
Jean-Louis Caffier (journaliste spécialiste du climat) interroge régulièrement des membres de notre comité scientifique, avec 3 questions faisant écho à l'actualité.
Invité : Yvan Cliche, chercheur au Centre d’études et de recherches internationales de l’université de Montréal (CÉRIUM).
Les récentes élections législatives au Canada (avril 2025) n’ont pas permis de constituer une majorité absolue (172 sièges requis). Le Parti libéral de Mark Carney, nouveau Premier ministre, obtient 169 sièges, le Parti conservateur de Pierre Poilievre 144, le Bloc Québécois 22, le Nouveau Parti démocratique 7, le Parti vert 1. Le Parlement fédéral canadien est donc condamné à miser sur des compromis pour faire passer des lois. L’énergie est un sujet majeur de la future gouvernance.
Gaz, pétrole, uranium, hydraulique plus solaire et éolien : le Canada est très bien doté en ressources énergétiques, mais cette abondance crée des problèmes de gouvernance. Pourquoi ?
L’énergie est un sujet clivant au Canada, essentiellement entre partisans des fossiles (Conservateurs) et opposants (Libéraux, Nouveau Parti démocratique, Bloc québécois, Verts). Le gaz et le pétrole, principalement concentrés dans la province de l’Alberta, à l’ouest du pays, sous forme de sables bitumineux, font du Canada la quatrième puissance pétrolière mondiale. Problème, il y a peu d’accès à la mer, ce qui est ressenti dans les provinces productrices comme un blocage qui prive le pays de recettes importantes.
En 2024, la capacité d’exportation de pétrole a triplé avec l’expansion du pipeline Transmontain, de l’Alberta vers l’océan Pacifique (900 000 barils/jour). Il y aura un accès pour le gaz dès cet été, avec la mise en place d’un premier projet d’exportation de gaz naturel liquéfié (GNL). Mais pour le pétrole, le débat a été relancé avec la guerre tarifaire menée par Washington : faut-il un tuyau vers le Pacifique, vers l’Atlantique ? Comment convaincre les provinces qui seront traversées ?
Le Canada exporte 4 millions de barils par jour vers les États-Unis, ce qui est beaucoup, mais avec un accès à la mer, c’est le marché mondial qui s’ouvrirait davantage et ferait du Canada un acteur de premier plan.
La création de pipelines peut-elle être approuvée par le Parlement ?
Les Libéraux n’ont pas la majorité absolue. Les projets nécessitent donc l’appui du Bloc Québécois ou du Nouveau Parti démocratique qui se sont toujours fermement opposés à ce type de projets. Bien malin qui pourrait deviner comment ce débat va se conclure.
L’enjeu du climat n’a pas été présent dans la campagne électorale. Reste que le Canada est l’un des moins bons élèves au sein du G7 sur les émissions de gaz à effet de serre dues pour un tiers au secteur pétrolier et cet élément va aussi compter.
Quelles sont les perspectives pour les autres formes d’énergie, bas carbone ?
Tout le monde est d’accord pour soutenir les énergies renouvelables. Les priorités sont toutefois différentes entre les provinces, qui agissent un peu comme des pays indépendants car elles ont l’autorité sur l’énergie. Ainsi, l’Ontario vise une expansion majeure de son parc nucléaire, grâce aux petits réacteurs modulaires.
Sur l’hydraulique, le Manitoba, le Québec et la Colombie-Britannique comptent encore beaucoup sur cette énergie pilotable.
Le développement des autres énergies renouvelables, solaire et éolien, va se décliner dans à peu près toutes les provinces, le Canada ayant notamment de vastes territoires avec un fort potentiel éolien. Mais les provinces, dont le Québec, misent aussi grandement, et c’est nouveau, sur l’énergie solaire. En matière d’électricité décarbonée, le Canada a donc une position très enviable. Le gros débat dans les mois à venir se fera sur la possibilité et l’ampleur de l’expansion des énergies fossiles vers des ports pour que le secteur devienne moins dépendant du marché américain.