’actuellement, le poids financier de l’installation d’une pompe à chaleur est plus important que celui d’une chaudière à gaz à condensation selon le comparateur Selectra, avec moins de 6 000 euros pour l’achat et la pose d’une chaudière à gaz contre plus de 12 000 euros pour une pompe à chaleur(19). L’investissement sur l’ensemble de la durée de vie est cependant équivalent pour les deux systèmes (autour de 30 000 euros sur 20 ans), puisque la pompe à chaleur est plus économe en énergie. Précisons qu’il est possible d’obtenir jusqu’à 7 000 euros d’aide pour l’installation d’une pompe à chaleur air-eau en fonction de son éligibilité d’après le comparateur (détail des aides en notes de bas de page(20)).
Avec le passage de la TVA sur l’installation de nouvelles chaudières à gaz à 20%, le gouvernement table sur l'incitation financière pour stimuler la transition. Mais pas suffisamment pour Maxence Cordiez : « Il faut supprimer toutes les incitations au chauffage fossile, aujourd’hui l'électricité est deux fois plus taxée que le gaz fossile. » En 2025, le tarif de l’accise sur les gaz naturels à usage combustible est fixé à 15,43 €/MWh(21), lorsque celle de l’électricité est de 29,98 €/MWh pour la catégorie « ménages et assimilés ».
Pour les promoteurs du vecteur électrique, une autre forme d’incitation au chauffage fossile se cache dans les diagnostics de performance énergétique (DPE), qui classent les bâtiments de la lettre « A » à « G » sur de critères énergétiques et climatiques. La note finale tient en partie compte de la consommation d’énergie primaire associée à l’exploitation des bâtiments. Or pour l’électricité, à cause du rendement énergétique de 33% des centrales nucléaires et des pertes d’énergies sur le réseau, il est considéré qu’il faut 2,3 kWh d’énergie primaire (l’énergie de fission de l’uranium) pour 1 kWh d’énergie finale utilisé pour le chauffage. Pour le gaz ou le fioul, l’énergie primaire et l’énergie finale sont les mêmes. Pour une partie des commentateurs du DPE, la prise en compte de l’énergie primaire dans le calcul est ainsi défavorable à l’électricité. En octobre 2023, deux sénateurs Les Républicains avaient déposé un projet de loi visant à modifier le calcul du DPE, estimant que « cette pénalité infligée à l'électricité » allait à « l'encontre des objectifs climatiques »(22). Le projet de loi n’a toutefois toujours pas été étudié par le Sénat à ce jour.
L’incitation est aussi un point clé pour l’Ademe qui recommande « le développement progressif de politiques publiques d’incitation vers les matériels les plus performants [...] par exemple un bonus pour les PAC les plus performantes au regard des objectifs environnementaux ». Le Shift Project pour sa part considère que « des aides devront inciter à changer une chaudière fossile avant son obsolescence naturelle, à la condition que l’équipement de remplacement soit sans fossile ».
Article rédigé par Pierre Giraudeau.