Regard pétrolier sur la levée des sanctions contre l'Iran

Samuele Furfari

Professeur de géopolitique de l'énergie à l’Université libre de Bruxelles
Président de la Société européenne des Ingénieurs et Industriels

Après que le Congrès des États-Unis ne s'y soit pas opposé, l'accord du 14 juillet 2015 entre les cinq membres permanents des Nations Unies, l'Allemagne et l'UE d'une part et l'Iran d'autre part a conduit à la levée des sanctions qui frappaient tous les secteurs économiques de l'Iran : le commerce international, les assurances, les transactions financières, et bien entendu les exportations pétrolières. C'est assurément un succès diplomatique pour l'Iran bien entendu, mais également pour les États-Unis et l'UE. En effet, ce sont ces deux derniers qui ont le plus œuvré afin de sortir l'Iran de son isolement économique mondial depuis 2011 (depuis près de 35 ans en ce qui concerne les États-Unis), les autres négociateurs n'ayant peut-être pas autant d'intérêt pour les conséquences industrielles de cet accord.

A part le caviar et les pistaches, l'Iran ne peut compter que sur ses réserves d'hydrocarbures pour obtenir des revenus des exportations.

Ces sanctions ont été fatales pour la stratégie qu'avait imposée l'ancien gouvernement iranien, les premières victimes ayant été les 80 millions d'Iraniens qui ont souffert de ces conditions dans leur vie quotidienne. A part le caviar et les pistaches, le pays ne peut compter que sur ses réserves d'hydrocarbures pour obtenir des revenus des exportations. Or, les sanctions avaient coupé les exportations pétrolières iraniennes qui oscillaient depuis une vingtaine d'années autour de 2 millions de barils par jour (Mb/j) et atteignaient un peu moins de 1 Mb/j en 2015, un paradoxe pour un pays qui détient 9,3 % des réserves de pétrole, ce qui fait de lui le quatrième pays en termes de réserves mondiales. Cela a bien entendu fait très mal à l'économie iranienne car le manque à gagner était de l'ordre de 35 milliards de dollars par an. Le pays était asphyxié. L'Iran a dû se résoudre à admettre que l'époque de l'utilisation de l'arme pétrolière, ouverte par le Libyen Kadhafi et l'Iranien Khomeiny, était révolue et qu'il avait intérêt à rentrer dans le rang.

Avant d'examiner les conséquences de la levée des sanctions, voyons pourquoi l'Iran a dû se résoudre à accepter l'accord car cela est aussi déterminant pour cerner l'avenir du pays. Depuis quelques années, nous sommes entrés dans une nouvelle ère de l'énergie, celle de l'énergie fossile abondante et bon marché(1). La méthode Coué qui consistait à dire que le pétrole avait atteint son pic de production ou que « le pétrole bon marché » était terminé n'a pas résisté à la réalité des faits :

  • la Convention du droit de la mer des Nations unies a ouvert de nouveaux espaces maritimes et partant de bassins géologiques riches en hydrocarbures dans des endroits variés, y compris dans les pays de l'OCDE ;
  • il n’y avait jusqu’à peu jamais eu autant d’investissements dans l’exploration-production de pétrole, grâce aux prix élevés de ces dernières années et surtout aux évolutions technologiques majeures dans la prospection, dans les forages et la production ;
  • ces mêmes technologies ont permis de découvrir d’abondantes réserves de gaz conventionnel ;
  • les États-Unis ont ouvert la voie à la révolution du gaz de roche-mère (improprement appelé gaz « de schiste ») ;
  • une production de pétrole de roche-mère vient s’ajouter à la production conventionnelle déjà abondante.

Le prix du pétrole brut revient au niveau qu'il n'aurait jamais dû quitter.

Ce sont là les raisons principales qui ont permis que le prix du brut retourne à la rationalité. Dire que le prix du brut a chuté ne rend pas justice à la réalité, il serait plus correct de dire que le prix revient au niveau qu'il n'aurait jamais dû quitter. D'ailleurs l'OPEP avait développé au début des années 2000 le concept de « bande de prix », avec un prix cible de 25 $/b et des extrêmes de 22 et 28 $/b.

Devant l'évidence que son pétrole n'était plus indispensable pour satisfaire la demande mondiale, l'Iran n'avait plus d'autres choix que d'accepter d'entrer dans l'ère de la collaboration pétrolière. Le pétrole n'est plus une arme car on peut s'en procurer ailleurs qu'au Moyen-Orient, c'est d’ailleurs la raison pour laquelle les prix chutent. Cette collaboration pétrolière est explicitement prévue dans l'accord du 14 juillet 2015 : le mot « pétrole » apparaît 65 fois dans l'accord, l'expression « pétrole, gaz et pétrochimie » se retrouve 11 fois. Les hydrocarbures constituent donc bel et bien une partie très importante de cet accord international. 

Comme le téléphone à cadran rotatif est différent d'un smartphone, la technologie pétrolière de 1979 n'a plus rien à voir avec celle de 2016.

L'Iran a un besoin criant en investissements dans tous les domaines de l'économie et en particulier dans celui pétrolier. Le pays s'étant fermé aux technologies occidentales, sa production d'hydrocarbures a nettement baissé par rapport à l'époque du Shah. Si on peut risquer une comparaison, comme le téléphone à cadran rotatif (encore utilisé au début des années 1980) est différent d'un smartphone, la technologie pétrolière de 1979 n'a plus rien à voir avec celle de 2016. L'Iran a donc besoin de la technologie des entreprises internationales qu'il a abhorrées pendant 35 ans.

