Les pérovskites : révolution du marché photovoltaïque à venir ?

parue le
Cellule tandem pérovskitesilicium

Cellule tandem pérovskite/silicium. (©CEA)

Oxford PV, Qcells, GCL, Longi… Ces dernières années, les géants de l’industrie photovoltaïque multiplient les annonces dans la course aux cellules photovoltaïques tandem Pérovskite-Silicium. Les records de durabilité et de rendements, battus les uns après les autres, laissent entrevoir l’arrivée prochaine sur le marché des premiers modules commercialisables.

Le marché de l’énergie solaire se porte exceptionnellement bien : entre 2013 et 2023, la puissance photovoltaïque installée dans le monde a été multipliée par 21 (1419 GW à la fin de l’année 2023)(1) et cette explosion du marché s’est accélérée en 2024 avec 585 GW de nouvelles capacités installés dans le monde selon Ember(2), 30% de plus que l’année précédente. Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la part du solaire dans le mix électrique mondial pourrait dépasser 20% en 2050(3) dans l’état actuel des politiques et 30% dans un scénario « Net Zero » de décarbonation totale de l’économie, contre 6,9% en 2024.  

Le développement exponentiel du marché photovoltaïque ces dernières années repose avant tout sur la chute considérable du prix des modules à base de silicium, qui représentent aujourd’hui 95 % des panneaux vendus dans le monde(4). Il a été divisé par 7 en 10 ans(5)(6). Selon l’économiste Christian de Perthuis, cette chute est due aux économies d’échelles et à la guerre des prix que mènent entre elles les entreprises chinoises. La technologie en elle-même n’a cependant pas beaucoup évolué sur la même période. Les meilleurs modules à base de silicium pur ont aujourd'hui un rendement de 25,4% en laboratoire(7), c'est-à-dire qu’ils convertissent 25,4% de l'énergie lumineuse qu’ils reçoivent en énergie électrique. Il y a dix ans, le record était de 22,8%.

« Les rendements continuent de progresser lentement, indique Christian de Perthuis, mais on ne pourra pas aller beaucoup plus loin avec le silicium, il y a un phénomène de plafonnement physique ». En effet, le rendement maximal atteignable en théorie avec le silicium est d’environ 29%(8). Pour briser ce plafond de verre, l’industrie mise aujourd’hui sur de nouveaux matériaux : les pérovskites.

Jusqu'à 43% de rendement

Les pérovskites sont une classe de matériaux utilisés depuis 2009 comme semi-conducteurs dans des cellules photovoltaïques expérimentales (les cellules sont les pièces productrices d'électricité dans les modules photovoltaïques). Plus fines, produites à base de matériaux abondants dans la croûte terrestre, plus performantes en basse lumière que les cellules en silicium, les cellules en pérovskite pure ont rapidement figuré parmi les technologies émergentes les plus prometteuses.

Leurs propriétés laissent imaginer des applications dans des vitres productrices d’électricité, des modules photovoltaïques souples ou encore dans l’alimentation d’objets électroniques d'intérieur. Pour ce qui est du rendement, il est aujourd’hui comparable à celui des cellules en silicium.

Mais c’est l’association du silicium et de la pérovskite dans une unique cellule qui intéresse le plus les industriels. En appliquant une couche très fine de pérovskite (moins d’un micromètre) sur le silicium, les rendements décollent et pulvérisent les maximums théoriques des deux matériaux pris séparément. « En tandem, on absorbe une plus grande partie du spectre lumineux », explique Jacky Even, chercheur à l'Insa de Rennes : « Le silicium collecte plutôt les rayonnements de basses énergies et la pérovskite les hautes énergies ». Le dernier record en date est détenu par l’entreprise chinoise Longi, avec un rendement de 34,6% pour une cellule tandem(9). L’association des deux matériaux pourrait théoriquement donner des rendements allant jusqu'à 43%(10).

Des problèmes de durabilité

« La problématique principale qui empêche l’industrialisation pour le moment, c’est la stabilité en fonctionnement » indique Jacky Even. Les propriétés des pérovskites se dégradent en effet très rapidement avec l’humidité, la lumière et les changements de température et il est difficile de produire des cellules qui conservent durablement leur rendement.

Pour les cellules en pérovskite pure, des parades ont été trouvées, avec un meilleur choix de matériaux et des techniques d’encapsulation qui isolent les cellules du monde extérieur. « Dans les laboratoires universitaires, on arrive aujourd’hui à maintenir le rendement des cellules stables sur des cycles de 80 jours, dans des conditions bien plus difficiles que les conditions réelles », se félicite le chercheur, « on arrive un peu au bout de ce qu’on peut faire dans les universités et la balle est en train d'être transmise aux industriels ».  

Selon lui, il reste en revanche encore des marges de progrès en ce qui concerne les tandems, car l'association des deux matériaux fait intervenir de nouvelles instabilités. « Pour répartir équitablement les charges électriques produites entre la pérovskite et le silicium, on utilise des alliages d’iode et de brome qui se dégradent avec la lumière » précise-t-il.  

Les records de rendement et de durabilité sont en général atteints pour des cellules de surface inférieures à 1 cm2, bien loin des surfaces standards de l’industrie. « Plus on augmente la surface des cellules, plus on a de chance de créer des défauts dans les matériaux, ce qui fait baisser les performances », souligne la chercheuse Solenn Berson qui travaille sur des cellules tandems de plus grande taille au CEA. « L’idéal serait de pouvoir garantir des performances relativement stables sur 30 ans », précise-t-elle. Autre défi pour l'industrie : selon la chercheuse, les procédés de fabrication actuels des tandems sont encore trop lents pour être compatibles avec des cadences industrielles.

