Plateforme d'exploitation de gaz de schiste (©photo)
La production et l'exploitation du gaz de schiste sont interdites en France depuis 2011 en raison de la fracturation hydraulique, un procédé très polluant. Toutefois, son importation reste légale, ce qui crée une situation paradoxale et creuse la balance énergétique nationale.
Estimation en ressources en hydrocarbures de schiste en France
La France méconnaît le potentiel en termes d’hydrocarbures non conventionnels dans son sous-sol.
En France, le bassin parisien pourrait offrir du pétrole à partir de roches-mères datées du Jurassique et qui encadrent la couche déjà exploitée de manière conventionnelle pour le pétrole. Les Cévennes pourraient offrir du gaz entre 2 000 mètres et 5 000 mètres de profondeur.
Il y a quelques années, la France et la Pologne étaient réputées être les pays européens ayant le plus fort potentiel. Après recherche, la Pologne a découvert que son potentiel était huit fois moindre qu'annoncé.
L'interdiction en France dans les années 2010
L'exploitation des gaz de schiste reste très débattue, mais en France comme eu Europe, le principe de précaution prédomine et les craintes environnementales craintes environnementales supplantent les perspectives économiques. Face à sa dépendance aux importations d'hydrocarbures et la facture associée, la France pourrait être amenée à considérer cette hypothèse. La technique controversée de fracturation hydraulique focalise encore une grande partie des inquiétudes des opposants à cette exploitation.
Des projets à l'étude
Au printemps 2010, trois permis de recherches sur les gaz de schiste sont accordés par le Ministère en charge de l’énergie dans le sud de la France, dans l’indifférence générale, avant de faire l’objet de protestations politiques de tous bords. Le mouvement de protestation s’étend ensuite à l'exploration et l'expoitation d’hydrocarbures liquides ou gazeux sur le territoire national. Fort de ses enjeux énergétique et économique, l'agitation politique est d'autant plus importante.
Une étude est commandée par le Gouvernement aux Conseils généraux de l’industrie, de l’énergie et des technologies ainsi que de l’environnement et du développement durable(1). A l’Assemblée nationale, la Commission du développement durable confie une mission d’information relative aux gaz et huiles de schiste. Malgré une analyse partagée dans les grandes lignes, les deux co-rapporteurs livrent des conclusions différentes : François-Michel Gonnot souhaite que la piste des gaz de schiste ne soit pas abandonnée, sous réserve de trouver une technique d’extraction alternative à la fracturation hydraulique. Tout en reconnaissant que cette recherche est actuellement peu probante. Philippe Martin se prononce quant à lui pour une interdiction totale de l’extraction des gaz de schiste, au regard des risques environnementaux.
Une opposition locale d'inspiration nord-américaine
Comme le rappellent Sébastien Chailleux et Philippe Zittoun, respectivement maître de conférences en science politique et directeur de recherche en science politique, un basculement(2) s’opère à partir de décembre 2010, avec l’émergence d’oppositions locales. L'exploration est associée à « la mise en danger de territoires particuliers, tels que le Larzac, la Drôme et l’Ardèche. Elle n’est plus seulement un problème impersonnel pour la planète, mais devient une dramaturgie enracinée dans un territoire et associée aux victimes potentielles que sont les habitants, les agriculteurs, les chasseurs, les pêcheurs, les spéléologues, etc. du territoire en question. Elle aussi associée à un problème démocratique, où les victimes sont ces élus locaux qui n’ont pas été consultés et dont la légitimité est désormais remise en cause ».
La forte mobilisation des opposants, appuyée par une dynamique territoriale et démocratique, a largement contribué à leur succès médiatique. Leur capacité à fournir une contre-expertise solide, nourrie notamment par les luttes en Amérique du Nord, s’est avérée très efficace.
Les opposants québécois(3) jouent un rôle clé en relayant les informations des États-Unis et en soulignant l’importance d’interrompre l’industrie dès les premières étapes. De plus, ils ont organisé des événements publics marquants, tels que des manifestations locales et des réunions où les élus dénonçaient l’État et remettaient en question la légitimité du processus de délivrance des permis.
Une loi d'interdiction rapidement votée
En mai 2011, le président du groupe UMP à l’Assemblée Nationale, Christian Jacob, a fait voter une loi afin d'interdire l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et d'abroger les permis de recherches correspondants. Il est définitivement adopté suite à sa validation par le Sénat en juin 2011(4). La fracturation hydraulique, seule technique utilisée actuellement pour exploiter le gaz de schiste, a été interdite par la loi Jacob en raison des risques qu'elle présente pour l'environnement. La loi n'empêche pas la recherche dans d'autres domaines.
