ETS 2 : le futur marché carbone va-t-il faire flamber vos factures d'énergie ?

En 2005, l'Union européenne a mis en place un système d'échange de quotas d'émissions de gaz à effet de serre (SEQE ou ETS pour « Emissions Trading Schemes » en anglais) couvrant les émissions directes d’environ 12 000 installations de secteurs industriels intensifs en énergie et de centrales électriques utilisant des combustibles fossiles. En 2023, un nouveau « marché carbone », dit « ETS 2 », a été adopté au niveau communautaire. Celui-ci devrait démarrer en 2027 et pourrait avoir un impact majeur sur les factures d'énergie des ménages.

Pourquoi une « révision » ?

En 2021, la Commission européenne a publié une proposition de révision de la directive ETS dans le cadre du paquet « Fit for 55 », afin de contribuer à l'objectif de réduire de 55% les émissions de gaz à effet de serre de l'UE d'ici à 2030 (par rapport au niveau de 1990) et d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050.

Cette révision prévoit notamment une extension du marché carbone « ETS 1 » au transport maritime (pour les grands navires de plus de 5 000 tonnes de jauge brute) et un nouvel ETS distinct, communément appelé « ETS 2 » (ou ETS BRT)(1)

L'ETS 2 ne se substitue ainsi pas au marché carbone actuel : ce seront deux marchés carbone distincts qui vont cohabiter et faire l'objet de deux lignes différentes sur la bourse EEX (avec des prix du CO2 différents), souligne Gaspard Poitevin, trader spécialiste de l'ETS 2 chez CT. 

Comme le marché carbone actuel (ETS 1), l'ETS 2 est un système européen de plafonnement et d’échange d’émissions (« cap-and-trade »), dans lequel les entreprises assujetties doivent mesurer et vérifier leurs émissions de CO2 pour ensuite restituer aux autorités une quantité de quotas d’émissions équivalente (1 quota d’émission = l’autorisation d’émettre une tonne de CO2)(2).

Quelles différences entre l'ETS 1 et l'ETS 2 ?

Secteurs inclus dans l'ETS 2

Les acteurs « obligés » (soumis à ces outils réglementaires) dans le cadre de l'ETS 1 et l'ETS 2 sont différents. 

Alors que l'ETS 1 cible principalement l'industrie lourde, l'ETS 2 s'appliquera :

  • au transport routier (carburants : diesel, essence, etc.) ;
  • aux bâtiments résidentiels, commerciaux et institutionnels (combustibles de chauffage : gaz, fioul et charbon essentiellement) ;
  • à la construction (gazole non routier utilisé sur les sites de construction ou autres usages non routiers) ;
  • aux sites industriels et de production d’énergie non couverts par l'ETS 1 (combustibles et carburants industriels).

Le nouveau marché vise in fine à « inciter les ménages et les entreprises à investir dans des alternatives bas carbone (rénovations énergétiques, mobilité et chauffage décarbonés, électrification, etc.) par un renchérissement des énergies fossiles », soulignent Raphael Trotignon, Adrien Benoist dans une note de Rexecode parue en juillet 2025(3).

Pas d'allocation gratuite

Contrairement à l'ETS 1, aucune allocation gratuite de quotas d'émissions n'est prévue dans l'ETS 2 : cela signifie que « tous les quotas sont attribués par enchères (sur EEX), puis sur le marché secondaire (principalement sur la bourse ICE) », indique Gaspard Poitevin.

Une obligation « en amont »

L'obligation de quotas s'applique aux fournisseurs d'énergie fossile des secteurs concernés par l'ETS 2 et non pas directement aux « émetteurs » comme dans l'ETS 1, précise Gaspard Poitevin. Concrètement, « une papèterie consommant de l'énergie fossile devrait fournir des quotas dans l'ETS 1 tandis que c'est son fournisseur d'énergie dans l'ETS 2, qui le répercute sur les acteurs couverts par le système » (et en bout de chaine sur le consommateur).

Ce fonctionnement « en amont est nécessaire afin d’éviter l’inclusion de plusieurs centaines de millions d’acteurs individuels sur le marché », justifient Raphael Trotignon et Adrien Benoist. Pour une finalité identique : « les émetteurs seront exposés à une hausse du prix des énergies fossiles, et donc à une baisse du coût relatif des solutions de décarbonation ».

Quel sera le niveau d'obligations ?

Le plafond d'émissions (« cap ») a été fixé à un peu plus d'un milliard de quotas pour 2027 (1 036 288 784)(4). Il a été calculé sur la base des émissions de 2016 à 2018 des secteurs qui seront couverts par l'ETS 2.

Ce plafond européen total d’émissions suivra le modèle de l’ETS 1 et « diminuera chaque année selon un facteur de réduction linéaire d’environ 5% par an », précisent Raphael Trotignon et Adrien Benoist. Concrètement, il devrait ainsi s'élever à « 989 millions quotas en 2028, 926 en 2029, 862 en 2030, 799 en 2031, 735 en 2032 », abonde Gaspard Poitevin.

Quelle sera la part des émissions françaises couvertes ?

Selon les calculs de Raphael Trotignon et Adrien Benoist, « l’assiette des émissions couvertes par l’ETS 2 en France peut être estimée à environ 182 Mt CO2 e en 2024 (49 % des émissions territoriales), avec environ 98 Mt CO2 e attribuables aux ménages (67 pour les véhicules et 31 pour les logements), et 85 Mt CO2 e revenant aux entreprises (et de façon minoritaire aux administrations) ».

Quel est le calendrier de mise en œuvre de l'ETS 2 ?