Un projet français financé par l'Ademe

Bénéficiant des progrès en laboratoire, l’industrie se rapproche de plus en plus de premiers déploiements commerciaux. En janvier 2024, l’institut de recherche publique allemand Fraunhofer a annoncé avoir développé un panneau pérovskite - silicium de 1,6 m2 avec 25 % de rendement en partenariat avec l’entreprise britannique Oxford PV(11). Quelques mois plus tard, en septembre, l’entreprise a déclaré avoir trouvé un premier client aux États-Unis pour débuter la commercialisation de ces panneaux(12).

Autre exemple, l’entreprise sud-coréenne Qcells a annoncé en décembre 2024 avoir produit une cellule tandem de taille industrielle M10 (330 cm2) avec un rendement record de 28,6%(13)(14). Parmi les entreprises qui font la course aux tandems pérovskite sur silicium, on compte aussi les Chinois Longi et GCL, mais aussi l’Italien 3Sun qui développe des cellules tandems en partenariat avec le CEA(15).

La France aussi est dans la course, avec l’entreprise Voltec Solar et le laboratoire parisien IPVF, qui sont réunis dans un projet financé par l’Ademe. L’objectif est de produire en France des modules tandems « éco conçus » à partir de 2028 pour « renforcer la souveraineté énergétique du pays » d’après le responsable recherche et développement de Voltec Solar.

Si des records de rendement sont annoncés les uns après les autres sur des cellules et des modules de toutes tailles, des incertitudes demeurent, notamment sur la durabilité. « C’est difficile de savoir ce que font vraiment les industriels, juge Jacky Even, parce qu’ils ne communiquent pas les détails de leurs recherches ». De son côté, Andries Wantenaar, qui analyse le marché photovoltaïque pour le think tank américain Rethink technology research, estime qu’il est « possible que certaines entreprises aient fait des progrès sur la durabilité, » mais qu’il « faudra des années de recul pour pouvoir le prouver. »

3 à 4 fois le prix actuel du marché

« Le nerf de la guerre c’est l’économie d’échelle », martèle Christian de Perthuis : « Si le marché du photovoltaïque s’est aussi bien porté ces dernières années, c’est parce que les Chinois ont radicalement changé d’échelle de production. Quand on est capable de diviser le prix des panneaux par dix, ce n’est pas un boost de rendement qui va changer la face du monde ».

Mais même si les pérovskites ne sont pas une révolution en soi, à moyen terme, « les industriels ont tout intérêt à se positionner », estime Damien Callet, spécialiste énergie pour l’institut d’étude Xerfi, « il y a fort à parier que si les problèmes de vieillissement sont résolus, les tandems pérovskite-silicium vont remplacer les cellules classiques ».

L’industrie pourrait certes avoir du mal à proposer à court terme des prix aussi attractifs avec les tandems que ce que les économies d'échelle permettent pour le silicium pur. Selon une étude du laboratoire NREL publié en février dernier dans la revue Joule, le prix minimum de commercialisation de panneaux tandems pérovskite-silicium produits aux États-Unis serait aujourd'hui de 0,42 dollar par Wc (Watt crête : puissance maximale d’un dispositif photovoltaïque) pour un module avec un rendement de 25%, et de 0,3 dollar par Wc pour le même module dont le rendement serait de 35%(16). C’est 3 à 4 fois le prix actuel du marché.

« Un intérêt à mieux rentabiliser l’espace »

On peut s’attendre à ce que les tandems pérovskite-silicium profitent aussi à moyen terme de réductions de coût de production grâce aux économies d’échelle. « Les panneaux tandem s'imposeront comme une alternative sérieuse au silicium traditionnel s'ils parviennent à tenir leurs promesses de durabilité et de baisse des coûts au cours des prochaines années. Dans le cas contraire, le silicium traditionnel restera dominant », prévient Damien Callet.

Mais pour Andries Wantenaar, il y a peu de chance que les prix initiaux de mise sur le marché des nouveaux panneaux solaires soient prohibitifs. « Le prix des panneaux ne représente qu’une toute petite partie du prix de l'installation photovoltaïque résidentielle. Avoir des panneaux à 30% ou même 35% de rendement sera forcément un gain de rentabilité pour les particuliers », estime-t-il. Sa réflexion se base sur le marché américain pour lequel les panneaux ne représentent qu’un peu plus de 10% du prix de l'installation totale(17), le reste étant la main-d'œuvre et le matériel de raccordement.

Les chiffres sur le marché français sont très similaires selon l’Ademe(18).  Notons toutefois qu'ils constituent une moyenne et que le poids des panneaux dans un devis est très variable en fonction de l’installateur ou de la localisation du projet.

Hors résidentiel, Damien Callet juge « que les gains de rendements trouveront tout leur sens dans zones où il y a des difficultés d’accès au foncier » : « En Belgique ou aux Pays-Bas et dans une moindre mesure en France ou en Italie, les exploitant de parcs solaires trouveront un intérêt à mieux rentabiliser l’espace, quitte à payer plus cher le matériel », précise-t-il.

Reste à savoir à quelle échéance. Andries Wantenaar pense que les cellules en silicium vont très rapidement perdre du terrain face aux tandems. Dans une étude publiée en septembre 2024 par Rethink Energy(19), l'analyste prédisait l’industrialisation à l’échelle du Gigawatt des pérovskites à partir de 2028, avec une majorité des nouvelles installations photovoltaïques basées sur les pérovskites à partir de 2036. Des projections à prendre avec prudence, Andries Wantenaar reconnaît qu’il a toujours eu « tendance à faire des prédictions trop optimistes ». 

Article rédigé par Pierre Giraudeau.

Sur le même sujet