Réduction des émissions de gaz à effet de serre : engagements à la carte !

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Dans le contexte de la COP26 (31 octobre - 12 novembre 2021), de nombreux pays ont rappelé leurs « Contributions nationales » qui sont déposées sur le registre des Nations Unies. Ces contributions sont les engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre qu’ils s’engagent à réaliser pour contribuer à la marche vers la « neutralité climatique globale » visée par l’Accord de Paris (article 4).

Mais la matérialité de ces engagements doit être considérée minutieusement pour saisir leur niveau réel d’ambition. Ceci concerne autant les dates retenues que les périmètres couverts.

1990, année de référence du protocole de Kyoto

Les différents engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre doivent naturellement être exprimés par rapport à un niveau de référence.

De nombreux pays optent pour 1990 comme année de référence, dans la lignée du protocole de Kyoto. C’est notamment le cas de l’Union européenne dont les États membres se sont engagés à réduire d’au moins 55% les émissions de gaz à effet de serre(1) d’ici à 2030 (par rapport au niveau de 1990 donc). Cet objectif de 55% de réduction des émissions par rapport à 1990 équivaut à une réduction de l’ordre de 40% par rapport au niveau de 2019(2).

Précisons que le Royaume-Uni s’est parallèlement engagé à réduire de 78% ses émissions, également par rapport au niveau de 1990 mais d’ici à… 2035 et non 2030. L’échéance choisie par les Britanniques, 5 ans plus lointaine que celle de l’UE, permet de renforcer la vision que l’objectif retenu est « l’un des plus ambitieux au monde »(3).

La Russie retient également l’année 1990 : c’est une référence qui lui est particulièrement favorable puisque ses émissions ont baissé de près de moitié entre 1990 et 1995 lors de son passage à l’économie de marché. D’après le récent rapport Emission Gap du Programme des Nations unies pour l'environnement(4), cette cible serait dépassée en appliquant les seules politiques climatiques déjà mises en œuvre qui sont pourtant bien modestes !

2005 ou 2013 : des dates de référence pour des objectifs plus flatteurs

L’année 1990 est beaucoup moins favorable pour les États-Unis où les émissions ont fortement progressé entre 1990 et 2005 (année durant laquelle les émissions étaient très proches de leur « pic »). Il est donc bien plus favorable de prendre 2005 comme année de référence. C’est l’année qu’a retenue Joe Biden, en portant l’objectif de réduction de  50% à 52% des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 par rapport à 2005(5). Le nouvel objectif de Joe Biden reviendrait à réduire les émissions nationales de 42% à 44% d’ici à 2030 par rapport à 2019.

Le Japon n’a quant à lui retenu ni 1990, ni 2005 mais 2013 comme année de référence pour fixer ses objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre : cette date a été choisie pour tenir compte des modifications profondes du mix énergétique japonais après l’accident nucléaire de Fukushima Daiichi en mars 2011. En avril 2021, le Premier ministre Yoshihide Suga a annoncé un nouvel objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 46% d’ici à 2030 par rapport à 2013. Cela revient à réduire les émissions nationales d’environ 37% d’ici à 2030 par rapport au niveau de 2019(6).

Évolution des émissions de gaz à effet de serre du Japon

D’autres variantes : ne pas prendre d’année de référence

Une façon de contourner le choix d’une année de référence consiste à exprimer sa contribution nationale en termes relatifs. Deux méthodes sont alors couramment utilisées.

La Chine et l’Inde utilisent un objectif de réduction de l’intensité du PIB en CO2. Cet indicateur relatif, également souvent privilégié par les entreprises, donne en premier lieu un droit à émettre d’autant plus important que la croissance du PIB sera forte. Concrètement, l’Inde n’a pas déposé de nouvelle contribution avant le démarrage de la COP de Glasgow, mais sa contribution actuelle (baisse de 33 à 35% de l’intensité CO2 du PIB entre 2005 et 2030) se situe dans le prolongement de la tendance observée depuis 1990.

La Chine a déposé aux Nations Unies une contribution actualisée quelques jours avant le démarrage de la COP26. Elle indique que le pic des émissions doit être atteint avant 2030, objectif assorti d’une réduction de l’intensité CO2 du PIB de 65% minimum entre 2005 et 2030. Compte tenu de la croissance attendue, un tel engagement remet à plus tard les efforts requis pour viser la neutralité climatique en 2060.

Une autre façon de déposer des contributions relatives, consiste à prendre des engagements relativement à un scénario de référence dit « Business as Usual » (BAU). Dans ce cas de figure, l’ambition réelle de l’engagement dépend avant tout des hypothèses qui ont été retenues pour construire le scénario « BAU ». Dans le cas du Mexique, le rapport Emission Gap constate par exemple que le maintien d’un objectif de réduction de 22% relativement au scénario « BAU » en 2030 permet au pays de légèrement accroître ses émissions car les émissions du scénario « BAU » ont également été révisées à la hausse.

La question du périmètre couvert

Un autre volet facteur de confusion possible sur les objectifs concerne le périmètre couvert par les contributions nationales. Celles de l’Europe et des Etats-Unis reprennent les six gaz à effet de serre couverts par le Protocole de Kyoto. Celles de la Chine et de l’Inde portent sur les seuls rejets de CO2.

Une autre zone de flou concerne la comptabilisation des puits de carbone forestiers. Une comptabilisation favorable permet par exemple à des gros exportateurs d’énergie fossile comme l’Australie ou la Russie de prétendre viser la neutralité en vers le milieu du siècle sans que cela semble remettre en cause leur mode de développement des dix prochaines années.

L’un des enjeux de la COP de Glasgow sera de mettre un peu d’ordre dans cette multiplication des objectifs à la carte. Pour accélérer la transition vers un monde bas carbone, il convient en effet que l’Accord de Paris repose sur une métrique commune et indépendante qui s’impose à chaque Partie désireuse de réellement participer à l’effort collectif.

Cette article a bénéficié de la relecture de Christian de Perthuis que nous remercions chaleureusement.

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