Plusieurs brèches ouvertes, sans résultats
Pour ses défenseurs, exploiter les richesses gazières de notre sous-sol représenterait une formidable opportunité pour permettre à notre pays de bénéficier d’une énergie à moindre coût et de réduire nos importations et notre dépendance aux pays gaziers.
L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) a rouvert ce dossier ultrasensible donné en janvier 2013, en commandant un rapport visant à évaluer les alternatives à la fracturation hydraulique(5), de l'exploitation du gaz de schiste. Au cœur du rapport demandé par Montebourg, une alternative à la fracturation hydraulique : la fracturation au fluoropropane, ainsi que « d'autres technologies envisagées en recherche et susceptibles d'aboutir à des applications d'ici une dizaine d'années ». Ce gaz, beaucoup plus stable que le propane, serait injecté dans la roche pour la fracturer et atteindre les couches de gaz naturel: cette injection se ferait sans eau ni additifs chimiques, contrairement à la fracturation hydraulique. Or l'alternative est une technologie qui n'est pas mature et sans retour d'expérience car elle n'est même pas utilisée aux USA. Le rapport préconisait « une première phase d'expérimentation, par micro-forages en Ile-de-France et dans le Sud-Est ».
Si la plupart de ses ministres demeuraient contre l'idée d'exploiter les gaz de schiste, le président de la République François Hollande laissait savoir qu'il n'était pas contre. Mais pour Sébastien Chailleux et Philippe Zittoun, « l’étiquette qui colle désormais au gaz de schiste dans l’arène médiatique : celle d’être un drame environnemental doublé d’un problème politique suscitant le désordre public » est trop importante(6).
En parallèle, le Conseil d'État recommandait en juin 2013 le renvoi au Conseil constitutionnel de la question de l'interdiction de la fracturation hydraulique votée en 2011 pour barrer la route au gaz de schiste, à l'occasion d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) soumise par la compagnie pétrolière américaine Schuepbach, dont deux permis de prospection avaient été annulés fin 2011. La demande avait été déboutée en octobre 2013.
Le Sénat s'est une nouvelle fois opposé en février 2015 au gaz de schiste que des sénateurs UMP avaient tenté de réintroduire à l'occasion de l'examen du projet de loi sur la transition énergétique. Ces sénateurs avaient déposé un amendement intégrant dans le volet de programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) « la nécessaire identification du potentiel énergétique de la France en matière d'hydrocarbures non conventionnels », c'est-à-dire des gaz de schiste. Face aux manifestations, l'amendement avait été rejeté.
En décembre 2017, la justice administrative a invalidé en appel la décision prise en 2016 d'autoriser Total à rechercher du gaz de schiste dans le sud de la France, car le groupe s'était engagé à ne pas recourir à la méthode de la fracturation hydraulique. Elle concerne le permis exclusif de recherches de mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux, dit "permis de Montélimar" accordé au pétrolier en octobre 2011.
Le conflit russo-ukrainien a conduit à une hausse subite du prix du baril de pétrole et du mètre cube de gaz, et a de nouveau mis en évidence la dépendance énergétique française. Face à ce constat, de nouvelles voix comme celle de Patrick Pouyanné, patron de TotalEnergies, regrettaient encore que l'exploration des gisements de schiste soient « tabou ».
En 2024, aucun gaz des schiste n'avait été exploité en France.
Les raisons invoquées
Le gaz de schiste est du gaz naturel, c’est-à-dire du méthane. Ainsi, investir dans un gaz à effet de serre va à l'encontre de la transition énergétique, à l'inverse de l'investissement dans les énergies renouvelables et la maîtrise de l'énergie.
Mais c'est surtout la technique de fracturation hydraulique, utilisée pour exploiter des roches peu poreuses, qui dérange car elle est jugée néfaste pour l'environnement car elle implique l’adjonction de nombreux solvants chimiques. Elle consiste à injecter un fluide sous pression dans un forage à environ 3 000 mètres de profondeur dans la couche de roche-mère. Si la pression du fluide est supérieure à la pression dans la roche, la roche-mère se fissure. Cette technique n’est pas nouvelle, elle est également utilisée dans l’exploitation de l’eau, de la géothermie, du pétrole et dans les mesures de contraintes dans la roche, par exemple pour les tunnels. Pour que le gaz soit libéré de la roche-mère, les fissures sont maintenues ouvertes par injection de sable fin ou de poudres diverses. Le sable est transporté par l’eau grâce à des additifs (0,5 %), gélifiants ou lubrifiants. Pour réduire le nombre de forages et l’emprise au sol, les forages, d’abord verticaux, sont ensuite horizontaux une fois la couche géologique atteinte. Ces techniques sont très utilisées par les pétroliers, en particulier en offshore.