Grâce aux nouvelles technologies, l'Iran pourrait accroitre sa production de l'ordre d'un demi-million de barils par jour en quelques mois. Les autorités espèrent que leur production de pétrole passera des 3,4 Mb/j actuels à 5 Mb/j d'ici 2020. Pour cela, le pays doit et veut attirer les investisseurs étrangers qui viendront avec leur technologie moderne. Dès 2014, Javad Zarif, le ministre des Affaires étrangères de l'Iran avait déjà commencé à courtiser les investisseurs en affirmant que son pays aurait besoin d'au moins 100 milliards de dollars d'investissements étrangers dans le domaine du pétrole et du gaz.

Si le pétrole est l'énergie dominante dans le monde, le gaz naturel qui devient de plus en plus important est un très grand atout de l'Iran.

Quelle est la raison fondamentale de ce retard technologique ? Elle est religieuse. Dans cet État islamique, les firmes étrangères n'avaient pas le droit de détenir des droits sur une ressource nationale et les contrats que la National Iranian Oil Company (NIOC) proposait étaient donc du type « buy-back » (« contre achat ») : les compagnies étrangères finançaient le développement des champs pétroliers et gaziers, puis l’exploitation de ces derniers était, à leur mise en service transférée à la NIOC. Les compagnies étrangères étaient remboursées par l’État durant une période de l’ordre de 7 ans pour les investissements qu’elles avaient réalisés et touchaient une rémunération à partir de la « première production ».

Au-delà des sanctions déjà très dissuasives, ce type de contrat n'intéressait pas les Majors pétrolières. C'est la raison pour laquelle Hassan Rohani, Président de la République islamique d'Iran, a explicitement invité, lors du Forum Économique Mondial de Davos en janvier 2014, les compagnies internationales à revenir en Iran car le pays allait abandonner ce type de contrat.

Dès le début de 2016, les autorités ont fait savoir qu'elles allaient lancer 52 appels d'offres pour exploiter des champs pétroliers et gaziers, 33 pour des nouveaux et 19 pour des existants. Il convient d'insister que si le pétrole est l'énergie dominante dans le monde, le gaz naturel qui devient de plus en plus important est un très grand atout de l'Iran. Ce pays possède les plus grandes réserves au monde (18% des réserves mondiales) devant la Russie (17%). Il partage avec le Qatar (14%) le gisement gazier géant qui se trouve dans le Golfe Persique (et que les Saoudiens s'évertuent à appeler « arabique »).

Les compagnies internationales sont les bienvenues mais l'Iran n'entend pas leur dérouler le tapis rouge.

Puisque les compagnies iraniennes n’étaient pas en mesure d'exploiter et d'exporter le gaz national, Téhéran était absent du marché mondial, pourtant en plein essor. Leur nouveau positionnement géopolitique devrait leur permettre d'exporter du gaz par gazoduc notamment vers le Pakistan et l'Inde, voire la Turquie, à la condition de résoudre les questions géopolitiques liées aux voies de transit qui lui sont imposées par la géographie. Autrement, le pays devra exporter le gaz sous forme liquide et partant construire une installation de production de GNL ou bien poser une conduite qui traverserait le Golfe pour alimenter le terminal gazier d’Oman.

Toutefois, les contrats pétroliers et gaziers seront bien du type « contrat de service ». L'Iran va imposer des conditions non indifférentes, dont notamment l'obligation pour les entreprises iraniennes de détenir 51% des parts du projet, assurer un transfert de technologie, l'utilisation des meilleures techniques existantes, et – ce qui est normal -  assurer la protection des travailleurs et de l'environnement. Ces exigences démontrent que si les compagnies internationales sont les bienvenues, la République Islamique n'entend pas leur dérouler le tapis rouge.

En outre, comme les États-Unis maintiennent leur priorité géostratégique en faveur de l'allié saoudien, il est très peu probable que les entreprises pétrolières américaines se précipiteront en Iran. Celles européennes sont beaucoup plus enclines à collaborer avec l'Iran, mais elles ont besoin de l'assurance que le pays restera stable; or des élections législatives sont prévues en février 2016 et les « durs » du régime n'ont pas dit leur dernier mot.

On n'insistera jamais suffisamment sur la nécessaire - l'indispensable stabilité interne d'un pays pour attirer des investisseurs pétroliers et gaziers, surtout à présent qu'il y a tant d'autres endroits au monde où on peut produire dans des conditions sereines et sans risques politiques. Il n'en demeure pas moins que de toute évidence, l'accord nucléaire iranien a ouvert une autre porte du « paradis pétrolier ». Cependant, le retour de l'Iran dans le marché international du brut ne se fait pas au meilleur moment puisqu'il est inondé par une offre excédentaire. La concurrence avec l'Arabie saoudite mais aussi l'Irak et la Russie sera rude et l'Iran ne devrait pas être trop optimiste…

Production, consommation et exportations de pétrole brut de l’Iran

Production, consommation et exportations de pétrole brut de l’Iran (©Connaissance des Énergies, d’après données de BP)

L'auteur de cette tribune s'exprime à titre strictement personnel.

Sources / Notes

  1. « Vive les énergies fossiles. La contre-révolution énergétique », Samuele Furfari, Texquis, mars 2015

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