La phase de « monitoring », aussi dite « MRV » (Measuring, Reporting and Verification), a commencé et se poursuivra en 2026. Le début officiel de l'ETS 2 est prévu le 1er janvier 2027

Ce début pourrait être reporté à début 2028 en cas de flambée des prix du pétrole et du gaz au cours du 1er semestre 2026(5) :

  • si le prix moyen du gaz sur le marché TTF au cours des 6 premiers mois de 2026 est plus élevé que le niveau moyen de février et mars 2022 ;
  • si le prix moyen du baril de pétrole brut Brent au 1er semestre 2026 dépasse plus de deux fois le niveau moyen des 5 années précédentes.

Une situation improbable à ce stade. La date limite de décision de report (sur ces critères ou pour un motif politique) est fixée au 15 juillet 2026.

Une première « restitution » des quotas est prévue le 31 mai 2028(6).

Quel sera in fine l'impact pour les ménages ?

Ces derniers mois, le réseau Cler a alerté sur l'impact majeur que pourrait avoir les mécanismes de financement de la transition énergétique (ETS 2 mais aussi certificats d'économies d'énergie et certificats de production de biométhane) sur les factures des ménages français.

Un impact qui pourrait être « du même ordre de grandeur que la hausse pendant la crise énergétique » de 2022 si aucune mesure compensatoire n'était mise en place (avec notamment une hausse théorique attendue liée à l'ETS 2 de 250 euros par an pour un ménage français en moyenne).

Estimations des hausses de factures par le réseau Cler

Si le chiffrage du réseau Cler est surestimé selon certains observateurs(7), il a le mérite de rappeler les implications profondes de l'ETS 2. Et à dessein puisque ce marché carbone sert, avec un signal-prix, à détourner les consommateurs des énergies fossiles. 

Concrètement, en considérant « un prix du quota ETS 2 de 50 €/tCO2, qui viendrait en addition de la composante carbone préexistante, le dispositif combiné entraînerait une hausse additionnelle de  0,12 € par litre de gazole B7, de 0,10 € par litre d’essence SP95-E10, de 9,2 € par MWh PCS de gaz naturel et de 132 € pour 1 000 L de fioul domestique», estiment Raphael Trotignon et Adrien Benoist dans leur étude pour Rexecode. « Au bout d’un an, cela représenterait pour un ménage moyen un surcoût annuel de l’ordre de 155 €, 105 € pour ses charges de transport et 50 € pour son logement », selon leurs calculs. Tout en rappelant que ces impacts seront « très hétérogènes » et potentiellement jusqu'à trois fois plus importants pour les ménages et les entreprises les plus exposés (forte utilisation de véhicules thermiques, bâtiments mal isolés). 

Reste à savoir comment l'ETS 2 va s'articuler avec la composante carbone existante en France (cette « taxe carbone » est pour rappel bloquée à un niveau de 44,6 €/t CO2 depuis 2018 et la crise des « gilets jaunes »).

Compensations prévues

Avant l'entrée en vigueur de l'ETS 2, l'Union européenne va créer dès 2026 un fonds social pour le climat (FSC) visant précisément à soutenir les ménages en situation de précarité, les usagers des transports et les petites et moyennes entreprises (PME) afin d’accéder aux alternatives bas carbone pour se chauffer et se déplacer. 

Cette redistribution des revenus générés par l'ETS 2 prendra principalement la forme de « mesures de compensation et d’accompagnement comme des aides directes ou des subventions à l’investissement pour la décarbonation », précisent Raphael Trotignon et Adrien Benoist.

Les revenus liés à l'ETS 2 non consacrés au FSC seront restitués aux États membres, « selon une clé de répartition qui devrait octroyer à la France environ 16 % des recettes totales, soit 6,5 Md€ par an pour un prix de 50 €/tCO2». 

En France, Raphael Trotignon et Adrien Benoist estiment que la compensation d'une partie des entreprises et des ménages affectés(8) (versements forfaitaires, chèques énergie ou carburant, baisses de taxes, aides à l’investissement pour la rénovation ou l’achat de véhicules propre, etc.) pourrait s'élever entre 2 et 4 milliards d'euros par an. Soit environ la moitié des revenus reçus par l'État français. Avec une nuance majeure : « il faut compter qu’en cas de suppression de la composante carbone actuelle, de l’ordre de 7 Md€ de recettes fiscales disparaîtraient ».

Y a-t-il un risque de nouvelle crise des « gilets jaunes » ?

Au vu du contexte économique actuel, le déploiement de l’ETS 2 « va probablement engendrer une contestation populaire importante que ce soit en France ou en Europe de l’Est », estime Gaspard Poitevin (qui estime que ce déploiement va entrainer une hausse du prix à la pompe « de l’ordre de 25 à 30 centimes d'euro par litre » en France).

Cette contestation pourrait ainsi mener à une neutralisation de la composante carbone plutôt qu'à une cohabitation avec l'ETS 2, estime le trader spécialiste des marchés carbone, qui souligne que ce « doublon » de tarification carbone pourrait également exister en Allemagne (avec le « nEHS », marché national d'échange d'émission carbone allemand).

Pour limiter la hausse des prix de l’essence pour les particuliers, Gaspard Poitevin estime qu'il faudra « mieux contrôler le prix de l’ETS2 par la mise sur le marché de quotas supplémentaires » (ce que propose la France et la Pologne) et s'attend à « voir surgir des initiatives gouvernementales visant à orienter les particuliers vers des véhicules électriques, ceci étant financé par les revenus de l’ETS 2 ».

Sur le même sujet