Les forages profonds « orientés » doivent être réalisés très soigneusement et sous contrôle. L’eau d’injection ne doit utiliser que des produits autorisés et celle qui ressort du forage doit être traitée. Aux États-Unis, ces règles de base n’ont pas toujours été appliquées au début, en particulier par des indépendants travaillant sur leurs propres terrains. Ce sont ces écarts qui expliquent et justifient les réactions de prudence dans plusieurs pays d’Europe.
Les risques de l’exploitation des gaz de schiste en l’état actuel sont donc en termes de pollution de l’air et des sous-sols, pouvant d’autre part être victimes de mini-séismes. L’exploitation des gaz de schistes présente aussi les inconvénients d’être fortement consommatrice d’eau, chaque fracturation de puits nécessitant près de 15 000 m3 d'eau et un puits pouvant être fracturé jusqu'à 14 fois.
Des conséquences qui affecteraient aussi le thermalisme, l'agriculture, et voire le tourisme et les paysages.
« Aux États-Unis, les forages d'exploitation ont fait des paysages des friches après la faillite des entreprises qui y ont abandonné tout leur matériel », rappelait la ministre de l'environnement Ségolène Royal, avant de poursuivre: « ne laissons pas croire que l'exploitation de cet hydrocarbure annonce un eldorado du sous-sol. Faisons des choix clairs: la biomasse, les moulins. Pas le gaz de schiste, n'en déplaise au lobby des investisseurs dans ce domaine qui nous réclameront ensuite des subventions publiques parce que l'exploration n'est pas rentable et causera des dégâts à l'environnement ».
Un excès de prudence ?
En dépit de ces contraintes, des pays ne se privent pas d’exploiter leurs sous-sols, comme les Etats-Unis, la Chine ou la Pologne. En France, la question de la place éventuelle des gaz et huiles de schiste dans le bouquet énergétique français n'a pas été réellement traitée.
Nombreux sont les industriels, politiques et experts à afficher leur perplexité face aux protestations :
« La France a décidé de tourner la page des gaz de schiste avant même de l’avoir ouverte », Gérard Mestrallet, PDG de GDF SUEZ.
« Imaginez que la même chose se soit passée pour le gaz de Lacq qui a tant participé, pendant quarante ans, au développement de l'Aquitaine et de nos territoires. », Jean-Claude Lenoir (UMP), président de la Commission économique de l'Assemblée nationale.
Il semble incohérent de « s’interdire […] de disposer d’une évaluation approfondie de la richesse potentielle » des sous-sols français, avant même d’avoir débuté un processus de recherche scientifique, soulignait le rapport d’étape de la mission CGIET-CGEDD.
« C’est la mauvaise utilisation de technologies pourtant éprouvées comme les forages dirigés et la fracturation hydraulique qui a provoqué des dommages environnementaux inutiles. Ces techniques bien maîtrisées peuvent permettre d’augmenter nos ressources et notre indépendance énergétique. Il serait imprévoyant de ne pas les évaluer. L’élaboration de règles strictes pour l’exploration, le forage, la mise en service et l’exploitation de ces hydrocarbures, puis le contrôle de leur application devrait permettre à la France et à l’Europe d’exploiter ces ressources énergétiques qui font partie de leur richesse. Notre avenir énergétique est incertain. Il serait inconséquent et imprudent de ne pas évaluer dès maintenant les ressources disponibles sur notre territoire national. » Bernard Tardieu, vice-président du pôle Énergie de l'Académie des technologies.
L’Académie des sciences jugeait d'ailleurs «infondé le rejet a priori de ces ressources non conventionnelles sans examen attentif ». En novembre 2013, l’Académie avait rendu publiques neuf recommandations à caractère scientifique(7), réclamant en premier lieu un effort de recherche soutenu et une évaluation précise des ressources nationales. Elle recommandait aussi la réalisation de tests dans le respect de la législation, c'est-à-dire sans fracturation hydraulique (mais avec forages horizontaux) dans des zones déjà fracturées de vieux bassins charbonniers. La distinction entre gaz de schiste et gaz de charbon n’a qu’une « portée limitée » car ils suivent des processus géologiques similaires.
En 2015, une vingtaine d'entreprises, parmi lesquelles Total, Engie, Air Liquide, Imerys ou Solvay, avaient lancé un Centre des hydrocarbures non conventionnels (CHNC). Son président Jean-Louis Schilansky résumait ainsi la démarche : « Un certain nombre d'industriels a pensé qu'il était temps d'apporter une information scientifique qualifiée sur ce sujet (et) de sortir de l'obscurantisme dans lequel on est plongé. »
L’avènement des gaz de schistes hors d'Europe
En 40 ans, la consommation mondiale de gaz naturel dans le monde a été multipliée par 15, même si elle décroit dans les pays Occidentaux.
Principalement utilisé pour le chauffage et la production d’électricité dans les centrales thermiques, le gaz naturel répond à plus de 20% de la consommation énergétique mondiale actuelle. Par ailleurs, les usages du gaz naturel se diversifient. Des techniques sont mises au point pour l’utiliser directement comme carburant en le transformant ou en le liquéfiant en vue de produire du diesel et du kérosène. Alors que certaines énergies fossiles sont en recul, l’engouement actuel pour le gaz se développe. Il s’accentue d’autant plus par le développement des gaz dits « non conventionnels » (nécessitant des techniques d’extraction spécifiques), parmi lesquels les gaz de schistes font figure de meneurs.
Emprisonnés dans des roches feuilletées, ces gaz sont difficiles à extraire et requièrent des technologies élaborées de forage horizontal et de fracturation. Mais compte tenu des efforts de recherche et d’un contexte favorable, leur exploitation s’avère de plus en plus rentable. Contrairement au traditionnel or noir, ils présentent l’avantage d’être abondamment répartis sur le globe. Par conséquent, ils suscitent la convoitise des compagnies pétrolières et gazières qui investissent massivement.
Les réserves mondiales de gaz de schiste représenteraient plus de 4 fois les réserves de gaz conventionnel. Leur exploitation est passée de 1% de la production de gaz naturel en 2000 à plus de 12% en 2010. Les enjeux sont eux aussi conséquents. Ainsi les Etats-Unis sont devenus en 2009 les premiers producteurs de gaz naturel, fait inédit depuis l’essor du gaz russe il y a plusieurs décennies. Selon les prévisions, d’ici à 2030, 60% de la production américaine de gaz naturel proviendraient des gaz de schistes. Ceux-ci disposent des réserves les plus importantes, en particulier dans le Colorado.
Sur le continent européen, les bassins les plus intéressants sont situés en Europe du Nord et de l'Est, et en France dans le bassin du Sud-est. L’US Energy Information Administration estime qu’il existe un potentiel semblable à celui Américain en France, au Royaume-Uni, en Pologne, en Scandinavie.
Par ailleurs, la Chine a annoncé en 2010 qu’elle disposait de réserves de gaz de schistes équivalentes à une année de production du Qatar soit plus de 30 000 milliards de m3.
Pour ces raisons couplées aux aspects économiques, des avancées technologiques s’avèrent encore nécessaires pour trouver un écho favorable et assurer à ces gaz une position de premier rang dans le mix énergétique futur en France.
Les importations de gaz de schiste
L’exploitation des gaz de schiste a vraiment commencé aux États-Unis en 2005 et s’est développée très rapidement jusqu’à satisfaire la totalité de ses besoins et 20 % de sa consommation énergétique globale, à un prix autour de 3 $ / MBTU (soit l’équivalent de 20 $/baril de pétrole) alors que ce prix est d’environ 12 $/MBTU en Europe et 17 $ / MBTU au Japon.
La fracturation hydraulique est utilisée aujourd'hui dans la plupart des gisements onshore dans le monde. Et l'importation de gaz de schiste n'a jamais été interdite en France.
La France demeure l'un des plus grands acheteurs de gaz de schiste aujourd'hui, sans pour autant qu'il n'existe de chiffres précis sur l'origine des molécules de gaz importées.
En milliards de mètres cubes de gaz naturel produit - Source : Enerdata - World Energy and Climate Statistics - Graphique : Selectra
En milliards de mètres cubes de gaz naturel exporté - Source : CIA World Factbook - Graphique : Selectra
Pendant la crise énergétique de 2021 à 2023, la France a importé plus de 4,5 milliards de mètres cubes de gaz naturel liquéfié (GNL), majoritairement issu de gaz de schiste, avec des achats effectués notamment par Engie. Les coupures de courant redoutées ont été évitées grâce à un hiver doux, mais aussi grâce à ces importations massives de GNL, qui ont permis d'assurer l'approvisionnement en énergie pour les foyers français.
Source : Ministère de la Transition Écologique - Graphique : Selectra